Rencontre avec Jardin et son univers musical au confluent de l’électro, du post-punk et du rap. Une interview où il est question de son EP One World, One Shit, de son retour au rap, d’espoir, de fringues, de politique, et de son culte pour la Church Of Euthanasia.

Tu as commencé la musique par le rap. Comment en es-tu arrivé à la techno ?

Quand j’étais ado, j’animais une émission de radio avec des amis et on écoutait déjà de la musique électronique. Il y avait déjà un mélange. Mais il y a eu une rupture où j’ai arrêté de faire de la musique. Puis, j’ai repris goût à la musique, à remonter sur scène, en passant de la musique en soirée. C’est revenu en mixant pour des soirées publiques, avec un micro… Jardin a commencé comme ça. Le rap, c’était avant, très tôt. Jeune, j’écrivais de manière compulsive. Et j’ai été séduit par la dance music et dans le même temps j’ai fouillé du côté du punk. Ce qui me plaisait dans ces 2 styles musicaux, c’était le synthétisme de ces lyrics.

Et finalement comme tu en es revenu au rap en 2019 avec ton EP One World One Shit ?

Pfff… il y a eu plein de raisons, mais surtout l’envie de déplier le discours, de pouvoir rentrer dans plein de complexités… Je crois que dès le début de Jardin, il y a eu cette envie de se décomplexer par rapport à la musique, de retrouver une sensualité par la danse, une spontanéité par le cri, il y avait beaucoup d’improvisations en live comme lors des DJ sets quand j’improvise du texte, quand j’ajoute des lyrics par dessus les disques que je passe… Et à un moment donné, je suis revenu à l’essence de mon truc : le message assez fort que j’ai toujours porté. Je suis revenu à ce que je connaissais. Le rap est une musique qui a été développée pour mettre le plus de texte possible. Et donc, c’était une manière pour moi d’exprimer des choses complexes, avec plus de nuances… Disons que là, en ce moment, il y a des choses à dire et qu’il faut les exprimer avec plus de précision.

C’est aussi un moyen pour toi de passer le message de Chris Korda et la Church of Euthanasia.

Oui, c’est vrai que c’est difficile de parler de cette posture artistique et de cet engagement idéologique, suicide, avortement, cannibalisme et sodomie, les 4 piliers de cette église, en deux trois mots c’est clivant. Parler de Chris Korda en un peu plus de mots c’était une manière de rendre ça accessible. Mais en vérité, dans le EP One World One Shit, je n’ai pas déployé beaucoup de lyrics sur ça. Disons plutôt que l’univers de Chris korda est dans le EP mais c’était important de remettre le propos de cet artiste au-devant de notre génération. Pour la realese party à Bruxelles, Chris Korda nous a fait l’honneur de venir et des gens de sa génération, qui avait écouté sa musique à l’époque, m’ont remercié d’avoir remis l’accent sur son travail militant et artistique.

Mais qu’est-ce qui t’a séduit chez Chris Korda au point de lui dédier le nom, One World One Shit, ce sont des paroles extraites d’un de ses morceaux ?

La première fois que j’ai écouté un de ses morceaux, grâce à Madame Patate, j’ai été frappé par la puissance. Il y avait une espèce de force, une synthèse de punk et de queer qui émanait des États-Unis, contemporaine aux attentats du 11 septembre, avec un regard critique sur ce qui était mis en place dans la société américaine par l’État, le gouvernement et la communication médiatique qui allait avec… Il y a une force subversive hyper sharp, très précise, radicale et en même temps des sons hyper poétiques, une énorme douceur dans la musique, quelque chose de très coloré, très ensoleillé pour dire des choses très dures. Je me suis tout de suite retrouvé, ça m’a parlé très fort tout de suite. Je pense que sur le premier disque de Jardin A Girl With A Dog In A Rave, il y a des choses très difficiles qui sont dites mais sur des petits morceaux housy et avec un plaisir de dire les choses. Il y a cette ambiguïté entre le constat sur le monde, pas forcément facile à dire ou à entendre, et en même temps une joie de vivre et un espoir porté à travers ça. (silence) Alors, un « espoir » à prendre avec des pincettes, c’est l’idée d’amener sa pierre à l’édifice pour faire bouger les états d’esprit de construire et donc de construire quelque chose qui nous plaît plus. Un « espoir », je ne sais pas dans quelle mesure il est…

…Justement, la philosophie de Chris Korda peut aussi paraître nihiliste.

Pour moi, ce n’est pas nihiliste du tout. Le message est assez simple, on peut continuer à se comporter comme ça à consommer toutes les ressources, nous on va s’éteindre mais la vie elle va continuer. Donc en soi ce n’est pas nihiliste. Il s’agit pour nous, en tant qu’espèce vivante, de nous repositionner au sein du vivant et pas en tant au centre du monde. Ça va au-delà du no future. Quand on commence à penser comme ça, on commence à penser de manière harmonieuse et écologique. Pour le coup, ça c’est positif.

Dans One World One Shit, tu es arrivé à un équilibre rap/électro/post punk. Est-ce que tu penses que ton style va encore évoluer, sachant qu’il a évolué d’un EP à l’autre ?

La musique, c’est comme la vie, c’est toujours en mouvement. Il ne faut pas se contraindre, il faut continuer à mélanger. C’est ce que j’attends d’un artiste… De ce mélange des flux émerge une petite nuance qui vient s’ajouter au flux de la création des petits êtres humains. Des morceaux de cet EP ont émergé dans un album que je prépare et on est toujours bien sur un mélange de textes avec pas mal de flow et de la musique électronique – avec un spectre très très large –, donc dans la lignée de One World One Shit. Dans le live pour GéNéRiQ, il y aura 3 nouveaux titres qui seront sur ce nouvel album : Drone, 2019Niquez des pères et le troisième…. j’ai oublié son nom ! (rires)

On sent dans tes clips qu’il y a un travail esthétique, sur la danse. En live, on doit s’attendre à quoi ?

Moi, j’ai tendance à gigoter sur scène. J’essaye de ne pas me perdre dans mes textes et mes mouvements de corps (rires). Pour les derniers lives de Dijon et Besançon, on sera sur scène à 2 avec de très beaux vêtements prêtés par Leila Nour Johnson qui fait des pièces uniques après des rencontres avec des gens. Ça parle souvent de métissage ou de personnes apatrides. Ou de traumatismes. En l’occurrence, je sais que je vais porter un vêtement qui concerne une de ses amis qui s’est fait agressée en Corse où elle s’est défendue. Du coup, ça devient des espèces de fétiches. Leila me parle d’amures même. Elle utilise parfois des textes malfaisants, des mails qu’elle pouvait recevoir et en fait une « armure ». Je trouve que c’est une démarche assez forte, tout d’un coup quand on porte ses vêtements, on porte plusieurs choses avec soi.

Au-delà de Chris Korda, ta musique porte un message très politique, dans une conception très personnelle de la philosophie queer.

Faire de l’art c’est politique parce que ça concerne la sphère publique. Même quand des artistes de la sphère électronique disent « je fais de la musique pour qu’on s’amuse, pour qu’on se détende » je trouve que c’est aussi politique puisque c’est une démarche qui concerne le « être ensemble ». Libre à chacun d’aborder les sujets qui lui importent. Moi, ça passe par les sujets qui passent par l’intime… On a besoin de raconter et de se raconter publiquement ses récits le monde qu’on imagine parce que, plus que jamais, il y a des choses à faire. Il faut bouger pour arrêter de s’exploiter les un(e)s les autres, d’exploiter la planète comme on le fait, d’accéder à une vie plus harmonieuse et de mettre un terme à un modèle économique qui, en fait, est un modèle politique qui nous détruit.

  • Propos recueillis par Maelle Caugant (Radio Dijon Campus). Retranscription par Martial Ratel // Photo de couverture : Guillaume Hery