On a rencontré Bertrand Belin après un concert qui nous a mis sur le cul à La Rodia à Besançon, le 18 mai dernier.
Bonjour Bertrand Belin, d’où vient le nom de ton nouvel album « Persona » ?
Tu sais, bon, c’est enquiquinant de donner un titre à tout. Un album se passerait bien d’un titre. C’est amusant mais, au bout de cinq, six albums, parfois ça peut paraitre accessoire. En lisant un article de presse, je suis tombé sur ce mot « Persona », un mot qui nous est familier même si on ne l’utilise pas beaucoup. Un mot qui évoque tout de suite, à défaut de choses très précises, une sorte de position étrange quant à l’humanité, à la biologie, à l’aspect «corps /esprit », quelque chose de métaphysique. L’article que je lisais faisait référence à l’emploi que l’on peut en faire dans le domaine du commerce pour vendre des épingles ou des gants de toilette, on est amené à créer le prototype d’un acheteur potentiel. Et le nom que l’on donne à cet acheteur c’est « Persona ». Je trouvais que c’était vilain, de se dire que l’on était potentiellement des « Persona » dans l’esprit des autres. Je n’arriverai jamais à me représenter les autres que moi comme des cibles, des dindons de la farce .Ça existe pourtant, même en temps de paix.
Quand tu étais adolescent, quelles étaient tes sources d’inspiration ? La musique, le cinéma, la littérature ?
Quand j’étais adolescent, il n’y avait pas de littérature. Mon adolescence on peut dire qu’elle a commencé un peu tard. Tout ce que à quoi on peut s’adonner quand on treize, quatorze ans moi j’ai commencé vers dix-huit ans. J’ai l’impression que mon adolescence, d’un point de vue de l’inflation de culture et découvertes, ça commence assez tard. J’ai commencé la guitare vers treize ans, donc je me suis intéressé aux musiciens, en particulier à ceux qui jouaient de la guitare électrique. Je suis très vite allé vers la musique Rock, et plutôt Américaine. J’avais un grand frère qui m’a initié au Rock n’ roll des années cinquante / soixante, au Rockabilly. Ca comprenait Hank Williams, Johnny Cash, Elvis, Eddie Cochran, ce petit panier de grands classiques de la musique Américaine de cette époque-là. Mais ça c’était l’influence de mon grand frère. Moi j’avais découvert Thiefaine . J’écoutais Thiefaine au walkman qui m’emmenait dans des territoires vierges, avec des vocabulaires insensés que je ne comprenais pas. Tout ça me faisait une destination. Je me disais que peut-être un jour je fréquenterai les mondes qu’il y a là-dedans, c’était très inspirant. A l’adolescence il y avait aussi Dire Straits avec Mark Knopfler qui était un instrumentiste que j’ai beaucoup admiré. Sur ses deux premiers albums, on remarque sa sensibilité particulière qui n’avait pas échappé à Bob Dylan d’ailleurs, et qui l’avait engagé pour produire l’un de ses disques. Après on m’a conseillé d’écouter Hendrix, mais à cet âge ce n’est pas simple au niveau de la production des sons, je ne comprenais pas trop ce que l’on voulait me faire aimer la dedans. J’ai compris plus tard. Mais ce n’a jamais été trop mon monde.
Il y a eu un déclic qui a fait qu’un jour, tu as décidé de quitter la Bretagne pour Paris ? Ou les choses se sont faites progressivement ?
Non, ça c’est fait de manière totalement imprévue et imprévisible. Je n’avais pas du tout l’intention de partir ou de rester. Je pense que j’avais à terme l’intention de partir. Je suis parti comme on part dans les romans. A dix heures je ne savais pas, à onze heures j’étais dans le train. Je suis parti d’un coup sec.
Quel rapport as-tu aujourd’hui avec la Bretagne ? Y retournes-tu souvent ?
Mes parents sont morts aussi je n’ai plus ce lien avec la ville de Quiberon que j’avais au travers de mes parents. Par contre j’ai encore des frères qui vivent là-bas et qui sont pêcheurs et que je vais visiter assez souvent. J’étais à Quiberon il y a encore quinze jours. J’y ai encore des attaches. Mais les gens de ma génération sont partis bosser ailleurs, pas tous mais la plupart. Dans la bande que je fréquentais à l’époque, j’ai encore un ou deux copains, qui continuent à faire de la musique, comme ça. Rapport de fraternité et de connivences. On a ces bons souvenirs ensemble. On a joué ensemble pendant quatre à cinq ans. On avait des groupes, on faisait des concerts. A l’adolescence ça compte. On a cela en commun.
Comment écris-tu tes chansons ? Tu as des carnets ? Tu notes des choses ?
J’ai eu des carnets à une époque mais maintenant, avec les téléphones… J’ai un truc qui s’appelle « notes », c’est gavé de notes… De temps en temps je note quelques mots qui me sont venus, alors régulièrement je me balade dans ce relevé de notes et je tape au hasard sur des trucs (il me montre son téléphone et navigue dans le menu). Un havre de paix, le calme sur la baie. Je viens de trouver ça. Aujourd’hui je n’ai pas l’intention de m’en servir, mais qui sait si un jour… Donc en fait c’est le carnet, c’est plus ou moins le carnet. Sauf que c’est digital, et que c’est moins facile à perdre, enfin on dirait.
Et pour les romans, est-ce que tu décides de périodes d’écriture et avoir une certaine rigueur ?
Non, pas du tout. Je n’y arrive pas. J’écris quand j’ai quelque chose à écrire. Mais pas quand j’ai du temps. Ce n’est pas possible. J’aimerais bien que ça coïncide mais ça ne fonctionne pas comme ça. J’écris quand tout est en œuvre pour que je me lance mais ce sont des choses qui sont difficiles à évaluer. Je préfère ne pas fréquenter l’écriture plutôt que fréquenter le balbutiement. Quand j’écris j’aime bien que ça parte comme un coup de feu. Je ne suis pas un besogneux de ce point de vue-là.
Prenons un morceau comme « Sous les lilas », comment ça fonctionne ? Tu écris et tu as déjà des mélodies, ou le contraire, ou il n’y a pas de règle ?
Il n’y a pas trop de règle. Il m’arrive d’arriver dans mon petit local ou je fais de la musique, et puis je ne me mets pas en situation de réfléchir. Je branche les instruments. Je me laisse faire. Je fais. Je prends un tempo, un peu au hasard. Je mets une petite batterie en place puis je me laisse rêver. Parfois ça fait jaillir des fragments de musique. Là ça commence à m’inspirer. Et là je vais dans mes notes. Et puis je retrouve tout, je vois tout, j’entends tout. Par exemple. Et puis je commence à coudre un peu les choses ensemble. Il faut qu’il y ait un peu de musique. C’est la musique qui m’inspire à la place des mots. Je ne peux pas écrire un texte sur une page blanche qu’ensuite je mettrais en musique.
Fais-tu des cauchemars récurrents ?
Non mais des rêves chroniques j’en ai. Des cauchemars récurrents j’en ai eu il y a très longtemps. Je fais un rêve qui n’est pas tout à fait agréable. Je conduis une voiture et comme je n’ai pas le permis, dans la vie non plus, je sais que, dans mon rêve, je ne conduis pas bien. Et là, ça devient dangereux, périlleux, et je me dis que c’est la fois de trop. C’est un peu un petit cauchemar, que je fais de temps en temps.
J’ai un autre rêve, ce n’est pas tout à fait un cauchemar, pas les trucs qui te mettent en sueur, mais c’est étrange. Je me rends compte que j’ai quitté un appartement que je louais genre il y a vingt-cinq ans, mais je n’ai dit à personne que je partais, donc je dois plus de vingt ans de location. Et je retourne de temps en temps dans cet appartement, qui est équipé des biens que j’avais à l’époque, que personne n’a repris, et je me dis que la propriétaire attend le bon versement des loyers. Il s’agit d’une propriétaire, c’est à noter quand même. Sinon dans les rêves, je fais des rêves de pêches, des pêches miraculeuses souvent…
Quelle est l’origine de ta collaboration avec les Liminanas ?
Nous nous sommes rencontrés dans un festival à Melbourne, en Australie. On a fait connaissance là-bas, on est resté une huitaine de jours à fréquenter les mêmes festivals. On a joué dans deux, trois places ensemble. On dormait dans les mêmes hôtels. On a passé du bon temps ensemble. Je suis surtout tombé très amoureux de leur musique et de la façon de la faire, de la restituer sur scène. On a commencé une correspondance avec Lionel jusqu’à ce qu’un jour il me propose, en m’envoyant quelques fichiers sonores, me disant que c’était pour l’album, et me demandant si je voulais écrire un texte, chanter. J’ai fait ce texte. Je ne savais pas que le groupe voulait garder ma voix. J’avais simplement chanté pour montrer ou tombaient les paroles. Ça a commencé comme cela.
Quels sont tes coups de cœur musicaux du moment ?
BERTRAND BELIN : Je suis en train de découvrir le nouvel album de Fat White Family qui s’appelle Serfs up ! Sinon un ami m’a fait découvrir La petite messe solennelle de Rossini, un monde tout à fait autre. J’ai aussi découvert une chanteuse Syrienne qui s’appelle Waed Bouhassoun. J’écoute aussi des nostalgies que je n ‘ai pas écouté depuis vingt-cinq ans.
Et côté littérature ?
Je lis Bernanos en ce moment.
Quel est ton mot favori de la langue française, si il y en a un ?
Ça souvent été clavicule. Clavicule, clavicule…
J’ai entendu, dans une ancienne interview radiophonique, que tu écoutais Renaud ! Est-ce toujours le cas ?
Ah oui j’aime toujours Renaud ! J’ai encore réécouté il n’y a pas longtemps. Je ne connais pas trop ces récents disques, et ce que j’ai entendu de ces derniers albums ne m’a pas plu du tout. Ça ne m’intéresse pas, clairement pas du tout ! Mais par contre nombreux de ses premiers disques tiennent largement le pavé. Il était dans une tradition d’expression Française héritée de Brassens. Cette formulation percutante, il était très doué. C’était des influences musicales assez « country Rock » à cette époque, mais tous ces albums avec « La teigne », tous ces trucs, comment ça s’appelait ce machin-là ? Tu sais, le type est entré dans le bar, a commandé un café noir… « Laisse béton ». Quand on réécoute ces disques-là, on est face à quelqu’un qui croque la société dans laquelle il est plongé avec pas mal de délectation et beaucoup de réussite. J’écoutais ça quand j’étais ado. Après, c’est très occasionnel que j’écoute Renaud. Mais bon, c’est quelqu’un qui a une place importante dans le développement de la poursuite des choses.
Un morceau comme « Camarade », tu vas chercher cette inspiration dans l’actualité du quotidien ?
Non, non, non. J’ai travaillé à travailler ça fait six, sept ans que j’avais ce truc dans la tête. Ce que je trouvais amusant, c’est qu’on puisse dire j’ai travaillé à travailler. Il y a quelques verbes que l’on peut utiliser comme ça. Il faudrait voir à voir. Des petites permissions de la langue, de la syntaxe, que je trouve assez marrantes. Il y a quelques fois dans la vie ou l’on répète les choses. Par exemple un diminutif, pour atténuer un effet. Plutôt que de dire bonjour, on peut dire bonjour bonjour ! Et cela donne un effet de sympathie. Parce que cela créée un effet un peu ludique, comme si l’on s’adressait à un enfant. On avance, on avance, on avance… Tu vois. Allez allez ! Ce sont des curiosités du langage parlé. Je suis attentif aux accidents de la langue. Comme je suis attentif aux fautes et aux inventions liées à l’inconnaissance de la langue. Ce sont des trésors qui se cachent.
Propos recueillis par JC Polien / photos JC Polien.