Leur blase est plus propice aux manuels linguistiques qu’à la scène psyché. Pourtant c’est leur vrai nom et The Limiñanas rachètent peu à peu les franchises rock de l’hexagone. Le couple était en concert à la Cave à musique, vendredi dernier. On est allés à Mâcon rencontrer Lionel et éclaircir quelques ombres de Shadow People, leur dernier album dark, velouté et bourré de featuring de malade.

Votre dernier album, Shadow People, est sorti il y a deux mois. On y retrouve votre soin du bricolage.

On a toujours travaillé avec les moyens du bord : un mac, une carte son 4 pistes, quelques micros et tout un bordel d’instruments. On a des tas de trucs qui ne valent rien mais dont on adore le son. Des orgues en plastoc, des guitares cheap, des instruments marocains, grecs. On bricole tous les deux à la maison et quand on en est aux 3/4 de l’enregistrement, on invite des gens à venir jouer dessus.

Ça se fait entre vous à la maison, genre ça commence au petit-déj’ ?

J’attaque très tôt le matin, vers 4h30, car je suis insomniaque. À l’envers. La plupart du temps, je réécoute les trucs de la veille, parce qu’avec les enfants qui dorment on ne peut pas trop envoyer de fuzz. Je fais ensuite écouter les maquettes à Marie au réveil, ce qui la saoule régulièrement. On a enregistré cinq albums de cette manière-là.

Comment ça a bougé les Limiñanas depuis Je ne suis pas très drogue ?

Pour les deux premiers albums, on écoutait beaucoup de musiques françaises tordues, des trucs qu’on retrouve par exemple sur les compiles Wizzz (chez Born Bad Records, ndlr). Puis après ta vie change et depuis une paire d’année on se retrouve à bloquer sur Nick Cave et des musiques de films plus mélancoliques. Shadow People raconte l’arrivée au lycée, comment on se cherche à cette époque. Dans le lycée où on était, c’était plein de skins, de mods, de rude boys. Malgré les différences de style, tous ces mecs étaient très potes. L’adolescence, c’est une période pleine de découvertes, de hauts et de bas, et le disque parle de ça.

Cet album sonne plus dark. On parle de disque de rupture ?

Le son est différent mais ce n’est pas un album de rupture. On a appris qu’Anton Newcombe avait chopé le coffret où Because Music a regroupé nos premiers albums, sortis uniquement aux États-Unis. Il nous a fait savoir qu’il aimerait bien travailler avec nous.

Quand on a vu son nom accolé au vôtre, on s’est dit, au vu de sa réput’, qu’il allait peut-être vous séquestrer, comme Phil Spector l’avait fait avec les Ramones. 

Ce mec est adorable ! Extrêmement ouvert, généreux, altruiste. Il nous a d’abord invités à faire sa première partie au Trianon à Paris. Ce soir-là, il a fait plein de trucs pour nous aider, il a imposé notre groupe à la prod’ alors que les mecs ne voulaient pas spécialement de nous. Il a même raccourci d’un tiers son concert pour laisser de la place au nôtre.   

Avant cela, il y avait eu cette reprise des Kinks ?

On s’était fait brancherpar le magazine Mojo pour reprendre Two Sisters. Et quand on a terminé l’instru, on l’a envoyée à Anton pour savoir s’il voulait bien placer son chant dessus. Il l’a fait et nous a dit aussi qu’il n’aime pas bosser par correspondance, que la prochaine fois ce serait mieux qu’on se retrouve dans la même pièce. Quand on a terminé de maquetter Shadow People, on lui a demandé s’il était dispo pour qu’on le finisse ensemble. On a remonté tout l’album à Berlin, dans son studio, avec Andrea Wright, une ingé qui a été plus que décisive sur le son de l’album. Elle a travaillé avec Echo and the Bunnymen et Black Sabbath. Elle a une façon très particulière de gérer le mix et les compressions.


Comment s’est passé le boulot avec Newcombe ?

Anton était dans le studio, il écoutait et il intervenait sur un plan à la guitare ou au mellotron. Il a travaillé très simplement, de la même manière que le fait Pascal Comelade. Il garde la première ou la seconde prise. Aucun chichi. Par contre, il enregistre super fort. Je n’ai jamais vu quelqu’un faire des prises de guitare à un tel volume. Et Andrea, c’est pareil, elle mixe au taquet.

C’est elle qui a renforcé votre son de batterie ? 

Marie a ré-enregistré toutes ses parties rythmiques à Berlin.

Y’a même un petit clin d’œil sur l’intro de Premier Jour qui sonne comme celle de Be me Baby des Ronettes ?

Oui, c’est carrément une batterie spectorienne.

Le premier morceau s’appelle Ouverture. Les Limiñanas se la jouent opéra ? 

C’était plus une espèce de blagounette.

Pourtant cet album semble aussi plus sérieux que les précédents ?

Il est pas drôle c’est ça ?

Il est quand même moins caustique qu’un morceau comme Votre côté yéyé m’emmerde.

C’est l’effet Berlin en hiver ça. Il fait nuit à 15 heures. Mais c’est vrai, nos derniers albums sont plus mélancoliques.

Dans vos albums, les textes en Anglais ou en Italien sont chantés alors que ceux écrits en Français sont seulement posés en talk-over ?

C’est le meilleur moyen de raconter une histoire mais c’est aussi ce qui nous donne le plus de boulot. On est plus flippés sur les textes en français. On est capable d’enregistrer un album en une semaine mais le travail des textes en français nous prend des semaines et des semaines. Même le texte de Migas 2000, qui reprend une recette de cuisine de ma grand-mère a demandé beaucoup de boulot pour l’adapter à l’instru sans tomber dans le ridicule.

Comment sont venus les autres idées de featuring sur Shadow People ?

On est resté une semaine à Berlin chez Anton puis, une fois qu’on a eu la matière brute en rentrant, on a commencé à imaginer qui on pourrait faire jouer sur quoi. On a contacté Peter Hook pour The Gift, et pour Dimanche, Bertrand Belin qu’on a rencontré en revenant de tournée en Australie. On a d’ailleurs travaillé avec les Pink Tiles, un groupe power pop de Melbourne qu’on adore et qui ont fait les chœurs du disque.

Photo : Edouard Roussel.

Plutôt balèze à transposer pour le live, non ?

On est sept sur scène et dix en tout, avec l’équipe technique. On a répété comme des débiles tout l’été pour avoir un truc qui tienne la route. On travaille autour du riff et de la répétition depuis nos débuts. Il y a un tas de trucs impossible à refaire sur scène parce sur les disques, il y a des couches de mellotron, de thérémine. Comme on ne joue pas au click, on ne veut pas sampler. Alors, sur scène, ça sonne forcément un peu plus dur.

Vous parliez de riff… C’est quoi le riff que tu jalouses ? 

C’est Louie Louie, la version des Kingsmen.

Qui est pourtant un riff chanté dans la version de Richard Berry.

Oui mais pas l’acteur des années 80. Je crois quand même que Berry a pompé son plan sur un morceau de Cha-cha-cha que je viens de trouver sur une compile sortie chez Crypt. Ma version préférée reste celle des Kingsmen.

Riff et guitare, ça nous mène au projet Rififi de Pascal Comelade.

Oui. C’est Pascal qui a inventé ce truc-là, un medley des plus grands riffs du rock’n’roll. Il le fait depuis des années. Si vous le pouvez, je vous conseille d’aller voir ça.

Vous avez enregistré ensemble le Traité de guitarres triolectiques à l’usage des portugaises ensablées. Elle a vraiment les oreilles bouchées, l’époque ?

Ce qui est très curieux, c’est le retour de trucs qui étaient « garage » dans les années 80/90. Quand on a importé les premiers albums de Nirvana ou les White Stripes chez Vinyl Maniac, la boutique où on était disquaires, j’en vendais 5 par an. On n’aurait pas parié 1 franc que ça touche les mômes d’aujourd’hui, encore moins que ça devienne de la musique de stade.

Vous aimez la musique à midinettes et le Doo-wop, et bam ! On entend votre musique dans un épisode de Gossip Girl.

Ça a été un vrai traumatisme pour toute la famille ! Très sincèrement, je ne connaissais pas la série. La scène en question, c’est une fille qui se réveille après une overdose ! C’était vraiment délire de voir notre musique calée sur des images hollywoodiennes.

À part la Route du Rock, pas beaucoup de festivals pour vous cet été. Pas envie de faire Binic, Tinals ou les Eurocks ? 

On aimerait bien jouer à Binic. Tinals aussi. C’est bizarre, ils ne nous ont jamais programmés. Peut être que Christian Allex ne nous aime pas. Faudrait qu’on discute avec lui à l’occasion. 

Physiquement, on pourrait presque vous confondre avec le couple de Moon Duo. C’est quoi votre rapport à la scène psyché ?

On aime bien cette scène-là. On a fait le psych fest de Liverpool puis celui de Eindhoven. Par contre celui de Paris nous a jamais invités. Mais, étrangement, en ce moment, on a un vrai amour pour ce que font Nick Cave et Warren Ellis.

 

  • Propos recueillis par Edouard Roussel & Badneighbour, à Mâcon

Photos : Louise Vayssié.