Avec ses mythiques lunettes fumées bleues et son look parfaitement impeccable, l’homme a trop longtemps été cantonné à son allure de dandy. On l’a rencontré lors de son passage à la Rodia, le 6 juin dernier. L’allure, certes, mais le talent, indéniablement. La gentillesse et la modestie en prime… C’est sûrement ça, qu’on appelle la classe.

On aimerait écrire qu’on ne le présente plus… hélas, B.B, malgré une très grande reconnaissance critique, peine à toucher un large public. Pourtant, avec son dernier album «Les choses qu’on ne peut dire à personne», le patron du label indépendant Tricatel a encore prouvé qu’il était le patron tout court. Un album à son image : intemporel et inclassable. Ajusté comme ses costards. Une pépite. Interview :

Résumons brièvement votre parcours : vous êtes musicien, arrangeur, producteur, patron de label. Vous avez collaboré sur près de 200 albumsavec des artistes allant de Dépêche Mode à Katerine en passant par Valérie Lemercier et Michel Houellebecq. Vous avez publié neuf albums sous votre nom et composé la musique de plusieurs films dont le dernier en date «Yves» de Benoît Forgeard, en salles le 26 juin… Comment arrivez-vous à gérer ces différentes casquettes ?

C’est parce que je ne fais pas beaucoup d’autres choses ! Je ne suis pas très vacances, je ne vais pas faire les expos… J’ai la chance de faire dans ma vie des choses qui m’intéressent donc je ne perds pas de temps sur les trucs que j’aime moins. Après, c’est sûr que ça demande un peu d’organisation… Concernant ma musique, je suis mon propre label, c’est donc à moi de me pousser au cul à faire le disque. Là, j’ai attaqué un nouvel album mais il y a des semaines où je ne fais pas du tout de musique car je suis obligé de m’occuper d’autres choses, de faire vivre Tricatel, de créer des musiques de commande pour financer d’autres projets… La musique devient donc un peu comme une récompense au final !

Vous écrivez pour les autres mais très peu pour vous. Aussi, dans votre dernier album vous signez pour la première fois quelques titres…

J’ai écrit effectivement trois titres pour «Les choses qu’on ne peut dire à personne», je pense être moins timide qu’avant, moins inhibé. Mais sinon j’ai toujours travaillé avec des paroliers. Cela me permet de dire des choses plus personnelles car je m’auto-censure davantage quand j’écris pour moi. Interpréter les paroles de quelqu’un d’autre ça libère, on n’a pas l’impression de raconter sa vie. Et puis quand on a la chance de connaitre des auteurs formidables, dont on se sent proches, c’est une chance. J’essaye de mettre en valeur le plus possible leur travail.

Votre album contient 19 titres, une démarche pas vraiment dans l’air du temps…

Je ne voulais ni me censurer, ni jouer au concept-album avec des longueurs. En fait, j’ai été marqué dans ma vie par des tas de disques qui étaient des espèces de labyrinthes dont je ne pouvais pas faire le tour en une fois. Des albums que j’ai pris en pleine face. Instinctivement, j’ai tendance à aller vers ce genre d’album. De toute façon, si je faisais quelque chose de plus condensé, je ne suis pas sûr que ça ait plus de succès vis-à-vis du grand public, donc autant aller au bout de l’idée !

Concernant vos goûts justement, quel fut votre premier émoi musical?

Le groupe qui a changé ma vie c’était Pink Floyd. À 10 ans, Je suis tombé sur le disque The Dark Side Of The Moon qui m’a donné envie de connaître tous leurs albums précédents. En 1974, j’ai eu la chance d’assister à leur concert à la Halle aux vins de Colmar. Un émerveillement. Ce concert fut révélateur pour moi, c’était magnifique. À la même époque j’ai vu Van der Graaf Generator et Kraftwerk, ces concerts m’ont également énormément marqué !

Et votre dernier coup de cœur ?

Ça fait un an que j’écoute beaucoup Louis Cole, un américain. Il y avait ce bassiste, là, Thundercat, qui avait la cote… Dans son second album, il y avait un morceau que je trouvais dément mais ça ne ressemblait pas à ce que faisait Thundercat, en me renseignant sur ce titre, j’ai vu qu’il était composé par son batteur, Louis Cole. Gros coup de cœur. Il a sorti un album il n’y a pas longtemps et c’est assez incroyable. Il est à la fois batteur et claviériste… Ce que je trouve époustouflant, c’est quand des gens arrivent à faire des propositions aussi sophistiquées qui soit, en même temps, comprises par le public. J’aurais adoré signercet artiste !

Votre label justement se nomme Tricatel du nom de l’industriel fictif Jacques Tricatel (caricature de l’industriel Jacques Borel) PDG d’une chaîne de restauration de nourriture industrielle dans le film de Claude Zidi, «L’Aile ou la Cuisse». Une référence cinématographique populaire pour une maison de disque, quant à elle, très pointue et confidentielle, c’est assez paradoxal…

Oui, effectivement, mais je n’ai jamais essayé d’influer sur mon image. D’une façon ou d’une autre. Ni pour l’entretenir, ni pour l’arrêter. Si on commence à penser à cela on rentre dans des calculs pas intéressants. Je n’ai jamais eu ces hiérarchies la, entre art populaire et art plus confidentiel. Un film comme «Yves» de Benoît Forgeard, je souhaite vraiment qu’il marche car c’est important que le cinéma commercial, le cinéma populaire, soit fait pas des gens intelligents, intéressants, ça a d’ailleurs longtemps été le cas. Il ne faut pas laisser la culture populaire entre les mains des chaines de télévision. Ce que j’aime dans la musique, c’est qu’on fait abstraction des origines de chacun, hélas le marketing à tendance à segmenter tout ça. En tout cas, je souffre de cette fausse image. On m’imagine comme un musicien ultra-pointu, très branchée alors que je préférerais séduire le grand public. Les gens qui collent des étiquettes c’est souvent en référence à eux même. Ceux notamment qui traitent les autres de «branchaga» sont les gens qui sont obnubilés par la branchitude. Je ne peux rien faire contre cela. Finalement, ces inexactitudes la m’en apprennent plus sur ceux qui les formulent.

Aujourd’hui, avec des artistes comme Chassol ou le collectif Catastrophe, votre maison de disque connaît enfin la reconnaissance dupublic. Tricatel a pour devise, «Tout espérer, ne rien attendre» … ça valait la peine d’être patient!

Effectivement ! On a eu connu des moments de découragement mais là c’est une belle période pour le label, on sort peu de choses mais le rôle d’une maison de disque c’est d’emmener des artistes qu’on aime à être compris, à trouver leur public, c’est le cas pour Chassol, c’est le cas pour Catastrophe et en ce sens, on aréussi notre pari! C’est extrêmement gratifiant pour moi et j’en suis très heureux.

Vous avez dernièrement composé la musique du dernier film de Benoît Forgeard, «Yves», présenté en clôture de la Quinzaine des Réalisateursdu dernier festival de Cannes, qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

L’écriture très précise de Benoît. Derrière des airs d’absurdité, il y a une vraie vision de notre société. J’étais déjà conquis dès la première lecture du scénario. On se connait depuis 7 ans avec Benoît. Ça a commencé en 2012 quand on faisait le «Ben & Bertie show». On a également collaboré sur son film «Gaz de France» et sur l’un de mes clips (ndlr : «Les choses qu’on ne peut dire à personne»). Concernant «Yves» ça me fait très plaisir de voir que Benoit a été compris, en tout cas l’accueil du public cannois a été très bon, ça riait beaucoup.

«Yves», c’est l’histoire de Jérem’ (interprété par William Lebghil), un jeune rappeur de banlieue pas très inspiré devenant testeur d’un frigo intelligent qui se met à composer des tubes de rap de façon plus talentueuse que lui… Avez-vous également composé les morceaux de rap du film ?

Non, j’ai commencé mais ça faisait pastiche. Pour la véracité du film il ne fallait pas que ça sonne faux. J’ai essayé en tout cas… Les titres sont marrants mais ce n’était pas crédible. C’était ma version idéalisée du rap seulement il fallait vraiment que ça ressemble à du vrai rap d’aujourd’hui. Si le film racontait la vie d’un accordéoniste auvergnat on aurait pris un joueur de cabrette, ben là c’est pareil ! On a donc demandé à de vrais rappeurs. Il fallait aussi pouvoir driver William Lebghil qui rappait pour la première fois.

Quels sont vos projets en cours ?

Je prépare donc un double-album, que j’ai déjà commencé à enregistrer. On a également pas mal de projets pour le label… Mais là il faut surtout que je me dégage du temps pour ce nouvel album en préparation, j’espère une sortie pour la fin d’année !

  • Delphine Fresard

Crédit photos : JC Polien