Le député « France Insoumise » de la Somme était à Dijon la semaine dernière pour présenter son film « J’veux du soleil », invité par le cinéma Eldorado. Entre gilets jaunes, la beauté, le film en lui-même ou Marine Le Pen … Interview fleuve en partenariat avec les amis de Radio Dijon Campus.

Quel a été l’élément déclencheur pendant ce mouvement des gilets jaunes ? La chose que vous vous êtes dit quand vous vous êtes lancé mi-décembre sur les routes ?

Le 17 novembre, je vis un moment que je juge historique puisque c’est quelque chose que j’attends depuis 20 ans. Ça fait 20 ans que je rencontre les gens  chez eux, qu’ils me parlent de leur frigo trop vide, des marques qu’ils ne peuvent pas payer à leurs enfants pour ne pas qu’on se fiche d’eux au collège, des vacances qu’ils ne prennent pas… Mais les gens le font avec honte. On ne peut pas mettre leurs noms de famille, on ne peut pas les prendre en photo, encore moins arriver avec une caméra… Et là, le 17 novembre, c’est le moment où la honte privée devient colère publique. C’est le moment où les isolés, les intérimaires, les auxiliaires de vie sociale, les personnes handicapées, les auto-entrepreneurs… font du collectif sur les ronds-points. C’est le moment où les invisibles deviennent les plus visibles avec leurs gilets jaunes fluorescents, c’est le moment où les muets deviennent bavards, c’est le moment surtout où je me suis demandé « mais quand est-ce qu’ils vont se réveiller ? ». Le moment où les gens les plus résignés se mettent à être traversés par une espérance.

Et donc, ce moment que j’attends depuis 20 ans, je veux en faire quelque chose. Je pense que je suis inspiré par ce moment, comme un artiste peut l’être par une femme ou par un paysage. Et je me dis « j’vais en faire un livre ». On se réunit donc avec mon équipe au self (de l’assemblée, ndlr), pour voir un peu le parcours que je pourrais suivre dans ma traversée de la France. J’ai fait le tour des ronds-points de ma circonscription d’abord, une manif’ à Paris avec les gens de mon coin, et là il s’agissait de prendre le vent du large, d’aller voir ailleurs. Et je croise Gilles Perret, que je connais depuis 15 ans, dans les couloirs de l’Assemblée. Il vient pour un autre film, sur EDF. On mange au self ensemble, il  voit sur quoi on planche, le parcours… Il me dit « je te suis avec une caméra ! ». Je refuse. Marre des caméras, je suis suivi par les caméras tout le temps non merci quoi ! Puis 5 minutes après je l’ai rappelé. Ça c’était le mercredi, le dimanche matin on est parti et on a tourné pendant 6 jours.

En un sens, chaque rond-point est une surprise. C’est comme un enfant qui ouvre un paquet cadeau et qui ne sait pas ce qu’il va trouver à l’intérieur. Un coup c’est un diable qui va sortir, un coup des boules puantes, un chewing-gum salé… En même temps, j’avais déjà fait un repérage dans mon coin, pris la température de ce qu’était ce mouvement. Donc je savais que ce que je voulais ramener, c’était des tranches d’humanité.

Au début du film vous dites qu’un des éléments déclencheurs, ça a aussi été sur votre page Facebook quand vous voyez les syndicalistes traditionnels dire « j’y vais pas c’est un mouvement de fachos ». Et vous allez à la rencontre de ces gilets jaunes.

Je suis reporter, donc je vais voir d’abord. Si les gens ont des discours sur « les immigrés, les réfugiés, les noirs, les arabes » … Tant pis j’en suis pas. Et là le 17 novembre, ce n’était pas une revendication sur le gasoil, mais sociale. C’est sur l’allocation adulte handicapé, sur les contrats aidés, sur le SMIC, sur les petites retraites… c’était ça ! Du social. Si t’es pas là dans ces moments là, bah tu restes chez toi et tu fais rien. Le snobisme de gauche.

C’est-à-dire ?

« On est les purs, on est les meilleurs sur notre Mont Aventin. On regarde le reste de l’humanité, en sachant que nous avons raison ». Quand j’ai fait « Merci Patron », j’étais regardé de travers par « les vrais ». Et au final ils ont remarqué que ça prenait, que les gens aimaient ça. Comme les gens aiment ça ils ont suivi. Et c’était pareil sur le mouvement des gilets jaunes : ils ont regardé de travers, « c’est pas beau, c’est impur ». Et c’est vrai que c’est impur, et j’aime bien ça. Parce que j’aime bien le bordel. Quand on me promet que c’est impur j’y vais !

« C’était pas « pour qui t’as voté?» mais «qu’est-ce qu’on va faire ensemble?». Et ça permet de rassembler, il n’y a pas d’étiquette »

Pour ce qui est des électeurs de Marine Le Pen, je les distingue de ce qu’on appelle « les fachos ». Parce que si j’arrête de discuter avec des électeurs du Front National, je ne sors plus de chez moi, je ne vais plus au bistro… Je ne leur demande pas ce qu’ils ont voté ! Bien que je sache que dans mon coin (dans la Somme, ndlr), j’en ai un bon paquet qui ont voté dans leur « carrière électorale »  pour Marine Le Pen. Et je discute. Parfois je bataille pendant une heure et demie.

D’ailleurs vous l’avez dit quand vous vous êtes présenté : vous êtes député « France Insoumise » et sur les ronds-points, vous allez à la rencontre de ces gens qu’on qualifie de « fachos », « gauchos » …

Eux ne se définissent pas comme ça tu sais. Il y a un travers des journalistes, en permanence c’est de demander « pour qui vous avez voté ? ». Mais ils ne votent qu’une fois tous les 5 ans. Et dans la semaine qui suit ils oublient. C’est comme si tu leurs demandaient la couleur de leurs chaussures. Parfois ça a autant d’importance pour eux que le bulletin qu’ils ont mis dans l’urne… La force des ronds-points ça a été que les gens ne se sont pas posé cette question-là. C’était pas « pour qui t’as voté ? » mais « qu’est-ce qu’on va faire ensemble ? ». Et ça permet de rassembler, il n’y a pas d’étiquette.

Votre étiquette politique a été une difficulté sur les ronds-points ?

Je pensais que ça serait très compliqué pour nous. Effectivement je suis député et c’est un mouvement qui n’est pas très favorable aux représentants. En plus je suis suivi par une caméra qui tourne tout le temps, ce qui est un peu agressif, d’autant plus qu’ils n’étaient pas très favorables aux médias… on partait au casse-pipe. La « chance » qu’on a eu c’est qu’il y avait toujours quelqu’un qui avait vu un de mes discours, sur les femmes de ménages, les clubs de foot… et pour moi c’était « lui c’est pas pareil ». L’accueil était rapide. Pour l’essentiel ils étaient contents.

Pendant votre allocution place du Président Wilson à Dijon, on a entendu un mec dire « si c’est pour entendre autant de conneries faites tourner le micro ! ». C’est régulier ce genre de personnalités ?

Je laisse tourner le micro, même à des gens qui me font des remarques. Mais quand il y a un gros nombre de personnes comme aujourd’hui, tu ne fais pas de la démocratie participative, c’est du flan ! Ça arrive qu’il y ait des happenings, chacun à sa cause et ils profitent que je sois là. Ça fait partie du folklore. S’ils interviennent comme ça c’est parce qu’ils pensent peut-être que mon mode de prise de parole n’est pas si vertical que ça.

Vous rencontrez dans le film une femme, Natacha, qui a honte d’aller récupérer de la bouffe dans les poubelles…

Ouais c’est une personne handicapée, qui est trahie par sa voisine, en direct devant la caméra. C’est assez violent. Si on était des personnages moraux, peut-être que cette scène on ne la garderait pas. Parce que je ne pense pas que Natacha ait envie qu’on dise ça d’elle devant une caméra. Elle fouille les poubelles pour se nourrir et nourrir ses enfants, mais elle n’a peut-être pas envie que ça se sache.

« C’est un film humaniste, sur les beautés étranges »

Dans un premier temps on la voit se noyer, être asphyxiée, ne plus parvenir à parler. Avoir un souffle saccadé, on sent l’angoisse de la honte monter en elle.  Et dans le deuxième temps, c’est d’ailleurs pour ça qu’on peut la garder cette scène, tout le rond-point se fédère autour d’elle. Lui dit « nan mais c’est pas toi, c’est cette France ! Comment ça se fait que dans la 5e puissance mondiale, on puisse laisser permettre ça ? ». Et on voit le rond-point qui l’aide à refaire surface, à reprendre sa fierté. Une brèche, le réel qui surgit comme ça… t’es pris aux tripes.

Sur ce film vous vous êtes positionné comme un artiste et pas comme un député. Ca a changé beaucoup de choses sur ce projet-là ?

Je ne fais pas le film pour avoir un discours politique. Ça ne m’intéresse pas du discours politique j’en sers au kilomètre. Si je fais un film c’est pour avoir une autre approche des choses. Par les émotions, on peut mettre les gens en mouvement par les émotions. C’est peut-être une autre manière de faire de la politique.

Vous avez dit « C’est un film d’amour, et je voulais dire à ces gens qu’ils sont beaux. »

C’est un film d’humaniste. Sur les beautés étranges. C’est-à-dire les visages. Marqués, fracassés, cernés, ridés. La violence sur le corps. Et je pense que la caméra de Gilles (Perret, le coréalisateur, ndlr) les rend beaux. Les ronds-points sont les endroits les plus moches de France. Et ils sont devenus beaux parce que les gens les ont habités, y ont mis de l’âme. Et même le gilet, c’est ce qu’il y a de plus moche… et ça devient beaux parce que revendiqué comme une fierté, comme un drapeau. Je pense profondément qu’on a fait un film sur la beauté, des paroles et de l’espérance.

 Comment ça s’est articulé votre coopération avec Gilles Perret justement ?

Je ne voulais pas d’un film sur moi. Il y a un cadrage que j’apprécie, c’est par-dessus l’épaule. On voit un bout de mon épaule effectivement, on voit à travers moi. Il y a une subjectivité et un fil conducteur, un narrateur. Mais en revanche, les héros ce sont les gens. Gilles a ce savoir-faire, d’aller cueillir des images autour, alors qu’on a un tournage hyper rapide. Si j’avais été derrière la caméra je l’aurais arrêtée 100 fois, et lui continue et va chercher les choses à droite à gauche. A deux seulement, on a une vraie proximité avec les gens.

S’il y en a un, quel film ou documentaire vous a inspiré pour faire le vôtre ?

Y en a un pour tous les deux, on en a discuté avant de partir. C’est « Western », de Manuel Poirier. J’sais pas si t’as vu ça.

Pas vu !

Je te le conseille ! J’appelle ça du road movie de proximité. Ou « Quand la mer monte… » de Yolande Moreau. Le meilleur film sur le Nord selon moi. Et c’est pareil, c’est du road movie de proximité.

Votre film évite Paris, on ne passe dans aucune zone de la région parisienne. Il y a une raison ou c’est le hasard des calendriers de la route ?

Déjà on a tourné du dimanche au vendredi, donc on n’a pas de samedi. Par ailleurs, même les scènes de foule qu’on a sur les ronds-points, ce ne sont pas des scènes qui marchent. Parce que tout le monde nous parle. Ca fait des images belles, mais au fond on n’arrive pas à entrer dans l’intimité d’une personne. Et je sais par expérience que les manifestations ne sont pas de bons moments de tournages. Les gens crient des slogans et tout ça, mais pour venir saisir quelque chose de l’individualité de la personne, ça ne marche pas.

Et par ailleurs surtout, le 17 novembre toute la journée je faisais la tournée des ronds-points de ma circonscription sur une Harley-Davidson parce que c’est un peu « Mad Max » (y a personne sur les routes et des barrages partout). J’allume ma radio et j’entends « heurts sur le pont de la Concorde ». Même quand il y a un mouvement de la France périphérique, avec les invisibles qui se réveillent, c’était ramené à Paris, Paris, Paris…

Qu’est-ce que vous attendez de ce film ? Est-ce qu’il va avoir une histoire ? Maintenant que vous l’avez lancé il fait sa vie et vous la vôtre ?

Nan nan, on fait notre vie ensemble ! Il y aura une séparation à un moment mais là je le porte. Pour qu’il vive dans les salles de cinéma, mais aussi pour qu’il vive à l’extérieur. Le monter et le montrer aussi vite, c’est un choix politique. Il ne s’agit pas d’avoir un témoignage pour garder la trace de ce mouvement, comme on met une épitaphe sur une tombe. Mais d’en faire un outil d’intervention au présent. A l’automne on a écrit une belle page de notre Histoire, maintenant c’est un chapitre complet qu’on doit écrire.

  • Propos recueillis par Martin Caye, le vendredi 29 mars 2019 au cinéma Eldorado à Dijon.