« À Nevers, il flotte comme un criminel parfum de gâchis. Rétrospectivement on se dit que la chronique de cette mort annoncée s’est écrite depuis longtemps et à la vue de tous. Comme si tout le monde – des pouvoirs publics aux habitants en passant par les commerçants – avait regardé la lente descente aux enfers de leur ville, bras ballants, en pensant très fort: ‘Jusqu’ici tout va bien’. Le réveil est brutal ». Caroline Fontaine, pour Paris Match.
Le réveil brutal, il a plutôt eu lieu le 29 novembre dernier lorsque les Neversois ont eu la gorge serrée plus que de normal. En cause, un article de six pages dans le prestigieux Paris Match, intitulé Nevers, ville morte, avant de sous-titrer finalement plus joliment cette ville de « belle endormie ». Entre descriptions réductrices et austères d’une ville dépeinte comme un cimetière oublié, l’article a lui-même jeté un froid mortuaire.
Loin de moi l’idée de vouloir rentrer dans les méandres de la politique ou dans une vision subjective et idyllique de Nevers. Non. Mais plutôt que de constater banalement les dégâts aux détours d’une balade à Nevers, le temps d’un article, calepin et stylo à la main à l’affut des moindres défauts d’une petite ville de province, il serait de bon ton de se mettre plutôt dans la peau de ceux qui respirent au quotidien ce « parfum de gâchis ». Alors oui, c’est bien moi qui, dans un précédent article, décrivait les lundis comme un deuxième dimanche à Nevers « le travail en plus », parce qu’on ne va pas non plus être hypocrites. Avec moins de 35.000 habitants à son compteur, il ne fallait pas s’attendre non plus à des miracles. Nevers reste une ville avec ses gros soucis et ses gros tracas. Cependant, rien ne nous empêche d’être à minima optimiste.
Vous avez enfilé votre gilet de pédanterie parisienne, venant jouer le jeu provincial le simple temps d’un aller-retour, pour interroger ceux qui portent leurs gilets jaunes avec convictions et fierté. Belle aubaine pour vous effectivement, puisque depuis quelques semaines les médias mettent en tête de liste la Nièvre comme département se dotant d’une forte mobilisation au cœur de cette action sociétale. Certes, cette nouvelle ne veut évidemment pas dire qu’il règne un parfum de bonheur absolu ici, mais cela ne veut pas dire non plus qu’un « parfum de gâchis » nous entête jusqu’à nous donner la nausée quotidiennement, rassurez-vous, Madame. Employer le terme de « gâchis » insinue monstrueusement que tout est absolument fini, indéniablement révolue et fait sonner le glas sur Nevers. Je me suis demandé quel était le but de votre article, après avoir dézingué notre ville tout en essayant pourtant, comme pour se déculpabiliser, de noter quelques petits avantages, mais en concluant cependant par une phrase revendiquant clairement la mentalité défaitiste des provinciaux. Comme si c’était une évidence.
Laissez-moi vous répondre. Tandis que le beffroi menaçait de détruire nos pavés, Madame, les habitants et commerçants ne regardaient pas « les bras ballants » leur ville s’effondrer mais s’efforçaient de trouver des solutions, de tenir au courant leurs clients, de se soutenir les uns et les autres. Tandis que les gérants du bar Le Continental sont contraints de fermer leurs portes à leurs nombreux habitués, de peur qu’un immeuble leur tombe dessus, des cagnottes voient le jour, des restaurants voisins mettent en place des actions de solidarité, un concert au Café charbon, scène musicale mythique de cette ville, est prévu le 14 décembre au profit de cet établissement où il fait bon vivre. La réalité des choses est telle que les Neversois, plutôt que de regarder passivement leur ville s’effondrer, essayent de remettre la première pierre à l’édifice.
‘’Ici, l’avenir a baissé le rideau », après les commerçants et habitants les bras ballants, voici l’avenir qui se fait la malle. Pourtant, je vous assure que l’avenir se construit. Quelques jeunes prennent le pari de revenir dans leur terre natale pour voir s’épanouir leurs ambitions dans une ville qu’ils souhaitent voir vivre et vibrer. Des boutiques éphémères s’ouvrent pour redonner vie à ses vieilles vitrines laissées pour compte, les ruelles se réveillent lors de nombreux festivals tout au long de l’année, ramenant pas moins de 50 000 personnes dans les rues, et certains restaurants reprennent vie et laisse place au dicton « les copains d’abord », cher à Nevers.
Nevers n’est pas uniquement et simplement dotée d’un magnifique patrimoine historique réduit à une « cathédrale, un palais ducal et d’un petit théâtre », elle est riche de ses habitants. Nombreux sont ceux qui essayent de redorer le blason de Nevers, entre les nombreuses innovations numériques qui se mettent en place sur le territoire, les artistes neversois renommés à l’instar de Claude Levesque, les Tambours du Bronx, nos brillants joueurs de l’USON j’en passe et des meilleurs, la liste est longue à votre plus grand étonnement… ou encore les belles assiettes de faïence qui ornent pourtant vos journaux et boutiques parisiennes. Comme quoi, avec nos petits moyens provinciaux, on arrive à se faire connaître même chez les Parigos, Madame. Certes, la jeunesse part souvent s’épanouir « à la capitale » le temps des études mais elle ne manquera pour autant jamais l’occasion de se retrouver au Donald’s Pub chaque week-end pour discuter, entre autres, de la réouverture du Petit Théâtre, emblème de nos premiers pas enfantins sur la scène, qui accueillent aujourd’hui de nombreuses têtes d’affiche.
Une chose qu’on ne pourrait pas remettre en cause dans cet article, c’est la description de Nevers comme le « bout du monde ». Effectivement, voilà la raison de ceux qui se plaisent justement à y vivre. Avez-vous trouvé votre voyage d’1h56 de Paris à Nevers si interminable que ça Madame Fontaine ? Pas si loin que ça si vous avez pu faire le déplacement. Et puis, tu parles d’une affaire, à moins de deux heures de la sphère parisienne, c’est le vrai dépaysement : Lolo nous sert le café, Martine nous demande comment va la petite, Julie nous invite à aller découvrir les toues cabanées qui longent la Loire, tandis que Nicolas nous attend pour voir une exposition au centre d’art contemporain de Pougues-les-Eaux. Et ça, c’est la réalité de la vie neversoise que l’on aime et qui nous fait oublier le temps d’un instant, les soucis inhérents d’une petite ville de province.
Vous savez, Madame Fontaine, « la belle endormie » n’attend pas son irréaliste prince charmant pour se réveiller. Elle est, certes, peut-être en apnée du sommeil, mais les charmants.e.s neversois.e.s sont là pour tenter tant bien que mal de lui donner un coup de pieds aux fesses, comme ils l’auraient fait avec leur enfant rebelle qu’ils chérissent pourtant par-dessus tout. Alors, loin d’être morte mais a contrario peut-être un peu meurtrie, la belle dame se réveille, Madame. Échec et match.
- Victoire Boutron, parisienne-neversoise et fière de l’être.
Crédit photo : Tinougraphie