Samedi 9 juin, la tournée du label indépendant Born Bad, dans le cadre de One+One, faisait escale à La Péniche de Chalon-sur-Saône. Au programme : le groupe Cannibale et l’inclassable Usé. Nous avons rencontré Cannibale, entre séance de balance, show case chez Gibert et repas pré-concert. Fatigués mais pas blasés, ils nous ont raconté. Leur longue traversée, le label arrivé, leurs errances, leurs passions et inspirations, leur bonheur présent de l’ici et maintenant.

Nicolas, Manuel, Antoine, Olivier et Gaspard. Des amis, des collègues, des passionnés. Une alchimie entre second degré, musiques éclectiques et exotiques et amitié. Un groupe de vie et de scène. Retour sur leur parcours.

Le groupe s’est formé autour de Nicolas et Manu. « On vient du même bled, dans l’Orne », dit Manu. « On s’est rencontré au collège. Ça fait plus de 25 ans ». Le duo initial se renforce de 3 nouveaux partenaires, des normands, forcément. Après plusieurs années, le groupe sent un besoin de changement, pas dans l’équipe mais dans l’intention. « C’est une histoire d’âge. On s’est demandé où on allait. Soit on arrêtait, soit on resignait pour 10 ans, mais avec un nouveau projet. On est reparti à zéro avec une nouvelle identité sonique et visuelle ». Cette identité tient en un mot : « Cannibale ».

Le nouveau groupe garde le même esprit, mais ajoute à sa musique une dose d’exotisme. Une musique de mélanges, les pieds dans la terre. « Il y a un aspect Caraïbes, africain que nous n’avions pas avant ». L’exotisme va bien au-delà de la référence culturelle. Il ne s’agit pas de saupoudrer leur musique de cultures du monde mais de s’en imprégner pour créer un nouveau langage, le leur. Une référence à la créolité. « On s’approprie toutes les influences pour créer autre chose ». Le nom même du groupe est dans cette veine. «Au-delà de l’anthropophagie, Cannibale évoque le fait de se nourrir de l’époque, d’aller piocher un peu partout, de prendre ce que l’on aime chez les autres pour mieux le digérer. Et être cannibale dans l’Orne, c’est rigolo. Il y a un peu de second degré là-dedans ».

Quête d’exotisme, mais textes en anglais. Nicolas, l’auteur des paroles, explique. « J’ai une culture musicale anglo-saxonne et j’aime créer des néologismes. En anglais, ça ne pose pas de souci. Tu peux tordre la langue comme tu le désires, en français c’est toujours compliqué ». Il joue des sonorités et pétrit les mots. Sens et sons se répondent. Nicolas pratique par ailleurs l’écriture automatique et écrit des poèmes en français. « Alors des paroles en français pour Cannibale, un jour, pourquoi pas…».

Le groupe envoie sa maquette à Jean-Baptiste Guillot, fondateur du label Born Bad. Séduit, il les rencontre sur leur terre, fait un dérapage à moto pour les impressionner et reprend deux fois de la purée. En les quittant, il leur lance « en route pour la gloire » et depuis disent-ils, ils attendent.

Le succès est là, indéniablement, mais pour les membres du groupe rien ne semble acquis. « Tu plaisantes ? On doit encore gagner plein de pognon et s’acheter de grosses voitures ». Le label Born Bad les a fait décoller mais ils gardent la tête froide. Qu’est-ce que le label Born Bad a changé pour vous ? « Tout. Sans le label nous n’aurions jamais eu plus de 100 dates en si peu de temps, c’est énorme. Ça nous aussi permis de rencontrer les artistes du label, la famille des sans famille. Des gens qui ne font pas la même musique que nous mais qui ont le même esprit. Jean-Baptiste Guillot aime l’authenticité, les mecs qui se transcendent dans leur musique, travaillent la journée et font de la musique le soir chez eux ». Labellisé ne signifie pas pour autant règles imposées et respect d’une ligne éditoriale. Born Bad laisse les artistes s’exprimer. « Nous sommes complètement libres. Guillot fait partie de ces mecs qui ont compris qu’il fallait prendre des gens qui lui plaisaient plutôt que de les transformer. Faut pas brider les originaux ».

« Au-delà de l’anthropophagie, Cannibale évoque le fait de se nourrir de l’époque, d’aller piocher un peu partout, de prendre ce que l’on aime chez les autres pour mieux le digérer. »

Le succès « tardif » de quadragénaires, une belle histoire que l’on retrouve dans tous les articles sur le groupe. Est-ce si étonnant ? A 40 ans, trop vieux pour être musicien mais bon pour être président ?  « En fait on croise plein de gens comme nous, mais à l’époque du culte du jeunisme c’est un pied de nez de sortir un premier album à 40 ans ». On sent aussi une forme de maturité au sein du groupe. Un respect de chacun et une forte volonté de liberté. Cannibale ne se travestira pas pour le succès. Ils veulent juste être là et faire ce qui leur plaît, ensemble. Manu compose, Nico écrit les textes mais la décision finale est collégiale. « Je fais une proposition et le groupe réagit », dit Manu. « J’essaye de faire des morceaux qui vont séduire mes copains. C’est là-dessus que je suis sous influence ». « Sinon à part la musique, on produit aussi des courgettes, des framboises et des enfants. On en a 11 à nous 5. Bientôt on pourra monter une crèche d’entreprise ».

Ce sens du collectif et de l’auto-dérision se ressent sur scène. Les cannibales s’amusent et partagent. Ils amènent le public dans leur univers, avec générosité. Le groupe poursuit sa tournée et sortira un nouvel album en novembre. « Nico met toutes les infos à jour sur la page facebook ». Musiciens, auteurs… et chargés de com, les Cannibales ? « On t’a dit qu’on était tout petit, tout ça c’est de la survie ». Tout petit, pour le moment…

 

  • Erika Lamy

Photos : Thomas Lamy.