Comment la moutarde de Dijon a une image de luxe aux USA grâce au rap (et une pub).

« Dijon, tout le monde connait mais personne ne s’y arrête » Patrick Chirac, Camping.

Récemment lancée, la marque « just Dijon » présente une facette plutôt moderne de la capitale BFC. Le but est de faire rayonner la ville de Dijon, de « la faire se révéler au monde ». Charte graphique léchée, prises de vues par drone, le spot de pub qui lance la marque a plutôt de la gueule. Pas trop caricatural, reprenant les codes marketing qui fonctionnent mais sans être trop putassier. Mais alors pourquoi accoler à Dijon un poncif anglo-saxon « just » ? Franchement ? Pour que les touristes étrangers comprennent de quoi on parle ? Parce que quand il y a un mot anglais c’est forcément classe, ça fait américain ?  Si quelqu’un a une réponse, merci de la laisser en commentaire. En attendant vos propositions, voici en exclusivité ce que vous devez savoir sur l’image de Dijon dans le monde fascinant du pays de Donald Trump : Dijon c’est de la moutarde et rien que de la moutarde. Mais pas n’importe laquelle. La Grey Poupon.

Quiconque a un jour habité à Dijon sait que lorsqu’on lui demande d’où il vient dans une contrée un peu éloignée : « ah oui la moutarde ! » sera la réponse la plus commune. De l’autre côté de l’Atlantique, la réponse est encore plus étrange « Grey Poupon ! ». Cette marque de moutarde oubliée des Dijonnais est le symbole de leur ville aux États-Unis. Certains touristes cherchent parfois des magasins Grey Poupon au centre-ville de Dijon. Peine perdue.

Mais en fait, Grey Poupon, ça vient vraiment du coin.

Ça commence en 1777 avec la Maison Grey, qui présente en 1853 à l’Académie de Dijon une machine révolutionnaire pour l’industrialisation de la moutarde. Un peu en dèche, Maurice Grey s’associe à Auguste Poupon en 1866. Et puis on bascule dans le capitalisme sauvage. Maille, qui appartient au Baron Philippe de Rothschild en 1930, est récupéré par André Ricard et Joseph Poupon, le boss de Grey Poupon, en 1952. Il est décidé que la moutarde de Dij sera désormais vendu sous pavillon Maille en France et en Navarre, tandis que la Grey Poupon sera vendue à l’export, notamment aux States où la Heublein Company possède les droits à partir 1946. Aujourd’hui, Maille appartient au grand méchant Unilever et Grey Poupon au grand méchant Kraft Heinz, anciennement Kraft Foods. Tu ne trouveras donc pas cette marque mythique à la boutique Maille rue de la Lib mais, après vérification, il s’avère que la moutarde au vin blanc estampillée Maille vendue là-bas reprend la recette originelle de la Maison Grey. Tandis que la Grey Poupon désormais vendue au pays de Donald est fabriquée avec du vin blanc produit dans l’État de New York et des graines de moutarde en provenance du Canada. Il n’y a que la recette qui vient de Dijon, du coup.

Le coupable de la hype Grey poupon aux USA est un spot de pub du début des années 80.

 

Avec ce spot publicitaire, Grey Poupon devient dans tous les Etats-Unis le symbole du luxe à la française. Les aristocrates s’en délectent dans leur Rolls Royce et se la refilent en loucedé, quoi de plus raffiné ? Au fil du temps, un autre phénomène encore plus étrange se produit. Le monde du Hip Hop U.S. s’empare du phénomène. Très enclin au Bling Bling, les rappeurs tartinent leurs lyrics de Grey Poupon depuis maintenant longtemps, un peu comme de Hennessy, autre marque française, mais de Cognac, celle là. On a sans doute pas mal surestimé le fait que les rappeurs noirs tentaient par-là de s’approprier les codes du luxe de la bourgeoisie blanche. Ce qui fait le succès de la Grey poupon dans le rap, c’est la rime en « on ».

Aujourd’hui encore, Grey poupon est le symbole de Dijon aux Etats-Unis, avec la complicité des monstres médiatiques que sont Kanye West et Kendrick Lamar. Avant que Just Dijon remplace Grey Poupon il devrait s’écouler quelques décennies. A moins que le kir fasse un retour de hype inattendu.

 

  • Augustin Traquenard & Loïc Baruteu.

Photos : D.R.