Loin du bobo parisien, Paul Cut groove entre Herbie Hancock et Kerri Chandler ! Ses sets sont sublimes, tout en beauté, légers, jazzy funky et tutti quanti. Se définissant comme un musicien plus qu’un DJ, il nous a raconté comment il est passé de la fac de musico à la scène du Badaboum à Paris en un rien de temps ! Entre rave-party et chinage de sceuds au fond d’un magasin de vélos, ce mec avait déjà un sacré bagage quand on l’a rencontré pour sa venue au Festival le SIRK sur la Péniche Cancale.

Sur le net t’es l’homme invisible, c’est volontaire ?

C’est volontaire, je suis ni pour l’affichage de sa vie ni fan des selfies. Même à grosse échelle je trouve que justement c’est plus intéressant que les gens voient ma musique pour la musique et non pas pour la personne. Je ne cherche pas à trop afficher, j’aime bien aussi ce côté mystère.

Paul Cut c’est pas ton vrai nom, pourquoi avoir choisi de le couper ?

Paul Cuvillier c’était pas terrible comme nom de scène ! Le fait de pas mélanger les deux, scène et vie perso, ça me permet d’avoir plusieurs projets en même temps et jouer sous mon nom tel quel me bloque un peu. Je peux prendre différents alias pour avoir différents projets.

« L’ordinateur est génial pour ça : on peut faire de la musique fantastique sans savoir lire une clé de Fa. »

T’es parti super vite avec Kerri Chandler, comment ça s’est fait ? vous vous êtes pas rencontrés à l’épicerie du coin j’imagine ?

C’était un peu par hasard, on est allé le voir avec des amis au Showcase. En arrivant dans le club on l’a vu, il mixait pas encore, je sais pas quel âge on avait, on était là « oh Kerri Kerri » comme des fans et il est descendu venus nous parler… Un de mes amis lui a dit que j’étais pianiste de jazz et qu’à l’époque je bossais avec Joss Moog. Le mec me dit « ah viens, le prochain track tu joues dessus. » […] Il mixait pas mais il prévient le mec d’avant qu’un type va improviser sur son prochain morceau. Un peu bourré je venais d’arriver dans le club et je me retrouve sur scène mais heureusement ça s’est bien passé. Quand il revenait à Paris après, assez fréquemment, juste le fait qu’il me voit tendre la main au premier rang, il me disait « oh viens jamer »… Même moi je le ferais jamais, même si on me présente un pianiste, je vais jamais au milieu de la soirée lui dire : « Viens, prends le piano« . Ça s’est enchainé avec Siler – qui gère Popcorn,  un EP en digital chez Ondulé, une rencontre avec Larry Houl qui cherchait un claviériste pour un projet house funk ! Voilà comment je me suis retrouvé chez DKO Records. Des accidents oui mais de beaux accidents.

D’après ce que tu dis t’as joué un peu de piano, plus qu’un peu même. Tu te vois plus comme un musicien ou un DJ ?

Bah peut-être plus musicien quand même ! Effectivement j’ai pas mal bossé le piano et j’ai bossé dessus à la fac. Y’a beaucoup de DJs qui n’ont pas justement 12 bagages musicaux mais c’est pas un problème. L’ordinateur est génial pour ça : on peut faire de la musique fantastique sans savoir lire une clé de Fa. Je suis content d’avoir cet apport théorique et tout cet univers du jazz : c’est vraiment deux univers très distincts mais pas mal de choses se retrouvent, des concepts, des idées… Après il se trouve que DJ c’est l’expression de la musique qu’on fait et on se débrouille pour le faire en live, avec SVO notamment (NDLR : un band live qu’il a monté).

Et le jazz, pourquoi le jazz d’ailleurs ?

Je suis amoureux du jazz ! Depuis toujours ! J’ai pas mal creusé, à la fac où j’ai fait une licence de musicologie, spécialité jazz et derrière j’ai enchaîné avec un cycle d’orientation professionnelle en conservatoire jazz. Aujourd’hui pour en vivre c’est très très compliqué à moins d’être une vieille légende ou un jeune prodige et n’étant ni l’un ni l’autre, me voilà. C’est ma musique de cœur, et je trouve que c’est un univers tellement riche, c’est mon petit pêché mignon. J’en mets pas mal dans ma musique, je pense que ça s’entend, toutes ces influences jazz même s’il y a aussi ce côté funk, très lié, il faut aller brasser un peu ces deux univers.

Et quand tu brasses, tu chines pas mal apparemment pour trouver des vinyles ?

Ah oui, alors pas tant sur internet, ça me vient pas trop à l’idée mais j’aime beaucoup, notamment quand je bouge sur des dates, faire les petits disquaires locaux. Je fais attention à continuer à chercher de la musique, à avoir de nouveaux disques, sinon ça tourne en rond !

Le meilleur endroit pour digger, il est où ?

Mon préféré, il est à Amsterdam, dans un endroit assez improbable, c’est un réparateur de vélos qui – dans le fond du magasin – a quelques bacs de disques avec une platine d’écoute. Chaque fois j’étais là « Oh parfait » – et du coup j’en prends 10-15 à chaque fois !

Tu parles d’Amsterdam, t’as joué à Paris, à Berlin, au Portugal, le meilleur endroit c’est où?

Oh, il y a pas de meilleur endroit, à chaque fois c’est différent, ça va dépendre de la soirée, du public ! Après par exemple, il y a le Badaboum à Paris, où j’ai ma résidence et où je me sens vraiment à la maison.

L’endroit le plus déglingué où tu voudrais jouer ?

J’ai fait une rave party dans une maison abandonnée dans les bois c’était super cool et j’étais assez surpris de voir à quel point y avait aussi bien des lascars, des petites nanas talons et robe de soirée, des punks. À choisir, peut-être des petites teufs illégales parce qu’il y a une certaine ambiance je pense, un truc en plus. Je suis pas un expert, j’ai quand même plus joué dans des cadres bien déclarés mais le côté illégal, un peu au milieu de nulle part, et sur des grandes durées de temps donne envie. Quand on y est jusqu’au mardi midi encore, en général c’est que c’est sympa !

… Et tu parles des free-party, t’es un peu jeune (25 ans) pour avoir connu vraiment les vraies 90’ voir début des années 2000, alors j’ai envie de te parler de la french touch ? Ce que pouvait sortir Thomas Bangalter? Alan Braxe sur Roulé ? Ça a vraiment marqué une période importante en  France à l’époque des rave party. Est-ce que toi t’as l’impression de faire partie d’un renouveau de la scène, d’une vraie scène française house avec notamment DKO, Ondulé, Mézigue, tous ces gens-là ?

Il y a un gros retour de la house alors nous on est ravi parce que c’est notre musique de cœur même si on la jouerait que ça revienne ou pas. On est cette nouvelle génération – dur de se comparer aux pionniers qui ont tracé la route et qui sont aujourd’hui des légendes – qui essaie de faire vivre cette musique et cette scène sur Paris. Il y a une émulsion et un public partout en France maintenant. Les gens savent pourquoi ils viennent, pour le son avant tout. Aller en soirée c’est plus un concert qu’aller se bourrer la gueule, choper des meufs, ou se déglinguer la tête, et j’y vais vraiment que pour écouter la musique, sinon j’y vais pas ! Je préfère autant être avec des potes dans un salon et boire des coups ! J’ai l’impression que les gens voient les choses comme ça pour les clubs maintenant : personne va se faire recaler – notamment à Badaboum – en se faisant dire « ah non faut venir avec des filles !« . Ils savent que le mec a pris sa pré-vente parce qu’il va à un concert et qu’il veut voir l’artiste. Je trouve ça cool que ça revienne un peu là-dessus et que ce soit moins sur cette ambiance de « Ah j’ai mis 3000 euros dans une bouteille alors regardez-moi. » Ça c’est l’enfer ! C’est complètement dénaturer le club au final. Le fait qu’on puisse vraiment avoir cette logique de concert dans un cadre de club c’est important et c’est cool !

« Le Jazz ? Aujourd’hui pour en vivre c’est très très compliqué à moins d’être une vieille légende ou un jeune prodige et n’étant ni l’un ni l’autre, me voilà. »

Sur Discogs, ta bio à l’anglaise commence par un truc du genre « amoureux du jazz mais ce que j’adore c’est mixer et aller vers la house avec ça ». Entre Herbie Hancock et Kerri Chandler, à quel moment tu sautes le pas ?

Le lien s’est fait en parallèle. J’avais beaucoup de chance, mon frère qui a 10 ans de plus que moi achetait des disques. Y avait un gros bagage musical notamment de hip hop, et assez jeune, il achetait des compiles en hommage à DJ Deep. Je me rappelle très bien d’écouter Homework par exemple et je trouvais ça inaudible ! Gamin je me disais : « Oula c’est quoi Rollin’ and Scratchin’ ? Qu’est-ce que c’est que ce délire ? » A côté de ça Kool and the Gang ou Michael Jackson, j’étais plus en accord avec. Malgré tout, les disques étaient là, je les avais écoutés, je les avais vus, et puis il y a eu cet amour du jazz qui est venu. Le jazz c’est pas pour les enfants, faut se mettre dedans, c’est un univers dans lequel il faut se plonger, pas toujours facile selon ce que c’est. Avec des potes passionnés de musique, il y avait toujours cette émulsion –  partager, faire découvrir, on passait des nuits à chercher. On trouvait des vieux disques : « Regarde-moi ce disque de 73« , et là tu prends des grosses grosses claques parce que tu te dis qu’il y a un tel univers derrière. C’est génial dans le sens où encore aujourd’hui je découvre des artistes ou des disques en me disant comment j’ai pu passer à côté alors que ça fait 10 ans que je connais ce gars-là ?! Le fait que ce soit si samplé et inspiré aussi, dans le hip hop ou dans la house, à puiser dans le funk, le jazz, la soul à mort, et moi je les aime quel que soit le contexte du moment que ça groove !

Si on parle du projet SVO t’as pas l’impression qu’il y a un vrai mouv’ en ce moment, que les gens ont vraiment envie de ce genre de formation ? Pourquoi tu penses qu’il y a un engouement pareil d’un retour vers une musique électro qui est jouée ? A l’exemple de Giorgio Moroder.

C’est le côté visuel qui marche bien, notamment avec SVO. Les gens ont vu beaucoup de DJs jouer, c’est pas spécialement marrant de regarder un mec mettre des disques – « ça dépend si c’est Mézigue« , « ouais là ça peut devenir marrant » – mais dans l’idée il met un disque puis un autre etc alors que là, avoir un chanteur qui peut se pencher dans le public et vraiment lui parler c’est cool. On leur fait la bouffe devant les yeux, ils peuvent voir quand Ralph va jouer de la basse, il y a distinctement ce lien d’image et de son.

Ton dernier vrai coup de cœur musical ?

Beaucoup trop en tête ! Allez je dirais les Inland Knights – que j’ai découvert il y a un petit moment mais c’est ça que j’aime bien, à chaque fois dans les petits disquaires, j’en trouve toujours un ou deux qui traîne, ils ont une patte et un son vraiment très 90’ que j’aime beaucoup, c’est vieux mais il y a peu de leurs disques que je n’achète pas immédiatement.

 

  • Interview réalisée par Dédé Seramour & Sophie Brignoli. 

 

Photos : Le studio des songes. Anne-Sophie Cambeur.