Artiste discret de la scène house parisienne, BrAque était de passage à Dijon en avril dernier pour le Sirk Festival.

Avec deux sorties sur le label D.KO Records et une poignée de lives disponibles sur le net, le producteur préfère généralement à l’agitation des médias la culture du secret. Il a cependant accepté de nous parler, au Boulodrome où il jouait ce soir là, de sa nouvelle sortie chez Cracki records, du choix de son blaze de canidé, et de la surpopulation des Djs. Interview sans filtre et sans Instagram.   

J’ai trouvé une seule interview de toi sur internet, qui date de décembre 2015 suite à la sortie du premier Ep ‘Maraude’. C’est assez dingue qu’il n’y ait que ça non ?

(Rires.) Non pas tellement. Je pense que je ne sollicite pas énormément d’intérêt et je ne suis pas axé là-dessus. C’est devenu la grande mode de dire qu’on est pas du tout réseaux, qu’on ne prend pas de photos, qu’on est mystérieux… Moi je ne communique pas vraiment comme ça, je préfère me concentrer sur la production.

Tu as choisi le nom BrAque, c’est parce que tu aimes ce chien, mais aussi parce qu’il représente le cynisme je crois ?

Oui c’est vrai. Ce nom ne traduit que des idées que j’aime bien.

« Il faut clairement être en difficulté pour créer quelque chose d’intéressant artistiquement. »

La définition du cynisme à l’époque de la Grèce antique c’est « mépriser les conventions sociales ». Tu as l’impression d’être cynique quelque part en donnant si peu de toi à voir, à entendre ?

Oui, je pense qu’effectivement il y a une certaine forme de cynisme. Je l’assume totalement même si j’ai un comportement parfois contraire en sortant tout de même des disques. Mais effectivement il y a une forme de cynisme de n’en sortir que deux, d’utiliser un nom qui a déjà été usité par d’autres artistes.

C’est vrai que tu es le 4ème « Braque » sur Discogs.

Oui, j’aimais bien cette idée tout simple de disparaître, de pas communiquer sur mon image. Alors bien entendu on est uniquement sur le secteur de la house ; c’est de la musique instrumentale et ma propre personne importe peu. J’ai aussi d’autres projets, donc je ne voulais pas non plus saturer tous les canaux.

Peux-tu nous parler de ces autres projets ?

Je vais sortir un EP chez Cracki records où j’ai l’impression de m’être plus exprimé parce que j’écris et j’interprète. J’ai également produit un clip que je suis allé tourner à Hong Kong. Ça m’a permis de me libérer – j’aime bien la house, c’est un vrai coup de cœur, et toute mon adolescence mais c’est pas mon unique raison de vivre.

« Si j’ai un canapé trop confortable, un écran trop grand et trop de facilité de réalisation je fais de la merde. »

Donc ce n’est pas de la house que tu sors chez Cracki ?

C’est une forme de house, les gens qui connaissent mes productions vont, je pense, me reconnaître mais j’apporte de l’image et du verbe par rapport à ce que je faisais jusqu’à présent.

Le premier EP est sorti en 2015, le deuxième en 2018, que s’est-il passé pendant ces 3 ans ? 

Alors ça c’est ma spécialité, j’ai un problème avec le temps. Il disparaît en ma présence… Un battement d’oeil souvent c’est 3 ans, dans ce métier là, en tout cas, c’est comme ça que ça se passe.

Ta vie est centrée autour de la musique ?

Depuis quelques années oui. J’ai eu d’autres vies, mais comme j’ai toujours fait de la musique et je connais bien ce milieu là, ça m’a permis de vite me faire une idée. Et je me suis d’abord dit, que je devais faire mes preuves comme quelqu’un de normal. Normal dans le sens, avoir une vie conventionnelle. C’est mon côté un peu vieille France, et « d’abord fais tes classes ».

Sur la manière dont tu produis, tu bosses toujours uniquement sur le logiciel Cubase ?

La contrainte pour moi, c’est super important, c’est ce qui me permet de créer. Si j’ai un canapé trop confortable, un écran trop grand et trop de facilité de réalisation je fais de la merde. Et je pense que c’est le cas de beaucoup de gens qui n’ont pas l’honnêteté de se l’avouer. Il faut clairement être en difficulté pour créer quelque chose d’intéressant artistiquement. Donc les gens qui connaissent Cubase savent à quel point je me mets en difficulté ! (Rires.) Mais j’ai l’impression que c’est payant parce que plein de gens me disent que j’ai mon son, ça vient aussi du fait que j’ai pas le même logiciel que les autres.

Il y a le logiciel, mais aussi l’énorme travail de sampling sur tes productions, vraiment à la manière d’un beat maker…

Oui c’est vrai, mais c’est parce que je viens de là aussi, j’ai d’abord commencé par faire des morceaux pour des potes qui faisaient du rap Porte de Saint-Cloud. J’ai fait quelques mixtapes.

Je réécoutais « Dîner en ville » par exemple sur lequel il y a ce sample de jazz « Farewell to France »…
C’est un sample de Peggy Lee, et là encore il y a un truc qui est de l’ordre du cynisme parce que ce morceau est teinté black music alors que Peggy est une sorte de blonde immaculée. Ce qui constitue l’essentiel de ce morceau c’est une compilation de samples qui ont déjà été beaucoup utilisés dans la musique électronique mais d’une certaine période. Je les ressors un peu comme une sorte de clin d’oeil, en espérant que ça évoque quelque chose aux personnes qui écoutent. L’un des premiers morceaux que j’ai sorti avec D.KO – et ma présentation se faisait là dessus – c’était un truc qui n’était pas de la génération de ceux qui découvrent la house maintenant mais de celle qui l’ont toujours un peu vécu.

 

Comment expliques-tu ce regain d’intérêt pour ce style de house qui était presque devenu ringard il y a quelques années ?

Alors c’est marrant parce que l’acide ça a été de la merde pour beaucoup de gens pendant des années et c’est super à la mode maintenant. C’est quasiment le cas pour tous les styles de musique… Moi ce que j’aime c’est le sample filtré et la rythmique swinguée, j’ai grandi là dedans. Tout dépend de ce qui plaît aux leaders d’op’ et j’ai de la chance car en ce moment ces mecs là, eh bien ils ont mon âge ! (Rires.) Du coup j’ai pas besoin d’en faire trop pour les convaincre. C’est comme ça que ça s’est passé chez Cracki. Je pense que finalement les gars de D.KO l’ont ressenti car ça leur a parlé aussi. C’est important en tout cas pour moi de sortir un disque mais avec des gens du présent. Il était pas question de démarcher des gens qui appartenaient à ma génération, je voulais faire mes preuves dans un milieu qui était neutre, sans concession ou clairement on allait me le dire si ça plaisait ou pas. Parce que cette génération est comme ça. Comme dans ces films américains où l’on voit les rockeurs sur scène mais où il y a aussi un grillage parce que si c’est de la merde on leur balance des trucs. Moi je voulais un peu me confronter à ça. Parce que j’aurais pu tortiller des fesses, aller voir les bonnes personnes et me faire une belle arrivée mais je ne voulais pas ça.

C’est marrant ce paradoxe, cette recherche de reconnaissance sans non plus trop faire pour aller la chercher… 

C’est pas vraiment ça. À partir du moment où je fais de la musique et où je décide de la sortir j’estime que je fais quelque chose pour aller chercher les gens. Moi j’ai fait des teufs à l’époque où il n’y avait pas internet. Je trouve que c’est quand même beaucoup d’auto-érotisme ce qui se passe actuellement sur les réseaux sociaux… Et bon, je me trouve beau gosse mais pas à ce point. (Rires.) Je sais pas comment font les gens pour avoir des photos de profil d’eux mêmes. Je suis désolé si c’est ton cas, mais je sais pas comment vous faites, parce que si tu passes beaucoup de temps sur Facebook eh bien finalement tu passes beaucoup de temps à te regarder.

« Si tu passes beaucoup de temps sur Facebook et bien finalement tu passes beaucoup de temps à te regarder. »

Je dis pas que je veux disparaître derrière un masque non plus mais en tout cas je ne peux pas aller chercher les gens tous les jours en leur expliquant que je me suis acheté une paire de chaussures, que ce café est super… Je pense que ça tue littéralement le rapport qu’on a avec les gens et la musique. Si Michael Jackson avait eu Instagram, franchement il aurait vendu moins de disques et c’est valable pour tous les grands artistes. Moi je m’en fous, je ne veux pas savoir que ce sont des gens normaux, je ne veux pas connaître leur vie médiocre. Le moment où tu manges une pomme on s’en fout. Mais j’ai remarqué qu’il y avait à nouveau une mode qui allait contre ça, on a atteint un pic.

Quand t’es passé chez D.KO c’était un peu le fruit du hasard non ?

Alors pas du tout, c’est jamais le fruit du hasard. Mon meilleur ami est le grand frère de Flabaire avec qui je faisais de la musique et je pense que Flabaire, qui nous avait vu faire ça dans une cave, avait déjà l’oreille prête et quand il s’est lancé à son tour, il m’a proposé que je lui envoie des choses. À l’époque, Mad Rey venait de sortir « Quartier sexe » et c’était la folie donc j’ai fait un truc sur-mesure.

Et pour Cracki ?

Cracki c’est différent, c’est l’univers Pedro Booking aussi. Et j’étais dans l’agence de Pedro aussi quand j’étais chez D.KO, c’est très poreux ce milieu… Donc à un moment donné je suis parti à Hong Kong faire ce que je voulais. Je savais pas trop où ça allait me mener, mais je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose – à eux de voir ensuite si ça mérite d’être supporté…

C’était un peu couillu du coup de partir là-bas ?

Alors je te remercie de le souligner, parce que c’était du travail, j’ai tout budgétisé moi même, sur mes fonds propres donc j’ai pas mal bossé avant. Tout était assez calculé, c’est-à-dire que je me suis fait chier pour avoir une liberté financière me permettant de faire ce que je voulais sur place. J’ai tout auto-produit. Un ami d’enfance avec qui je travaille a pu réaliser le clip. Il avait un super monteur sous la main, donc on est partis à trois et ça a duré une semaine. Je suis ensuite revenu, sans avoir préparé du tout mon retour, en mode tunnel. J’ai posté le clip sur ma page, sans le sponsoriser en me disant que si c’était bien, les personnes avec lesquelles je suis en connexion allaient m’appeler.  Et c’est ce qui s’est passé ; le soir même on m’a appelé. Ce qui était assez drôle c’est que tout le monde pensait que c’était déjà produit.

« J’ai d’abord commencé par faire des morceaux pour des potes qui faisaient du rap porte de Saint-Cloud. »

Tu ne mixes pas du tout ?

J’ai fait deux trois soirées avec D.KO, et je prends beaucoup de plaisir mais je pense aussi qu’on est trop nombreux… (Rires.) C’est too many djs, et bien que le groupe existe, les gens n’ont toujours pas compris. Calmez-vous, arrêtez. Tu vois du coup moi j’ai fait don de moi et je me suis dit stop, c’est trop. Ça peut paraître un peu auto-centré mais en live au moins, ce ne sont que mes productions. Alors oui je vous emmerde, je n’ai pas de photo de profil sur Facebook donc je m’auto-centre où je veux. Franchement si je dois mettre quelque chose de moi, c’est à ce moment là. Et puis la construction d’un personnage virtuel c’est un peu ringard, les gens ne sont pas dupes.

Au milieu de toute cette masse d’informations, et la pluralité des productions qui sortent chaque jour, comment tu t’y retrouves toi ? Tu chines de la musique ?

Alors je ne chine pas, j’ai une banque de vinyles de mes parents, des disques que je connais par cœur, et doit y’en avoir au max 200, c’est rien. Mais je me sens pas en manque. Pour moi c’est encore un autre métier que de collectionner des disques, mais chiner, aller chercher des trucs, j’ai 37 ans… C’est bon quoi, maintenant que j’ai appris des choses, je suis plus dans l’application. Je sais où je veux aller donc j’y vais. C’est une vaste régurgitation de ce que j’entendais quand j’étais petit. 

Y’a un côté presque psychanalyse en fait ?

Je trouve que c’est marrant de le prendre comme ça. Je pourrais aussi te dire « ouais tu vois dans le game… » (Rires.) Mais on se ferait chier non ? Je propose un truc différent, et ça fait partie aussi un peu du cynisme de ma personnalité. Je fais exprès d’en faire un peu trop parce que je trouve qu’on en fait vraiment pas assez.

 

  • Interview réalisée par Sophie Brignoli.

Photos : Le Studio des Songes.