Pas mal fatigué par le rythme de sa tournée, assagi mais toujours révolté.. petite discussion avec Miossec avant son passage à la Poudrière de Belfort le 16 mai prochain.
Entre tristesse et optimisme, Miossec signe avec « les Rescapés », son album le plus personnel musicalement depuis « Boire » sorti en 1995. Paradoxalement, il est le plus universel. Le chanteur y parle réchauffement climatique, migrants, crise économique… Des thèmes en lien avec les problématiques actuelles sur fond de mélodie beaucoup plus « groovy » que les albums précédents. « Je n’aurais pas pu chanter ces paroles sur des mélodies tristes, sinon c’était à se pendre ! » nous confie t’il amusé. Miossec veut désormais arriver à faire danser des salles entières comme il le chante dans le titre « On meurt » plutôt que « plomber des salles entières ! Vu l’époque dans laquelle on vit, je pense que les gens n’ont pas besoin de cela. Je ne me vois pas donner des concerts accablés ».
On n’a plus le temps…
« On n’a plus le temps car ce n’est plus possible de freiner / On n’a plus le temps car c’est comme ci les jeux étaient déjà faits / On n’a plus le temps mais on fait comme si de rien n’était… » Non, cet extrait n’est pas tiré du dernier bouquin de Pablo Servigne mais d’un des derniers titres du chanteur intitulé « Nous sommes » (avec, aux chœurs, la talentueuse Jeanne Added). L’album s’ouvre, en effet, sur un constat d’urgence assez fataliste… Un brin collapsologue Christophe Miossec ? « Je connais bien sûr la collapsologie. Je m’y intéresse. On est dans une période assez alarmante…On découvre les catastrophes malheureusement trop tard. Puis on continue comme si de rien était… Mais pour reprendre Sénèque « la vie ce n’est pas d’attendre que l’orage passe mais c’est d’apprendre à danser sous la pluie ». Cette citation résume, à elle seule, la philosophie de cet album. Cette chanson « Nous sommes » est née d’une rencontre entre Christophe Miossec et Laurent Chauvaud, écologiste marin et spécialiste de la coquille Saint-Jacques. Un coquillage qui s’avère être un témoin très fiable de l’état de la planète. Et le constat semble clair : notre planète est en train de crever.
Aussi, Miossec décide de se faire l’écho des travaux de son ami qui cherche, en vain, à alerter le plus grand nombre et pas seulement la communauté scientifique « écrire une chanson sur les coquilles Saint-Jacques, ce n’était pas trop mon truc… alors j’ai tenté autre chose, qui peut s’appliquer aussi à moi et au monde dans lequel nous vivons ». Pas complétement résigné, le chanteur a tout de même envie d’y croire. Car c’est aussi d’espoir dont il s’agit dans cet album. Il y est question de bouleversements et de catastrophes mais aussi de la nécessité de se battre. Les rescapés sont avant tout des survivants. Là encore le parallèle avec sa vie est assez limpide…
Second souffle
Rescapé, il l’est, assurément. En 2010, les médecins lui annoncent qu’il est atteint d’ataxie, une maladie neuromusculaire. L’annonce est brutale : plus une goutte d’alcool ou c’est la chaise roulante. « Je n’aurais jamais du boire un seul verre d’alcool de ma vie. Je n’ai pas le cerveau pour… Aujourd’hui, je ne bois plus une goutte ». Miossec renoue avec le « Je » le temps d’une chanson (« Je suis devenu ») avec un constat assez émouvant sur son parcours de vie : « Je suis devenu ce que j’ai récolté / Ce qui m’est tombé d’ssus et ce que j’ai bien pu ramasser / Je suis devenu ce que je redoutais / Mais j’m’en suis aperçu qu’une fois le mal, déjà fait ». Un morceau introspectif réellement touchant. « Avec l’âge on arrive un peu plus à regarder ce que la merde a pu nous apporter de bon. L’annonce de cette maladie a été clairement le début d’une seconde vie pour moi…et puis ça se résorbe, ça va un peu mieux. »
Tel un vieux marin, il a connu pas mal de mers agitées et il sait qu’il en verra d’autres. Il connait les eaux troubles sur lesquelles il navigue, il sait bien qu’une prochaine tempête va arriver, mais pour l’heure il profite de l’accalmie en vivant pleinement son métier d’artiste. « C’est quand même agréable de faire de la musique. Je n’arrête pas de tourner. C’est chouette d’aller à la rencontre des gens, de faire des petites salles… Puis la musique est un jeu. Par exemple sur cet album j’avais envie de m’amuser d’un point de vue instrumental. On n’a utilisé que des instruments qui existaient dans ma jeunesse mais qu’à l’époque on ne pouvait pas s’offrir car ils coûtaient trop cher. »
Miossec reste, sur cet album, immensément touchant. Sûrement parce qu’il sait si bien, avec ses mots, mettre des paroles, des images et des sons sur la complexité de nos sentiments et de nos vies, et maintenant de notre époque.
- Delphine Fresard