On est allé voir le météorologue en chef de la station de Besançon pour parler changement climatique à venir en Bourgogne-Franche-Comté. C’est grave, Docteur ?
Article extrait du n°30 du magazine Sparse (mars 2020)
En matière de réchauffement climatique, chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles : projections alarmistes encore plus alarmistes et plus si futuristes que ça, méga feux, méga aqua alta, méga vents, koalas qui crament, vers de terre sociopathes dans nos jardins… Nos humeurs fluctuent à la vitesse d’un courant d’air (trop chaud) entre optimisme teinté de déni et désespoir teinté d’impuissance.
Le truc angoissant, c’est de se sentir pris au piège sur une planète au stade de cancer avancé. Les psys ont fini par mettre un nom sur ce malaise, ça s’appelle la solastalgie ou éco-anxiété si tu préfères. Paraît que ce syndrome-là deviendrait le nouveau mal du siècle. On a appris dernièrement que des élites commençaient à préparer leur plan B en apprenant le suédois à leurs enfants (à part skol ofenstru, on ne sait rien dire en suédois).
Le survivaliste qui sommeille en nous se pose la question de savoir s’il sera encore pas trop mal loti en BFC d’ici 20, 30 ou 40 ans. Demain quoi. Bruno Vermot-Desroche, chef de la station Météo France de Besançon (une des plus anciennes du monde, si si), co-auteur du livre Histoire du climat en Franche-Comté, lui, sait. Et il va pouvoir nous dire, si on peut continuer à dormir tranquille, ou pas.
Pour commencer, un petit rappel sur la différence entre climat et météo?
On entend encore trop de confusion là-dessus. Y compris dans les médias. Si on veut scientifiquement parler tous de la même chose, et donc du climat, on est obligé de normaliser des références. La normale climatique est une donnée qui est définie par l’Organisation météorologique mondiale (OMM), qui en donne une définition stricte : «normales : moyennes calculées pour une période de 30 ans en décennies entières». Pour définir une normale, il faut donc 30 ans de données. 30 ans pour espérer avoir moyenné toutes les possibilités des conditions météo extrêmes qu’on peut avoir sur ce nombre d’années. 1981-2010 est la normale de référence actuelle. Par exemple, on regarde tous les 30 janvier depuis 30 ans, et on se dit, celui-là il a été plus chaud ou plus froid.
La prochaine normale sera calculée l’année prochaine sur 1991-2020. On me dit souvent : «Météo France, vous n’avez pas crié au loup très tôt sur le réchauffement climatique !». Mais il a fallu attendre 2001 pour vraiment confirmer ce qu’on commençait à observer dès 1990, soit que les températures moyennes augmentent. Dire que les 10 dernières années font partie des plus chaudes du siècle, c’est faire de la météo. En revanche, le réchauffement climatique, c’est mettre en évidence une évolution des normales.
Prenons l’exemple des notes de classe. Vos notes, c’est la météo. En fin d’année on fait la moyenne générale, et ça c’est le climat. Quand on dit que vous avez progressé, c’est que votre moyenne a augmenté, pas forcément toutes vos notes! Là, c’est la même chose. Le réchauffement climatique, ça ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de vagues de froid. Et ça ne voudra pas dire non plus qu’elles seront moins fortes. Mais tout cela se produit, globalement, dans une atmosphère de plus en plus chaude qui, elle, traduit le réchauffement climatique.
On a l’impression cette année de ne pas avoir eu de vrai hiver : il faisait doux, il n’y a pas eu de neige, ou très peu… Alors ça, c’est de la météo ou du réchauffement climatique ?
Vous savez, j’aime bien montrer des images d’antan lors de mes conférences. En l’occurrence, celle d’un tacot à vapeur dans le village de mon enfance, à Chatelblanc (ndlr : dans le Doubs à plus de 1.000 m d’altitude), qui ne peut pas passer car il semble y avoir plus de 3 m de neige tout autour. Il y a plein de photos comme ça autrefois. Seulement on faisait les photos quand il y avait de la neige, pas quand il n’y en avait pas…
Pour le tacot, si on observe bien, on voit que les collines derrière sont dégarnies. La conclusion est que, contrairement à ce dont on a l’impression, il n’y pas tant de neige que ça plein champ et que ce sont juste les congères qui forment cet amas impressionnant de neige tout autour du tacot. Les photos qu’on retrouve de l’ancien temps, ce sont des photos qui donnent des indications sur les conditions météo, ce n’est pas du climat.
Les gens sont tous persuadés qu’il y avait plus de neige quand ils étaient enfants, et cela à n’importe quel âge, mais c’est une vision déformée de la réalité climatique. Quand on est petit, on voit également la neige bien plus haute qu’elle ne l’est en réalité.
« À votre avis, c’est quoi l’enneigement moyen à Mouthe le 5 février, période où il y a le plus de neige ? Tout le monde dira que c’est la hauteur du piquet de pâture. Hé bien non, la hauteur moyenne, c’est le premier barbelé, soit 23 cm. »
Vous épluchez les albums photos ?
Pas que ! Je suis en train de dépouiller tous les relevés de neige de Mouthe entre 1880 et 1921. J’ai moyenné les hauteurs de neige chaque jour et fait une moyenne sur 40 ans.
À votre avis, c’est quoi l’enneigement moyen à Mouthe le 5 février, période où il y a le plus de neige ? Tout le monde dira que c’est la hauteur du piquet de pâture. Hé bien non, la hauteur moyenne, c’est le premier barbelé, soit 23 cm. Alors effectivement, ces 20 dernières années on a perdu 3 cm. Il fait plus doux. Mais par contre c’est faux de dire qu’avant «il y avait toujours 1 m !».
On ne se souvient que de la hauteur maxi de l’hiver. La grand-mère de ma grand-mère disait déjà la même chose et pourtant on ne parlait pas de réchauffement climatique à son époque. Vous savez, à l’école, on nous apprend que la Franche-Comté se situe dans un climat semi-continental. C’est faux. On est sur un climat océanique. Très doux et arrosé. Un climat continental, c’est Moscou.
C’est le cliché de la petite Sibérie ?
Exactement. Dans la réalité météo de notre région, un mois de janvier, il est doux et arrosé. Pour les gens, la normalité c’est qu’il neige en janvier, mais la vraie réalité climatique dans notre région, ce n’est pas ça. Les hivers froids et neigeux sur toute la durée sont des hivers exceptionnels.
Alors est-ce à cause du réchauffement climatique qu’il n’y a pas eu de neige cet hiver ?
Je n’en sais rien, des hivers comme ça, j’en trouve dans le passé. Ce qui est réel en revanche c’est qu’on va désormais vers une recrudescence des records battus en termes de températures et une diminution de la durée d’enneigement. Il y a 100 ans, l’enneigement durait 2 mois et demi, aujourd’hui il dure 2 mois. On constate 15 jours d’enneigement de moins à 900 m d’altitude.
Le réchauffement climatique, ça ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de neige, ça veut dire une fréquence d’enneigement qui diminue progressivement au fil des années car l’atmosphère est de plus en plus chaude.
La probabilité d’avoir de la neige un jour donné, disons début février, s’amenuise donc petit à petit, un peu comme si le relief perdait de l’altitude progressivement, de l’ordre de 40 à 50 m tous les 10 ans. L’enneigement d’une station comme celle de Chapelle-des-Bois à 1.100 m d’altitude dans 80 ans ressemblera à ce qu’on observe aujourd’hui vers 600 m. Les stations de ski en moyenne altitude pourraient avoir de plus en plus de difficultés et commencent déjà à en voir les conséquences.
Vous parlez d’atmosphère de plus en plus chaude – on rappelle que l’objectif de la COP21 est de contenir le réchauffement planétaire à + 1,5° par rapport au niveau préindustriel – on en est où en BFC concernant l’évolution des températures ?
On mesure deux paramètres. Les minis et les maxis. C’est avec ça qu’on fait la moyenne. On constate que les minis augmentent sans discontinuer depuis 1880 (le début des relevés ici), elles montent de façon régulière et même s’accélèrent récemment. En revanche les maxis montent dans les années 20, redescendent dans les années 70 et remontent à nouveau. Cela s’explique par les cycles du soleil. On sait que dans les années 70, le soleil était un peu moins actif, ce qui nous vaut des maximales plus faibles ces années-là.
Ce qui nous vaut aussi les hivers les plus enneigés du siècle. Ils sont dans les années 70, pas avant. Pour toute une génération, c’était normal de mettre des pistes de ski à Bolandoz ou à Pierrefontaine-les-Varans dans le Doubs, soit à 700 m d’altitude, mais ce n’était pas la réalité climatique ! Le soleil enchaîne des phases actives, moins actives… Entre parenthèses, là-dessus aussi ça ne va pas dans le bon sens car le soleil est de plus en plus actif. Bref, ce qu’on constate depuis 1980, c’est que ça monte régulièrement et que ce n’est plus un accident météo. Sur une période de 50 ans, c’est indéniable.
Aujourd’hui la température de Besançon est celle de Lyon il y a 100 ans. Figurativement, on avance de 10 m par jour vers le sud. Ça fait du 3 ou 4 km par an… 2018 est l’année la plus chaude de juin à octobre jamais observée depuis 1880 à Besançon et la plus déficitaire en pluie. 2018 et 2019 étaient à peu près à +2,5° au-dessus des normales, hé bien typiquement la sècheresse du Doubs sur laquelle vous avez fait votre papier (cf. Sparse n° 26), c’est un échantillon d’un monde à +2,5°…
Alors, concrètement, à quoi s’attendre niveau météo dans notre région ?
Tout dépend de nos actions actuelles. Mais si on reste sur la même trajectoire, c’est le scénario catastrophe qui l’emporte et sur ce scénario, à partir de 2070, le souvenir de la sécheresse de 2018 sera le souvenir d’un été frais.
Dans les projections les plus optimistes du GIEC (ndlr : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), on finit figurativement à Orange, mais selon les études, dans la trajectoire actuelle nous pourrions avoir, dès 2050, des températures semblables à Arezzo en Toscane et en 2080 à Ioannina en Grèce. Et ça, ça veut dire également que des espèces vecteurs de maladie, comme le moustique tigre, remontent aussi.
Malgré les idées reçues, il pleut plus aujourd’hui qu’autrefois et notre régime pluviométrique devrait rester constant dans le futur. Seulement, quand on augmente la température de 1°, l’évapotranspirationaugmente considérablement, il faudra donc s’attendre à plus de sécheresse.
« À partir de 2070, le souvenir de la sécheresse de 2018 sera le souvenir d’un été frais. »
Ça va se passer comment, l’évolution dans le temps ? Régulièrement ?
On n’a pas un calendrier dans les mains, mais disons qu’il y a deux phases. Les 20/30 ans qui viennent où l’on va connaître une hausse de l’ordre de 1,5°C. On pourra vivre avec. Puis il y a l’après 2050, et c’est donc maintenant qu’il faut agir pour cette période. Le problème c’est que les gens ne s’inquiètent que quand ils ont le nez dans le caca. Si l’été prochain il pleut et que tout se passe bien, on pensera moins au réchauffement climatique, notamment à cause de la confusion météo/climat.
Le comté et les vins de BFC seront-ils, un jour, de lointains souvenirs ?
Alors ça… Un agriculteur me demandait l’autre jour : «c’est quoi notre région à +7° ?». Hé bien je lui ai répondu : «Casablanca, des chameaux et des dromadaires». Je dis ça brutalement pour la provoc’ mais c’est un changement brutal +7°, un monde qu’on ne connaît pas. Alors comment s’adapter ? On ne sait pas. On peut encore s’adapter sur les 30 ans qui viennent. Mais ensuite, on ne sait pas ce que sera l’agriculture de demain. Ce dont on est sûr, c’est que ce ne sera pas celle d’aujourd’hui.
Le cahier des charges du comté ne sera plus tenable à terme. Il faudra réduire les cheptels… Les vins, quant à eux, devraient être profondément touchés par le réchauffement climatique car plus de soleil signifie plus de sucre dans le raisin, donc plus d’alcool dans le vin et donc un changement de ce qui fait leurs caractéristiques.
Avant, quand on voulait un vin un peu costaud, à 15°, on achetait un Sidi Brahim, maintenant on achète un côtes-du-rhône, un châteauneuf… Les viticulteurs voient également leur calendrier des récoltes complètement perturbé ces dernières années.
Avant, les vendanges se faisaient fin septembre. Maintenant, elles commencent 15 jours plus tôt. Là on parle de l’agriculture et de la viticulture mais la sylviculture va également être impactée. Les forêts seront sûrement moins denses pour que tous les arbres puissent avoir accès à l’eau de la nappe phréatique. Les résineux comme les sapins et les épicéas, plus sensibles aux fortes températures risquent d’être plus touchés.
Pour faire simple, les arbres qui ne s’habitueront pas disparaîtront. Vu la rapidité et l’intensité du réchauffement, il est encore difficile de savoir exactement quelle essence s’adaptera. Il y aura également des risques accrus de feux de forêts étant donné les sécheresses. Au-delà de l’aspect économique, cela va profondément modifier nos paysages.
« Le problème c’est que les gens ne s’inquiètent que quand ils ont le nez dans le caca ».
Au vu de ce tableau assez pessimiste, gardez-vous tout de même un peu d’espoir ? Pensez-vous qu’il soit encore judicieux de faire des enfants en 2020 ?
Compliqué de dire si c’est raisonnable d’avoir des enfants… Ce qui donne de l’espoir c’est de voir que ça émerge au niveau des consciences, on en parle de plus en plus. Après, on n’a pas forcément idée de l’ampleur géopolitique globale que le réchauffement climatique va provoquer du fait de la montée des océans, des migrants climatiques, puis qui dit sécheresse dit famine… Le GIEC met en évidence un risque accru de conflits au-delà des 3°…
Je ne suis pas collapsologue. Mais c’est sûr que c’est très alarmant comme situation. L’ensemble de l’Europe sera touché. Pas besoin d’aller occuper un bunker en Suède.C’est certain que le réchauffement climatique accentue et accentuera les inégalités, et hélas les plus riches trouveront toujours des endroits où il fait bon vivre. Pour l’heure, il faut déjà se poser la question de savoir comment habiter notre territoire avec plus d’intelligence et aussi agir à son niveau, ça reste très important, chaque geste compte et, surtout, ne pas baisser les bras car la bataille n’est pas complètement perdue !
- Delphine Fresard // Photos : Raphaël Helle