Les concours de bûcheronnage sont devenus une affaire sérieuse. Ce qui n’était qu’une animation de foire agricole où les costauds du coin exhibaient leurs biceps dans d’érotiques Marcel est carrément devenu un sport de compet’ avec ses athlètes, ses règles et même son championnat du monde retransmis en direct à la télévision. Intrigué, on a décollé notre cul du canapé pour aller voir, à côté d’Auxerre, à quoi ça ressemble.
Article extrait du numéro 29 du magazine Sparse (décembre 2019)
Pour débusquer ces bûcherons de l’extrême, pas besoin d’aller en forêt. Direction Auxerre, dans la bucolique zone commerciale « les Clairions » à Perrigny. C’est là, coincé entre un magasin But et un receleur de cabanes de jardin, que le shop Rabaska (magasin « multimarques spécialisé outdoor/lifetsyle pour les baroudeurs » d’après son Facebook) accueillait sur son parking la deuxième édition du trophée bourguignon de bûcheronnage sportif. La première impression est un peu décevante, il faut bien l’avouer. La compet’ a des faux-airs d’animation commerciale, façon boucherie-destruction au rayon outillage de jardin chez Leroy Merlin : quelques barnums pour abriter la friteuse, la bière ou la sono, et sur le plateau d’une remorque à six essieux, quelques gars s’activent à transporter de grosses bûches de 30 cm de diamètre.
Petit détail : tous portent un t-shirt floqué Stihl Timbersports* (voir lexique). Précisons pour les citadins que Stihl est une marque d’outils de jardin, avec une gamme pléthorique de tronçonneuses, d’aspiro-souffleurs (!), de scarificateurs (!!) et même de secoueurs d’olives (!!!). C’est un axiome du progrès d’une civilisation : la moindre besogne a son engin mécanique dédié. Mais qu’est-ce donc que ce truc de Timbersports? Ce concept de « bûcheronnage sportif » est une série d’épreuves à la hache, à la scie et à la tronçonneuse pour épater les foules et jauger de la dextérité des athlètes. Il y en a 6 en tout : le springboard*, le underhand shop*, le standing block chop*, le single buck*, le stock saw* et le hot saw*. Vous n’y comprenez rien, c’est normal. C’est américain.
Déboisement du parking
Heureusement, au micro, la speakeuse Rachel Paggin, elle-même bûcheronne de compet’ (elle a terminé 6ème à la Ladies Cup en septembre dernier), explique à la petite centaine de spectateurs que l’on va avoir droit à un match de underhand shop*. Cette épreuve consiste à fendre un arbre déjà abattu. Bon, en l’occurrence on se contentera d’une bille de peuplier, que les sportifs doivent trancher le plus rapidement possible. C’est simple et c’est concis, je crois que j’ai compris. Deux gaillards moulés dans leurs beaux t-shirts sponsorisés, armés de leurs haches, montent sur le plateau et se positionnent en équilibre sur leurs rondins. Les visages sont concentrés; la compet’ a beau être amicale les gars la jouent sérieux. Au micro, Rachel joue les bateleuses: « Observez bien ces deux jeunes compétiteurs, vous avez là-bas le champion rookie français Loïc Voison face à Adrien Courteaux, vous allez en prendre plein les yeux, encouragez-les, faites du bruit. Chrono prêt ! 3, 2, 1 Go ! »
Loic attaque sa bille* de biais, un coup à droite et un coup à gauche, puis, après l’avoir fendue à moitié, il se retourne et recommence de l’autre côté. La méthode est très efficace. « Aucun coup n’arrive par hasard c’est exceptionnel », s’exclame Rachel, enthousiaste. Et Loïc, du haut de ses 20 piges, gagne le duel haut la main. Il fend son rondin de 30 cm d’épaisseur en 21,23 sec. Les meilleurs mondiaux sont sous la barre des 20 sec, comme Usain Bolt pour courir son 200 mètres. Dans les paddocks, Adrien Courteaux, se prépare à remonter en scène. Le jeune homme de 27 ans porte une drôle de paire de chaussettes : « c’est une cotte de maille qui vient sous le pied et qui monte jusqu’en dessous du genou. Ça nous permet de ne pas nous couper, mais par contre s’il y a vraiment un choc très fort, ça peut nous casser l’os. » Aucun sport n’est sans danger, les joueurs de ping-pong peuvent se faire une tendinite rotulienne et même les gamers risquent le syndrome du canal carpien. « Et pour les épreuves à la tronçonneuse, continue Adrien, on a des pantalons anti-coupures, qui sont en fait des couches de kevlar, puis des bouchons d’oreilles évidemment et des lunettes de protection. Par contre, on n’utilise pas de chaussures de sécurité parce les coques font rebondir la lame. » D’ailleurs, à y regarder de plus près, leurs pompes ont des petits picots sous la semelle, exactement comme des chaussures de golf.
Buchez vos oreilles
La hot saw est une épreuve assourdissante. L’idée est simple, il faut trancher 3 rondelles (les pros appellent ça des « cookies ») d’une bille de 40 cm de diamètre le plus rapidement possible. Sauf que ces tronçonneuses sont des monstres de plus de 20 kg, avec un moteur de karting entraînant la chaine à 240 km/h et pouvant coûter jusqu’à 10.000€. Là, on est dans la démesure. « Hot saw, c’est simplement parce que c’est une tronçonneuse chaude », explique Pierre Puybaret, champion de France en 2018 et 2019 de bûcheronnage sportif. «En fait, c’est simple, il n’y a pas de refroidissement sur ces machines. C’est l’huile qui refroidit et du coup elle ne peut pas tourner plus de 30 sec, sinon elle explose. »
Quand ces machines daignent démarrer, elles font un bruit d’avion au décollage et envoient des copeaux à la ronde comme un canon à neige en mode tempête. «Ce ne sont pas des machines qui se vendent, explique Rachel Paggin, c’est une épreuve propre à Timbersports (c’est à dire une compétition selon les règles édictées par Stihl). Sur d’autres événements plus classiques, on n’a pas ça. Ce n’est pas particulièrement américain en fait, ce sont surtout les Allemands qui adorent ça. » Ce n’est donc pas qu’une affaire de naming et iI est quand même étonnant que ce soit le sponsor officiel qui définisse à ce point l’organisation d’un championnat sportif. « Des concours de bûcherons il y en a toujours eu, continue Rachel Paggin, mais avec l’arrivée de Stihl Timbersports, ce qui a changé c’est que l’on a maintenant une ligue sportive avec un règlement strict, y compris en matière de sécurité, qu’on doit appliquer sur chaque concours. Et franchement on est content, parce que Stihl a vraiment permis de développer ce sport. Aujourd’hui on a d’excellents compétiteurs français et on est fier que la chaîne L’Équipe 21 diffuse les championnats du monde.»
La planche printanière
L’apothéose de l’aprem’, c’est quand même le springboard. Dans cette épreuve, les bûcherons doivent placer deux planches (les fameuses springboards) dans un tronc ancré verticalement et ensuite abattre à la hache une buchette de bois (27 cm de diamètre, soyons précis) placée au sommet, à 3 mètres de haut. Et faut reconnaître que c’est quand même acrobatique. Dès le coup d’envoi, les bûcherons pratiquent une première entaille (dans le milieu ils appellent ça une « pocket ») à peu près hauteur d’épaule d’environ 10 cm de profondeur. Ils y placent, par la pointe, leur premier tremplin. Et c’est là que ça se gâte: les bûcherons grimpent dessus, comme des surfeurs surgissant de l’écume pour encocher une seconde entaille à 2 mètres de haut. Une fois en équilibre sur leur seconde planche, ils peuvent dégommer la bille de bois fixée au sommet du tronc. Putain, c’est beau. Comme toute compet’, ça se termine par une cérémonie de remise de la coupe.
Cette deuxième édition du Trophée Bourguignon a vu la victoire de Pierre Puybaret, décidément imbattable. Suprême ironie, le champion a même gagné une tronçonneuse, une Stihl MSA 120-C. Décidément, ce sport àa la fibre commerciale. Il ne serait pas surprenant qu’un jour on ait droit aux « championnats de super-cross de tondeuses auto-tractées Husqvarna » ou aux « Bosch taille 100 mètres haies »
- Texte et photos : Édouard Roussel à Perrigny (89)
Lexique
STIHL® TIMBERSPORTS® SERIES : série d’épreuves internationales de bûcheronnage de compétition qui plongent leurs racines au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis. Des compétitions de bûcheronnage ont été organisées de tous temps dans le but de désigner les meilleurs bûcherons locaux. Au fil du temps, ces épreuves de force se sont muées en compétitions professionnelles d’un haut niveau sportif. En 1985, Andreas STIHL AG & Co. KG créé le championnat STIHL® TIMBERSPORTS® SERIES aux États-Unis. Depuis lors, les SERIES s’imposent comme la catégorie reine du bûcheronnage de compétition. En Europe, elles sont organisées depuis 2001. Depuis 2005, les championnats du monde STIHL® TIMBERSPORTS® réunissent les meilleurs bûcherons sportifs du monde.
La bille : un tronc ou tronçon d’arbre débarrassé de toutes ses parties non utilisables.
Naming : dans le domaine du marketing sportif, ou du sponsoring sportif, le naming est la pratique qui consiste à donner à une enceinte sportive ou à une compétition le nom d’une marque ou d’une société sponsor. Le logo du sponsor ou namer est également le plus souvent associé à la nouvelle identité visuelle du stade ou de la compétition. Ex : la Sparse Arena, ou le Sparse musée des beaux-arts.
Le hot saw : avec des tronçonneuses (saw, en anglais) super-puissantes préparées, le but est de scier trois disques complets dans une zone de 15 cm de large sur une bille horizontale de 46 cm de diamètre. Les meilleurs temps réalisés dans cette discipline sont de moins de 7 secondes.
Le springboard : cette discipline consiste à placer deux planches dans un tronc ancré verticalement. Le but est d’abattre une bille de bois (diamètre : 27 cm) placée en son sommet. Les bûcherons de jadis utilisaient cette technique pour atteindre les parties hautes du tronc, plus faciles à abattre que les racines plus larges et plus dures.
Le underhand shop : l’épreuve consiste à fendre un arbre au sol. Debout sur une bille de 32 cm d’épaisseur ancrée horizontalement, les sportifs doivent la trancher le plus rapidement possible. L’objectif est de trancher le tronc par les deux flancs. Si le tronc n’est pas tranché sur les deux flancs, le sportif risque la disqualification.
Standing block chop : cette discipline simule l’abattage d’un arbre à la hache. Un tronc de bois (diamètre : 30 cm) placé à la verticale doit être tranché latéralement le plus vite possible. Les meilleurs chronos sont d’une petite vingtaine de secondes.
Le stock saw : dans cette épreuve, tous les sportifs utilisent la tronçonneuse MS 661 C-M de STIHL, en vente dans le commerce. Après un premier échauffement, la tronçonneuse est déposée à terre, puis saisie et appliquée le plus rapidement possible sur le tronc (diamètre : 40 cm) après le coup d’envoi. Les bûcherons doivent scier deux tranches en forme de disque (appelées « cookies») par un mouvement descendant et un mouvement montant sur un tronc posé horizontalement.Ça ne prends pas plus de 10 secondes.
Le single buck : Les participants doivent scier un disque de bois (diamètre : 46 cm) sur un tronc posé horizontalement avec une scie à main de 2 mètres de long.