Le 12 mars au Zénith, Éric sera là pour interpréter “Le Grand Bleu” dans une version ciné-concert. Compositeur de bandes originales attitré de Luc Besson, et successeur de Vladimir Cosma, en plus pop ! Il revient avec nous sur la BO du film culte “Le grand bleu” qu’il fait revivre en tournée. L’idée fondatrice ?! Une musique interprétée en live synchronisée avec le film. L’occasion rêvée aussi pour Eric Serra d’évoquer sa success story : de James Bond, à son lien quasi fraternel avec Besson et surtout sa façon plus émotionnelle que conceptuelle de composer une musique de film.

Le grand bleu, c’est mon enfance au cinéma, à l’époque je le regardais en VHS, il représente quoi pour vous ce film ?

Il représente à la fois une aventure parmi d’autres. Mais il réprésente également une aventure particulière à cause de son énorme succès. Le succès a été tellement immense, que ça nous a tous changé nos vies. Il a aussi une place un peu particulière dans la mesure où il traite d’un sujet qu’on a pu pratiquer. Parce que quand on fait Le cinquième élément, on est dans la science-fiction pure. Ou quand on fait Léon, là aussi on ne peut pas s’identifier, on a encore tué personne nous… Tandis qu’avec Le grand bleu, j’ai pratiqué l’apnée, je me suis entrainé. On a été initié par le vrai Jacques Mayol. Et on s’y est mis sérieusement. Et ça m’avait passionné. Donc, oui, ce film a une place particulière.

Et parce que ça a changé vos vies…

Ça a tellement changé nos vie que 32 ans plus tard, on en parle encore.

Il va y avoir un ciné-concert au Zénith, il y a déjà eu des représentations ? Il se passe quoi avec le public quand on joue Le grand bleu ?

Alors les gens pensent voir une version augmentée du film. C’est Le grand bleu avec encore plus d’émotions, parce que la musique est live. Et j’ai vu des gens venir me voir à la fin en larmes, bouleversés. Et puis ce qui est sympa, c’est qu’il y a plusieurs générations qui viennent le voir. Il y a des gens qui viennent le voir, qui étaient ado à l’époque de la sortie. Et qui viennent avec leurs propres enfants.

C’est un film qu’on peut voir à n’importe quel âge…

Ouais, pis en plus, c’est un film qui a bien vieilli. Il est vachement léger, agréable, fun… Il laisse un bon goût. Quand le film se termine, on repart, on est bien. Ce sont de bonnes “vibes”…

En préparant cet entretien, j’ai entendu dire qu’il est plus actuel que jamais. Comment on se rend compte que c’est un film qui compte ? Il y a eu des récompenses, etc… Mais est-ce que vous pensiez que 30 ans plus tard, on serait là à en parler…

Non, on peut pas prévoir ça. Ça m’a beaucoup surpris le succès du ciné-concert, parce que je pensais pas que ça allait réunir autant de monde. D’ailleurs, au départ, on était juste censé faire un show à Paris. Et ça s’est transformé en une tournée complète. Je ne m’y attendais pas…

Vous êtes encore dépassé par la vie du film..

Oui, c’est génial, c’est magnifique. Je me plains pas. C’est un sentiment assez curieux avec ce ciné-concert. On a pas l’impression que c’est quelque chose qu’on a conçu. C’est quelque chose qui a sa propre vie, ça propre identité. On en est témoin comme vous. Et quand on fait le ciné-concert, on joue la partition du film note par note, l’original, avec les sons d’origine et synchronisé, à l’image près sur le film.
Et les gens me demandent : “vous avez pas envie de modifier certaines choses ?” Et je leur réponds que non, parce que je n’en vois pas l’intérêt. Et quelque part je me l’interdis. Pourtant, c’est ma musique. Mais je la respecte comme quelque chose que je ne possède pas…

Ça fait un peu parti du patrimoine commun en fait… Avec 2 millions d’exemplaires vendus en France…

On en est pas loin des 4 millions de disques vendu dans le monde ! Et puis, en plus de ça, je n’ai pas forcément envie de retravailler sur l’original. Je préfère aborder la nouveauté.

Et ça jamais été trop lourd à porter le costume de “compositeur des films de Luc Besson” ? Pour vos nouveaux projets comme RXRA?

Non, même si c’est normal qu’on m’associe à la musique du “grand bleu”. C’est vos plus gros succès qui vous définissent. Comme Jean Réno à qui on ne parlait que du “grand bleu”. Puis ensuite des “Visiteurs”. Donc, non, je fais avec. Et j’ai quand même de la chance parce que j’ai plusieurs bandes originales à mon actif qui ont bien marché. Mais vous connaissez l’expression: “rien ne pousse à l’ombre des grands arbres”. “Le grand bleu”, c’est l’arbre le plus grand. Mais j’ai d’autres grands arbres. J’ai presque une petite forêt (rires). Il y a eu des immenses succès: Subway, Léon, Nikita, Goldeneye. C’est sûr que si j’avais eu que des bides. On n’en serait pas là.

« On m’associe au “Grand bleu”, c’est pareil avec mon pote Pascal Legitimus. Lui aussi, “Les Inconnus” lui collent à la peau. »

C’est plus tôt pas mal de vivre avec le succès…

Oui, et j’ai pas le choix. Moi-même qui suis victime de ce succès et qui connais très bien ce problème de l’étiquette. On m’associe au “Grand bleu”, c’est pareil avec mon pote Pascal Legitimus. Lui aussi, “Les Inconnus” lui collent à la peau.

Et puis le public s’approprie l’oeuvre… Vous auriez pu travailler sur le long terme avec un autre réalisateur que Luc Besson ?

Sûrement. Mais cette connexion et cette complicité avec Luc, c’est arrivé très tôt. On a collaboré sur son premier court-métrage, qui était ma première “musique” et ça a tout de suite fonctionné ! On se comprend et c’est pas évident au départ entre un réalisateur et un musicien. Y en a un qui vient de Mars, l’autre de Vénus. On parle pas la même langue, lui c’est les yeux, moi c’est les oreilles.

Des sensibilités différentes…

En réalité, c’est plus des sensibilités proches. Et quand on travaille ensemble, un réal et musicien, le réalisateur demande à un compositeur d’exprimer des émotions ou de les mettre en valeur. C’est pas comme demander à un électricien “là j’ai besoin de 15 ampères”. Le lien de travail est super abstrait. Exprimer une émotion par la musique, c’est quelque chose d’ambigu. Et parfois sujet à malentendu ou à un conflit de points de vue. Et quand on a la chance de rencontrer quelqu’un avec qui ça marche, le mec me demande quelque chose, moi je comprends ce qu’il me demande. Je lui fais une musique et je lui fais ressentir ce qu’il s’était imaginé. C’est autant un coup de bol qu’un coup de foudre amoureux. Et le couple dure. D’ailleurs, il y a pas mal de cas de binômes réalisateur/compositeur dans le cinéma.

Et avec un réalisateur d’un autre univers cinématographique…

Vous savez Besson n’a pas un style très bien identifié. Il touche à tout. Au début, son court-métrage, un truc apocalyptique sans dialogues et puis “Subway”, un truc qui se passe dans le métro avec des mecs un peu chelous, après “Le grand bleu” sur l’apnée, la mer, les grands espaces, puis “Nikita” et “Léon”. Et même un film historique comme Jeanne d’arc, on peut difficilement faire plus éclectique.

Et pour vous aussi, c’est une richesse j’imagine, de vous renouveler de films en films…

Oui et ça correspond aussi à ma culture musicale qui est très riche. Mais l’univers cinématographique, ça n’a pas trop d’importance. Ce qui importe, c’est la communication, la complicité. Luc, par exemple, quand il m’appelle pour faire son prochain film, j’ai pas besoin de lire le scénario, je lui dit “oui” avant toute chose ! Parce que je sais que l’aventure va être belle. Inversement, je peux lire un scénar génial et ne pas du tout m’entendre avec le réalisateur et me faire chier. Je choisis les films en fonction du réalisateur.

Quand Luc m’appelle pour faire son prochain film, j’ai pas besoin de lire le scénario

Oui, d’ailleurs, il y a eu le fameux James Bond (Goldeneye), comment ça a été apprécié ?

Alors, le succès a été au rendez-vous. Mais ça n’a pas été l’aventure la plus passionnante. Maintenant avec le recul, je suis quand même extrêmement fier de l’avoir fait. Et de faire partie de la légende des films James Bond. Alors j’aurai bien aimé qu’il y ait la même complicité qu’avec Luc, mais bon… C’est vrai que j’aurai bien aimé faire tous les James Bond (rires). C’est une belle rente après. Mais les James Bond, la seule équipe qui dure, c’est la maison de production. Les réalisateurs changent, les compositeurs également..

Vous parlez souvent d’un film comme d’une aventure, ça a un rapport avec votre façon de travailler ?

Oui, parce qu’un film, c’est plusieurs mois de travail. En moyenne entre 2 et 6 mois. Et c’est extrêmement intense. Je suis enfermé au studio, je travaille jour et nuit, 7 jours sur 7. Quand je sors du studio, je tombe de sommeil. Je vais me coucher et le lendemain je me lève, je prends ma douche, un petit dèj et je repars en studio jusqu’au soir. C’est une immersion totale.

Et vous travaillez avec les images du film ?

En général oui. C’est ma façon de travailler. L’image est une inspiration.

Qu’est-ce que vous essayez de renouveler à chaque film ? La chose que vous faites pour la première fois ?

Alors, j’essaye de ne pas me copier. De ne pas faire ce qui est déjà fait. D’une part, par fierté et pour me stimuler. Pour trouver un truc exaltant. Mais avant tout, j’essaye de remplir ma mission et de faire ce que le réalisateur attend de moi.

Est-ce que vous prenez plus de plaisir sur scène ?

Alors, c’est pas du tout le même plaisir. C’est pas comparable. C’est comme si je vous dis “vous préférez lire un bouquin ou faire un tennis ?”. Ça dépend beaucoup de l’humeur du jour. Et la composition, c’est un plaisir assez similaire à la lecture. C’est un plaisir très solitaire et cérébrale. Alors que jouer sur scène, c’est un jeu, il y a des musiciens, le public. Il y a une a interactivité. J’adore franchement les deux, mais ce sont des plaisirs tellement différents. J’adore faire l’amour, mais j’aime aussi dormir.

  • Propos recueillis par Arthur Guillaumot et retranscris par Julian-Pietro Giorgeri / Photos : Eric Serra : Emanuele Scorcelletti / Ciné concert : Pierre Hennequin