Nathan Carême a posé sa ligne sur les bords de Saône. Dans son épuisette, des objets du quotidien jetés là au hasard des passages. Le jeune artiste leur a consacré une expo-performance, « Des profondeurs à la lumière« , présentée le mercredi 29 mai à l’Abattoir de Chalon-sur-Saône.
Tout le monde, ou presque, connaît Chalon dans la rue, le festival des arts en espace public. Ce que le public connaît moins, c’est l’envers du décor et le Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public : le CNAREP. Un centre national qui œuvre toute l’année au soutien de la création artistique en espace public. Résidences, co-productions, performances, les projets s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Un fil rouge : investir l’espace public. La rue, les places mais aussi l’ensemble des lieux de rencontres. Un parking, une façade d’immeuble et … les bords de Saône. C’est ainsi que Nathan Carême est intervenu à l’Abattoir. Un prélude à l’édition 2019 du festival sous-titrée « De l’eau au moulin » et ses déclinaisons de l’eau sous toutes ses formes…
Étudiant à l’École Media Art du Grand Chalon depuis 4 ans, Nathan Carême pêche à l’aimant. Une pratique d’investigation répandue chez les chasseurs de trésor. Un aimant attire les monnaies et autres objets métalliques précieux. Les collectionneurs récupèrent. Nathan est de ceux-là. Seulement, dans sa musette, point de trouvailles exceptionnelles. Nathan s’intéresse au banal. Il pêche des capsules de bouteilles, des clous, des vis, des petites cuillères. Des objets oubliés, rejetés, auxquels il donne une nouvelle valeur.
« On s’attendrait à voir des pièces d’or et on tombe sur des vieux clous rouillés. Mon projet s’appelle Fortune et c’est assez ironique. Ces objets n’intéressent personne d’autre que moi. J’ai toujours adoré collectionner les choses. Les gens jettent, moi je garde. Je récupère tout. Je garde, je classe, comme un archéologue qui donne du sens au moindre objet. Je sors les ruines de la Saône et j’en fais une création », précise-t-il.
Nathan part avec son vélo sur les bords de Saône, jette une corde et récupère des objets métalliques. Puis il les classe et les inventorie. « Je fais plusieurs trajets avec mon sac à dos. Si c’est trop lourd comme lorsque j’ai pêché des panneaux de signalétique ou des barrières Vauban, je reviens avec des amis. Je pêche, j’accumule tout en vrac et puis à un moment j’ordonne, j’étale et je classe ».
Le mercredi 29 mai à l’Abattoir, le CNAREP de Chalon, Nathan accueillait le public dans une curieuse exposition. Une salle sombre, à peine éclairée, à forte odeur de vase. Au sol, des objets parfaitement ordonnés, avec une précision chirurgicale.
« J’ai pesé chaque objet pêché et je les ai ensuite organisé par poids, avec des tranches de 10 grammes, 50 grammes, en montant progressivement jusqu’à plusieurs kilos. Le poids est important dans mon travail. La valeur des marchandises se fait au poids, quand les ferrailleurs vendent les métaux, pareil. Il y a un lien entre poids et valeur. Chez moi les objets n’ont aucune valeur. La classification vient du poids et de la taille. Ça crée des échelles. En plus, au fond de l’eau, les objets grossissent avec le temps. Ils se couvrent de rouille, d’algues, de moules. Plus ils sont immergés, plus ils deviennent lourds. C’était donc cohérent de les classer comme ça ».
Une lumière tamisée, des objets alignés sur le sol carrelé. Une ambiance froide, abyssale. « Je voulais amener un côté immersif, comme si le public nageait dans les profondeurs. La salle de l’Abattoir s’y prêtait parfaitement alors j’ai joué le truc à fond. J’ai crée un espace humide en arrosant tous les jours les pièces avec l’eau de la Saône. Ça donne une odeur très forte et ça amène une atmosphère particulière, sous-marine, comme si les objets étaient encore au fond de l’eau. En plus ça colle avec la démarche des archéologues. Quand ils récupèrent des objets dans l’eau, ils les gardent humides ou les remettent à l’eau pour éviter qu’ils ne se désagrègent. Ça m’amusait de reprendre les techniques des archéo, parce que c’est un peu ce que je suis ».
Le public se surprend à contempler ces objets oubliés. Sous la lumière blafarde des néons, avec l’odeur qui prend à la gorge, les choses prennent une autre dimension. Une autre valeur aussi, comme en ethnologie. L’objet commun devient pièce de musée. « Je suis passé du désordre sous-marin où tout est aléatoire et chaotique à une exposition hyper ordonnée, très carrée ». Le visiteur observe une série de fourchettes, plus ou moins attaquées par la corrosion ou des clous, par dizaines. Il prend conscience de la masse d’objets jetés dans le fleuve et de l’impact de nos déchets sur l’environnement.
La démarche de Nathan Carême se situe entre la performance artistique, l’archéologie, la sensibilisation écologique et le loisir. Lui-même se considère comme un artiste – ferrailleur, tendance collectionneur et écologiste. Loin de l’artiste isolé, il cherche à transmettre et partager. Il présente son exposition, puis conduit le public vers les bords de Saône, aux sources du projet. Les spectateurs participent, lancent l’aimant, attrapent ce qu’ils peuvent. « Je trouve ça super que le public s’approprie le truc. Y en a peut-être qui vont acheter un aimant et faire pareil. Dans 10 ans, il n’y aura plus de métal dans la Saône et je n’aurai plus de quoi faire mon projet… », ajoute Nathan avec humour. « Les gens m’interpellent dans la rue quand je pêche, ça les intrigue. C’est cool si ça peut les toucher».
Quant à l’avenir de son exposition, Nathan ne sait pas encore. Il a des pistes. Dans l’immédiat, il va arrêter d’humidifier les pièces. Elles vont ainsi se craqueler, sécher. L’exposition s’arrête et les œuvres meurent, enfin pas totalement. Une troisième vie les attend. Nathan souhaiterait prolonger et exposer cette fois dans un musée d’archéologie. La boucle serait bouclée. Pour pousser un peu plus le concept, il pense aussi à créer une édition, continuer de classer les objets, en faire un inventaire et les lister dans un document papier. Le catalogue des objets oubliés… A suivre.
- Erika Lamy
Crédits photos : Thomas Lamy