Les Négresses Vertes, ce n’est pas seulement un groupe que vénère ta vieille tante qui danse de façon gênante à toutes les fêtes de famille. C’est une putain de tranche de l’histoire du « rock alternatif » français de la fin des années 80 et des années 90. Les Négresses repartent en tournée pour les 30 ans de leur premier album, « Mlah ». À L’occasion du festival « Rolling Saône » à Gray, on a coincé le Mellino (Stéphane Mellino) et Paulo (Jean-Marie Paulus), les piliers du groupe depuis le décès du chanteur Elno en 1993. L’occasion de parler de remixes, de bleds paumés dans le Jura… et de leur retour sur scène après 17 ans d’absence.

Le nom du groupe viendrait d’une insulte proférée à l’encontre d’Elno lorsqu’il s’est fait virer d’un établissement dans un bled du Jura en se faisant traiter de négresse verte, c’était où exactement ?

Paulo : Je vais vous mettre tout de suite au parfum, c’est un peu une légende. Le bled c’est Colonne (NDLR : près de Poligny). On s’est effectivement fait dégager avec pertes et fracas, on avait bien foutu le bordel et c’était un bal tranquille avec les femmes d’un côté et les hommes de l’autre, on était là, habillés comme des sacs avec des coiffures improbables. C’est une histoire vraie mais le nom du groupe existait déjà, il est venu de la chanson « La danse des Négresses vertes ».

Mais vous n’êtes pas rancuniers, vous avez rejoué là-bas près de Poligny il y a deux mois.

Mellino : Oui, au Moulin de Brainans, on avait essuyé les plâtres en 2000 quand la salle s’est agrandie, tu joues proche des gens, il y a une atmosphère très chaleureuse. On a fait deux dates au Moulin en mars, ça nous a remis direct dans le bain !

17 ans qu’on ne vous avait pas vus sur scène, on sait que Steph et Iza Mellino ont fondé un groupe et ont pas mal tournés, les autres ont foutu quoi pendant ce temps-là ?

Nico : J’ai continué la musique mais de façon plus underground, j’ai aussi fait du théâtre, on a jamais vraiment quitté les planches.

Mellino : Je dirais qu’on a entretenu l’esprit des Négresses Vertes. Quand tu sors d’un groupe comme ça, tu ne peux pas arrêter la musique, même si tu ne joues plus au même niveau, tu fais ton truc de musicien.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous reformer ?

Mellino : Ça faisait plusieurs années qu’on en parlait entre nous, on est toujours resté potes, mais ce n’est pas qu’une question d’envie, il faut des gens qui ont les moyens de te faire tourner, grâce à Pierre Alexandre Vertadier et à Décibel, le projet a pu se réaliser.

Paulo : Il y a aussi eu un déclic avec la réédition de nos albums en Vinyle chez Because.

« Toutes nos chansons ont une histoire, Elno, aujourd’hui décédé, a écrit les textes, il est là avec nous lorsqu’on chante aujourd’hui. »

 

À propos de vos albums, parlez-nous un peu de cette compil, « 10 remixes » qui sort en 1993 où vous avez collaboré avec des artistes comme Massive Attack, Fat Bot Slim, Gangstaar …

Mellino : … Et William Orbit ! Ça a commencé sur « Mlah », William Orbit a fait un remix de « Zobi la mouche » et pour un coup d’essai c’était un coup de maître. Nous, on était un groupe acoustique, et tout d’un coup on passe sur le dancefloor à Londres, Hong Kong, on nous disait « putain je t’ai entendu à Bangkok ! »

Vous pensez que c’est ces remixes qui vous ont donné une renommée internationale ?

Mellino : oui évidemment.

Paulo : on avait déjà quand même tourné au Japon, en Europe, en Angleterre beaucoup, mais bien sûr les remixes ont aidé à nous faire connaitre.

Comment des artistes aussi éloignés de votre univers musical, je pense à Massive Attack, se sont intéressés à vous, c’est eux qui ont pris contact ?

Mellino : Les Napolitains de Kwanzaa Posse nous ont proposé de remixer « Bodega », c’était pas des rigolos, ils charbonnaient, jouaient à Ibiza tout le temps. Pour Massive Attack, c’était un proche aujourd’hui décédé qui a eu l’idée de faire remixer « Face à la mer », on lui disait tu es fou, « Face à la mer » par Massive Attack, ça ne marchera jamais. Quand on a reçu le résultat, on était scotché, maintenant on ne joue plus que la version de Massive Attack.

On imagine que beaucoup de chansons de votre répertoire sont chargées émotionnellement, laquelle vous touche le plus quand vous jouez aujourd’hui ?

Paulo : C’est impossible de choisir.

Mellino : Je dirais quand même « Zobi la mouche ».

Paulo : C’est vrai que c’est un peu le cri de l’enfant qui sort du ventre de sa mère, c’était notre première et unique chanson pendant quelques semaines. Mais toutes nos chansons ont une histoire, Elno, aujourd’hui décédé, a écrit les textes, il est là avec nous lorsqu’on chante aujourd’hui.

« Je n’ai pas l’impression d’avoir passé 17 ans sans Les Négresse Vertes, c’est comme si on avait arrêté la semaine dernière. »

 

Elno a fait partie des Bérus (Les Béruriers Noirs), toute cette scène qu’on appelait le rock alternatif français dans les années 80 était très revendicative et engagée politiquement, comment vous vous situez par rapport à ça ?

Paulo : On était très potes avec les Bérus, même si on ne se voit plus, on a traîné avec tous les groupes de cette époque, mais on n’a jamais été dans la revendication politique. Pourtant si tu écoutes les textes des Négresses Vertes, sans être politisés, on y trouve  quelque chose de revendicatif quand même. D’une manière générale, je considère que la poésie va participer à l’ouverture, alors que les propositions politiques ont tendance à nous enfermer. Quand tu poétises, tu élargis le spectre.

Mellino : Ouais, tu élargis le pècrse (Ricanements)

Au fil des albums, votre musique a évolué, « Trabendo » est peut-être le résultat de vos collaborations avec des musiciens qui sont plus dans les musiques électroniques, quels sont les artistes actuellement qui vous inspirent ?

Mellino : Tout à l’heure quelqu’un a passé Agnes Obel dans la sono, je trouve que c’est la grande classe. J’aime plutôt les groupes anglo-américains, Black Keys, Foo Fighters, Killing Joke, je les ai revus récemment.

Après 17 ans d’absence sur des grandes scènes, ça vous a fait un choc de faire des concerts avec des gens qui vous filment avec des smartphones et qui ensuite bombardent les images sur les réseaux sociaux ?

Paulo : Non, ce n’est pas choquant, ce qui fait chier, c’est le son, l’image on s’en fout, mais dans les films postés le son est pourri. Tu essaies de produire le meilleur son possible en concert et là, le rendu des téléphones est dégueu.

Votre tournée s’arrête quand ?

Mellino : On a des dates jusqu’à fin 2019, on fait un tour de chant avec le premier album qui nous a fait connaitre, ça nous fait un choc, c’est refondateur et on voit le truc grossir gentiment.

Paulo : Je n’ai pas l’impression d’avoir passé 17 ans sans Les Négresse Vertes, c’est comme si on avait arrêté la semaine dernière.

 

  • Interview réalisée par Augustin Traquenard. 

Photos : Raphael Helle.