Les Bourguignons, comme les Émiratis ou Tintin, ont également leur “Or Noir”. Et celui du coin ne souille pas notre planète. Aussi précieux que le baril de pétrole, la Côte-d’Or est le pays d’une baie très recherchée : la baie de cassissier, le cassis ! Et sa variété la plus raffinée : le « Noir de Bourgogne » dont la puissance aromatique est louée en gastronomie et en mixologie. Nous allons vous conter l’histoire de la baie de cassis, de la crème, du kir et des liquoristeries de cassis. Et c’est à Nuits-St-Georges au Cassissium, que nous partons sur les traces du cassis noir.

Le cassis est un emblème et une tendresse dans le cœur des Dijonnais. Du « blanc-cass » servi à 11h du matin à des « cols bleus » dans d’obscurs « trous à rats” au Kir Royal, crème et champagne, bien plus raffiné, et pédant qu’on trouve dans les soirées cocktail. Le cassis est ici une religion. Et le Kir, et sa couleur rouge-sang, a ses apôtres. Ce sont les paysans-vignerons de Côte-d’Or, et notamment de l’arrière-pays nuiton qui, avec 40% de tonnage de « Noir de Bourgogne », sont les leaders de la production de cassis « noir de « . Mais la naissance de la crème de cassis alors… ?

Le Chanoine Kir

C’est en 1841, inspiré d’une boisson aux fruits, le ratafia, que le liquoriste dijonnais Claude Joly -associé au cafetier Auguste-Denis Lagoute- met au point une liqueur en faisant macérer des grains de cassis noir. Ces jus de macération sont mélangés avec l’alcool et le sucre. Décantée, la crème de cassis est née !

Le Kir, l’apéritif star

La crème de cassis est naturellement devenue la star de l’apéritif d’aujourd’hui et des siècles derniers. Précédant à l’apéritif les vins cuits, les absinthes et autres liqueurs d’anis. La légende veut qu’en 1904, un garçon de café ait inventé la recette du « blanc-cass » en mélangeant un tiers de crème de cassis avec une quantité supérieure de Bourgogne Aligoté, soit 2 tiers du verre. L’Aligoté, ce vin acide, se marie naturellement à la « sucrosité » de la crème de Cassis.

Servi dans les dîners et les brasseries dijonnaises, comme à la mairie de Dijon dès 1904 sous la municipalité d’Henry Barabant, c’est le Chanoine Kir, maire à la libération en 1945, qui fait du cassis son fleuron, et sa marque de fabrique. Le Chanoine fait une intense promotion du cassis et assure à la crème de cassis de Dijon une renommée mondiale. Et c’est tout naturellement que Félix Kir, qui ne jurait que par le « blanc-cass », lui a donné son nom. Le bon curé avait toujours une boutanche d’Aligoté dans sa besace, et du cassis. Et il en servit aussi bien au Général De Gaulle qu’à Nikita Khrouchtchev. On dit que Nikita, le premier secrétaire du Parti Communiste de l’URSS, l’avait très apprécié. Quelques années plus tard, le Kir se décline et devient soit « cardinal » ou « communard » en mélangeant la crème de cassis avec du vin rouge.

Une liqueur appréciée dans le monde

On trouve de la liqueur de cassis également Outre-Atlantique dans l’élaboration de certains cocktails et au Japon où elle est accompagnée de thé vert. Les Japonnais associent même la liqueur de cassis à de l’eau pétillante, voire à du lait. Enfin, il y a également ce grand classique de la “mixologie” de base, le fameux “fond de culotte” qui est composé de 2cl de crème de cassis et de 4cl suze, la “gentianette” !

Le Kir a également une place dans la vie quotidienne des Français, il est le deuxième apéro le plus consommé, derrière l’indétrônable Pastis. Que faire contre les Marseillais ?! Ces mecs ont l’accent chantant et un ensoleillement toute l’année. Alors que notre Kir s’est établit dans une ville brumeuse, réputée “endormie”. Pas du tout ! Bref, dès l’après-guerre, et à une époque qui ne connaissait pas l’horrible “Moscow Mule” ou le Mojito fraise, le Français moyen trouvait une douce ivresse, et se rinçait la bouche avec un Kir accompagné d’une bonne gougère.

Une virée au Cassissium de Nuits-Saint-Georges

C’est à quelques foulées de la gare de Nuits-Saint-Georges dans un paysage industriel d’entrepôts et autres fabriques que l’on tombe nez-à-nez avec le temple du cassis. Le Cassissium. Musée bâti sur fonds propres de la maison de cassis Védrenne, et ouvert depuis 2001. C’est dans ce lieu plutôt inattendu qu’on retrouve Aurore Maes, responsable du marketing et de la communication. Aux premières questions, Aurore, détendue, nous dit qu’ici, « c’est tout pour le cassis ! ». Et pas nécessairement la crème de cassis ou le Kir, mais bel et bien pour le fruit, la baie. L’objectif du Cassissium, « c’est faire découvrir le fruit et réhabiliter le cassis ».À travers le parcours d’exposition, on sent que le but chez Védrenne, avec la boutique et le bar à dégustation, c’est d’avoir une vitrine exceptionnelle pour le cassis dans ce lieu qui accueille 45.000 visiteurs par an. Aurore mène ensuite le petit groupe de visiteurs dans l’usine et la fabrique Védrenne. On y voit les immense cuves à macération lente et le laboratoire de décantation. Elle tient également à nous présenter « la cassisseraie et ses différentes variétés de cassis, afin de suivre tout le cycle végétatif du cassis ».

Le musée du cassis : le Cassissium

Les deux IGP de la crème de cassis

Attention. Il est établit, depuis quelques années qu’il existe deux IGP (Indication Géographique Protégée) pour la crème de cassis. L’une étant la « crème de cassis de Dijon » réunissant 4 entreprises de renom que sont Briottet, L’Héritier-Guyot, Boudier et Lejay-Lagoutte parce qu’elles respectent un cahier des charges stricte qui est : fabrication de la crème de cassis sur la commune de Dijon, et à partir de la variété « Noir de Bourgogne ». Le reste de la production est placée sous l’IGP « crème de cassis de Bourgogne ». C’est le cas de Védrenne, Cartron ou Joannet. Ainsi, le Cassissium se veut promoteur d’un terroir et d’un fruit avant tout. Et de son produit étendard, la crème de cassis.

Quant à l’apéritif Kir, en 1951, le chanoine Kir déclara « donner en exclusivité à la maison Lejay-Lagoute le droit d’utiliser (son) nom pour une réclame de cassis dans la forme qui lui plaît, et notamment pour désigner un vin blanc-cassis ». Quatre ans après que Lejay-Lagoute ait déposé la marque “Kir” au Tribunal de Commerce de Dijon, le chanoine écrit alors un courrier à un autre fabricant dijonnais : l’Héritier Guyot.“Bien entendu, je n’ai donné aucun monopole à personne pour la simple raison que je ne voudrais jamais établir une discrimination entre les fabricants de cassis… C’est pourquoi vous avez toute latitude pour user de mon nom selon vos désirs.”Ces deux lettres contradictoires seront, trente ans plus tard, l’objet d’un très long procès, qui fera du « Kir » une marque commerciale en 1992, bien qu’il soit présent dans le dictionnaire des noms communs depuis 1960.

Le cassis et ses vertus

L’exposition du Cassissium nous mène ensuite sous une « cabotte » immense transformée en cinéma. On apprend à travers la projection que le cassis a une origine méconnue. Les experts naturalistes pensent qu’il a pu naître aussi bien en Écosse qu’en Mongolie à l’époque où l’homme est un chasseur-cueilleur. Et le cassis apparaît pour la première fois dans des écrits au premier siècle après JC, dans ceux de Pline L’ancien, écrivain et naturaliste romain.

Le cassis est aussi loué pour ses vertus médicinales, il soignait la « goutte » au Moyen Âge et il entre dans la composition de certains traitements contre la thrombose ou l’asthme. La peau du grain de cassis est quant à elle utilisée en cosmétique et en crème anti-âge. Enfin, vous l’aurez compris, le cassis est une baie miracle et que, du Cassissium à la brasserie Montchapet, de Félix Kir aux soirées blanc-cass du Vieux Léon. Il est un apéritif simple, et peu onéreux. Mais il faut redonner ses lettres de noblesse au cassis.

  • Texte et photos : Julian-Pietro Giorgeri