Samedi 9 novembre, le Suédois Jay-Jay Johanson repassait 21 ans plus tard à La Vapeur, à Dijon. On l’avait croisé pour son 3ème album Poison, on le rencontrait de nouveau pour son 15ème : King Cross. Une interview en compagnie de Chief Tristan, cuistot à La Vapeur et pour l’occasion ce soir-là, notre traducteur.

Comment tu as conçu et pensé ton dernier album ? Pour moi, c’est un disque qui retrouve des idées du passé de Jay-Jay Johanson.

Je n’ai jamais arrêté d’écrire, donc chaque album est une continuité. Au bout d’un moment, quand je suis satisfait, j’arrête, on sort le disque, mais tout en continuant d’écrire pour le prochain. Je ne vais jamais en studio avec un concept précis, c’est un long développement de choses qui arrivent. Dans les années 90 on travaillait surtout avec un sampler, alors que maintenant c’est surtout de l’improvisation en studio. On est les 3 mêmes personnes à bosser ensemble depuis 25 ans, et parfois si on a besoin d’une personne qui joue du trombone ou d’un instrument qu’on ne joue pas, là on fait appel à des artistes supplémentaires. Parfois on veut mélanger les choses, on s’ennuie un petit peu, donc certains albums vont être un peu plus électroniques ou plus acoustiques. Mais la façon d’écrire est la même, c’est la façon de produire les albums qui a changée.

Justement, quand je parlais d’idées du passé, c’est la volonté de travailler sur de vieilles formules ?

Ce n’est pas quelque chose qu’on planifie. Peut-être que c’est ta perception des choses car on travaille depuis longtemps ensemble, et quand on travaille sur une chanson on veut vraiment que ce soit la plus belle possible. On n’essaie pas de revenir sur des anciens sons… Tu sais, la musique, la créativité fonctionnent par cycles. Peut-être qu’on retombe sur un cycle mais peut-être que c’est toi, ton cycle, qui retombe sur notre musique.

Aujourd’hui, 25 ans après, quel rapport tu entretiens avec le son, avec la musique ?

Pour moi, un moment clé quand j’étais enfant, la révélation, c’est Chet Baker. J’étais assez timide et assez calme. En écoutant, je pouvais être comme lui. Un autre moment important, c’est quand j’étais en école d’art à Stockholm. Notre batteur était quelqu’un qui travaillait avec Neneh Cherry, qui bossait aussi avec Massive Attack à cette époque-là, et quand il est revenu à Stockholm, je lui ai fait écouter mes morceaux et je lui ai demandé s’il voulait jouer avec moi. Ça a commencé comme ça… Aussi ce qui m’a beaucoup aidé, c’est que pour le premier album, ça a tout de suite fonctionné, on avait un label. En tant que nouvel artiste j’ai eu de la chance d’avoir ce label français. Aujourd’hui ça aurait été beaucoup plus difficile pour un artiste « indie » comme moi, même si le téléchargement illégal et le streaming nous aident aussi beaucoup à nous développer !

Est-ce qu’un jour tu vas sortir un disque classique, conventionnel, de jazz ?

C’est très intéressant car avant que le batteur revienne de Londres à Stockholm, je travaillais sur des rythmes jazz, je ralentissais des beats de hip-hop, mais c’était un peu chiant et très rétro, alors que je voulais un son moderne. Donc quand le batteur est revenu, je lui ai fait écouter, il a arrangé ce sur quoi je travaillais.

Tu parlais de Neneh Cherry, Massive Attack… Ce sont des artistes que tu as côtoyés et à qui tu as dit : « grâce à vous je suis devenu Jay-Jay Johanson ? »

Oui, complètement ! Surtout dans les années 90, on s’est croisé en festival, on a bu du vin ensemble en backstage. (rires)

Tu étais à l’aise avec l’étiquette trip-hop, quand eux ne l’étaient pas trop ?

Oui, ça m’allait, c’était plutôt celle de « crooner » qui me dérangeait car dans les années 50-60, les crooners étaient ceux qui performaient uniquement sur scène. Alors que moi je faisais un peu plus, j’écrivais…

Il y a 21 ans, tu es passé à La Vapeur, je t’avais interviewé, et je t’avais dit que tu étais un crooner, et tu m’avais dit « non, non ». Je n’avais jamais su pourquoi, maintenant j’ai ma réponse.

Je ne me suis jamais vu comme un crooner ! C’était important de différencier les crooners et les auteurs. Des gens comme Bacharach, je me voyais beaucoup plus comme lui plutôt qu’un Frank Sinatra, qui est un excellent chanteur, certes…

C’est quoi, d’après toi, la sensibilité musicale de Jay-Jay Johanson ?

J’essaie d’être le plus dans l’intimité possible dans mes chansons. Que ce soit unique, le plus moi possible. Et ma voix et mon écriture sont mes façons de l’être.

Qu’est-ce que tu aimes manger ? Avec un bon vin ?

Vin rouge, bien sûr (en français) ! Je suis végétarien depuis que j’ai 10 ans, mes parents m’ont forcé. Quand j’ai quitté la maison familiale à 16 ans, j’ai commencé à manger de la viande mais ça n’a pas trop marché. Depuis juillet 1996 je n’ai pas mangé de viande mais ça m’a permis de découvrir plein de plats du monde entier. J’adore la nourriture japonaise, et de certains endroits de Chine. En France ça a été difficile d’être végétarien, surtout dans les années 90. On me disait « ok tu es végétarien mais tu peux manger du poulet quand même ! » (rires) En Italie, la tablée va être différente, ou en Espagne avec les tapas c’est formidable. On a eu un batteur de remplacement quand notre batteur a eu un bébé, il était végan, c’était rigolo car il ne pouvait pas jouer de la batterie avec des peaux de bête…

Bon alors, Tristan, il y a quoi au menu ce soir ? (Tristan est le chef cuisinier de La Vapeur ce soir-là, et accessoirement celui qui a fait la traduction de cette interview en français, ndlr)

Du poulet en sauce ! (rires) Non, on a du houmous, une salade de crudité, une soupe épinard pommes de terre, des légumes avec du riz, un plateau de fromage très généreux. En dessert on a des petits cookies au sésame et à la noix de coco, et un gâteau au chocolat gluten-free.

(Jay-Jay intervient) Sérieusement, je pourrais être peinard avec du vin rouge et du gruyère.

Il y a quoi comme vin rouge ce soir Tristan ?

On est en Bourgogne, on a donc du Pinot.

C’est quoi la suite pour toi Jay-Jay ?

Comme je l’ai dit je n’arrête jamais d’écrire. Je travaille beaucoup à la maison, je me prépare beaucoup avant d’aller en studio pour enregistrer, donc là j’ai pas mal de démos pour le prochain album, qui sortira l’an prochain.

  • Martial Ratel / Photo : Roxanne Gauthier

Entretien réalisé en collaboration avec Radio Dijon Campus