À Besançon, l’affaire du Bol d’R a mis à jour les dysfonctionnements et les errances de la crise humanitaire des réfugiés. Pour adoucir leur quotidien loin d’être facile, Le collectif SolMiRé avait squaté un local de la SAIEMB (bailleur social de Besac’) pour en faire un accueil de jour baptisé le Bol d’R. Après 6 mois d’occupation, le collectif se fait expulser sur décision judiciaire et c’est encore Edwy Plenel qui risque de chier des bulles carrées. Récit d’un bordel sans nom.
Depuis plusieurs mois, et plusieurs années même, la question des réfugiés inonde une actualité qui respire pas trop la teuf. En France, et ailleurs, associations et collectifs tentent justement de palier à l’urgence humanitaire et à une situation face à laquelle les pouvoirs publics semblent bien surpassés. C’est le cas du collectif SolMiRé (Solidarité Migrants Réfugiés) qui oeuvre dans la ville de Victor Hugo depuis 2016, son objectif est de favoriser au mieux les conditions de vie des hommes, femmes, enfants, demandeurs d’asile. Depuis, environ une soixantaine de bénévoles se démènent au nom du collectif et ce, pour les réfugiés qui séjournent à Besançon. Après plusieurs mois de guéguère judiciaire avec le bailleur social de la ville (SAEIMB) au sujet d’un local occupé illégalement, le Tribunal de Grande Instance a décidé que le collectif devait quitter les lieux le 14 avril prochain. SolMiRé doit momentanément couper court à son action et se réorganiser, sans lâcher le combat. D’autant plus que pour le moment, et depuis le mois de février, plus aucune famille ne dort dans le campement parking d’Arènes. Une satisfaction pour le collectif. Mais comment se fait-il que SolMiRé a eu autant de bâtons dans les roues ? On t’explique ça, mais avant, un gros récap’ s’impose. On active le mode Christophe Hondelatte.
Le squat de la discorde.
En effet, à la mi-octobre 2017, le collectif SolMiRé (Solidarité Migrants Réfugiés) a investi un local inoccupé de Besançon au 26 rue d’Arènes qu’elle a surnommé le Bol d’R. Un ancien commerce qui ne servait plus à rien depuis 2 ans. SolMiRé a fait de ce lieu un accueil de jour, véritable petit coin de tranquillité dans lequel les réfugiés de Besac’ peuvent cuisiner, faire leur linge, leur toilette, s’y reposer etc.. : le Bol d’R. Un lieu de vie improvisé qui apaise les galères du quotidien. SolMiRé mettait à disposition des biens de première nécessité comme des couches pour bébés. Un bol d’r pour ces enfants, ces femmes et ces hommes qui avaient « pris domicile » et dormaient sur le parking rue d’Arènes situé à quelques encablures du lieu depuis plusieurs mois. “Les gamins sont devenus vachement plus calmes qu’au début.” nous confie Leslie, qui a joué les guides le jour de notre arrivée.
Mais un problème subsistait alors, SolMiRé squattait ce lieu sans permission, un lieu se trouvant sous l’autorité du bailleur social : La SAIEMB, dont la mairie de Besançon est actionnaire principale à 51%. La présidente directrice générale de cette société mixte est Danielle Poissenot, également adjointe au Maire et membre de l’équipe municipale.
Dans un premier temps, la SAIEMB a reproché à SolMiRé d’avoir occupé le lieu sans autorisation et, de fait, illégalement, ce qui a été constaté quelques jours après l’investiture des lieux avec huissier. S’en est suivi des tractations, des discussions, jusqu’à la possibilité d’un bail précaire proposé par la SAIEMB et estimé à 265€ par mois lors d’une première rencontre entre membres du collectif et représentants de la SAIEMB. SolMiRé a fait le choix d’attendre pour parler de cette proposition à l’ensemble des bénévoles et y réfléchir étant donné que le collectif n’a pas de budget et vit principalement de dons matériels et du dévouement de ses membres. Le collectif répondit à cette proposition, plusieurs jours après, le 24 novembre par lettre recommandée, demandant une nouvelle rencontre. Une lettre qui, étonnamment, n’aurait pas été reçue. Bizarre pour un courrier recommandé, mais la SAIEMB a répondu, le 5 décembre, par une assignation en justice en vue d’une expulsion du local illégalement réquisitionné. C’est de là que débute le long démêlé judiciaire.
Contactée par nos soins le 25 janvier dernier, Danielle Poissenot, présidente-directrice générale de la SAIEMB, nous rappelait que le bail de ce local était un bail commercial qui n’a pas vocation à devenir un bail “habitable”. Elle partage aussi que le recours en justice s’explique aussi par le fait que la SAIEMB est responsable du lieu et qu’il y a un problème concernant l’assurance du lieu. Avant tout de chose, Danielle Poissenot précise aussi que les décisions de la SAIEMB sont indépendantes des volontés de la mairie, même si elle a forcément à voir avec les décisions prises par la société mixte puisqu’elle en est l’actionnaire majoritaire. À la question posée : « Est-ce que le SMAEIB peut aider le collectif dans une perspective de l’aider à trouver un autre lieu ? », Danielle Poissenot répondait : “ce n’est pas le rôle du bailleur social que de favoriser l’action du collectif ou leur proposer une porte de sortie et un local. Il y a des choses acceptables et d’autres non, il faut savoir que SolMiRé ne paye pas de loyer, je ne vais pas augmenter les loyers de mes locataires pour compenser les pertes. C’est une société mixte, j’ai également des comptes à rendre à mon CA.” Elle appelait SolMiRé à travailler avec les associations dédiées et professionnalisées. Ce que SolMiRé faisait déjà par ailleurs en envoyant les réfugiés vers des associations qui pouvaient résoudre les problèmes spécifiques rencontrés.
Des services de la ville défaillants ?
Avant l’occupation du lieu, SolMiRé avait appuyé des demandes de soutien auprès de la mairie à plusieurs reprises en informant de la situation de ces réfugiés du parking d’Arènes, que ce soit par des tracts ou par le biais de conseillers municipaux. « On était pas là pour se constituer en association, juste pour palier et répondre aux insuffisances des services de la ville. » rappelle Leslie.
Au total, on dénombre 6 reports de décision de justice, le 9 décembre, le 8 janvier, le 13 février, le 27 février, le 13 mars et le 27 mars. Pendant ce temps-là et en dépit des sursis répétés, SolMiRé a pu assurer l’ouverture de la permanence et le déploiement de ses services. C’est alors que le Tribunal de Grande Instance décida d’expulser le collectif le 3 avril dernier. Une décision attendue mais qui oblige SolMiRé à réorganiser son action.
Dans l’immédiat, SolMiRé ne cherchera pas à trouver un autre local du fait que plus personne n’occupe le campement du parking d’Arènes, à l’heure actuelle. Les gens ont été relogés dans le cadre du plan « Grand Froid ». Ce qui constitue une vraie satisfaction aux yeux de SolMiRé. Néanmoins, il va quand même bien falloir trouver un endroit pour stocker le matériel. De plus, la justice demande à ce que le collectif paye l’équivalent du loyer mensuel, soit 565,60€, pour les 6 mois d’occupation. Ça fait du 3 400 balles, sans compter les frais d’huissier. Reconnu comme non-solvable, SolMiRé ne devrait pas payer l’équivalence des loyers pour les mois occupés. Certains partis politiques comme EELV et La France Insoumise demandent à ce que cette exigence soit annulée. Pour autant, l’action continue. Leslie estime que le bilan est positif malgré l’expulsion : « on a sensibilisé les gens sur cette question, les gens du parking ne sont plus dehors, le collectif a grossi ses rangs, c’est ce qui importe pour nous. ». Le collectif doit évacuer le Bol d’R le 14 avril prochain, il organisera même un événement au bon souvenir des services solidaires rendus dans ce lieu.
“Non, cet accueil ne répond pas à un besoin”.
Si des enfants en bas-âge ont dormi dehors pendant plusieurs mois dans un endroit insalubre et insécure, c’est bien qu’il y avait une défaillance quelque part dans la prise en charge des migrants ? Que ce soit par la ville de Besançon ou bien par la Préfecture. SolMiRé a longtemps reproché que plusieurs familles dormaient dehors faute de solutions d’hébergements proposées par les services de l’Etat au nom du Code de l’action sociale et des familles. C’est ce que nous dit Adama, jeune togolais qui a bravé désert, mer et montagne pour rejoindre la France. Pas un plaisir. Surtout qu’après ça, il y a les démarches administratives. Il faut s’enregistrer auprès des services préfectoraux de la PADA (Plateforme d’Accueil de Demandeurs d’Asile). Sans ça, même pas la peine d’espérer être aidé et logé décemment. Ensuite, la PADA file une date de convocation pour un rendez-vous en préfecture qui déterminera la procédure de la personne en question en la précisant « Normal », « Accéléré » ou « Dublin » avec l’attestation de demande d’asile valable 1 mois. C’est ensuite à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) de décider et statuer dans les 6 mois, voire plus. Les délais de rendez-vous sont souvent très longs. Adama, lui, devait attendre un mois pour le rendez-vous en préfecture au moment où nous l’avions rencontré.
La question de la solidarité et de l’urgence sociale est gérée par l’adjointe au maire, Madame Danielle Dard. Contactée le 17 janvier dernier, elle nous disait « ne pas avoir la compétence, ni le temps pour parler du Bol d’R nous invitant à venir à son point presse du 30 janvier », auquel nous n’avons malheureusement pas pu nous rendre. À l’issue de ce point, nos confrères de L’Est Républicain, rapportèrent les réponses de Danielle Dard à une question formulée sur le Bol d’R : “Non, cet accueil ne répond pas à un besoin”, tout en estimant qu’ « il y a ce qu’il faut” et que “Besançon n’a rien perdu de ses valeurs de solidarité” à un moment où des enfants de 18 mois dormaient toujours dehors dans un camp insécure, dans les températures d’un mois de janvier. On emploie le verbe dormir à l’imparfait puisque la vingtaine de réfugiés qui s’y trouvaient ont été relogés dans le cadre du plan grand froid décrété par le préfet pendant l’hiver. Tout cela s’est passé le 9 février, avant une conférence de presse prévue par SolMiRé sur ce parking pour faire part de la situation actuelle. Formidable coïncidence ou tentative de minimiser les retombées médiatiques en arrangeant la situation in-extremis ?
Pour SolMiRé, la bataille ne date pas d’hier, “On ne comprend pas l’ argumentaire fallacieux de la Mairie qui consiste à dire que SolMiRé fait de la concurrence aux associations dédiées alors qu’on travaille avec eux” nous lance Thierry. Oui c’est rigolo pour une mairie étiquetée En Marche ! Alors comme ça la concurrence, c’est pas ce qui permet de tirer le meilleur ? C’est sans doute une grève d’arguments recevables. À Besançon, la boutique Jeanne-Antide offre également des services d’accueil de jour et est déjà bien prise. La mairie a donc estimé que tous les besoins offerts couvrent et protègent le sort de ces réfugiés, mais, au juste, pourquoi ces personnes ont passé autant de temps dehors ? Plus de 3 mois pour certains. Et il fallait voir le camp de fortune : des tentes surélevées par des palettes pour ne pas être rongées par l’humidité du sol, juxtaposées les unes aux autres et situées à côté d’un poêle à chauffer délétère. Pas très safe tout ça. Dedans, des enfants de 18 mois ou d’autres plus âgés qui prenaient le chemin de l’école le lendemain. De plus, selon le collectif, ces résidents rue d’Arènes étaient tous connus des services du 115, qui venaient y faire des veilles régulièrement. Est-ce que la ville de Besançon a manqué à ses devoirs de solidarité ? Un paradoxe pour une ville où trône, devant sa mairie, une sculpture en bronze de Victor Hugo, inaugurée le 17 octobre 2003 à l’occasion de la journée mondiale du refus de l’exclusion et de la misère. C’est pas une vanne. En même temps, 2003… ça laisse le temps d’oublier.
- Mhedi Merini.
Photos : Mhedi Merini.