Trouver des sources avec un pendule ? Sentir la présence souterraine de l’eau avec son corps ? Impossible? Sourcellerie, radiesthésie, chercheurs d’eau, taux magnétique et bachibouzouk… On est parti à la découverte de ce domaine insondable, avec deux de ses spécialistes.

Article extrait du n°30 du magazine Sparse (mars 2020)

Le pendule, l’outil du sourcier, tournoie au-dessus du cadastre. Sur le plan, il y a un champ, comme il y en a beaucoup, ici, dans l’Auxois. Son propriétaire aimerait savoir s’il y a une source, si on peut imaginer creuser un puits. Jean* a de grosses mains, de celles qui connaissent la terre, elles tremblent un peu. C’est une force rocailleuse, noble d’expériences récoltées après une vie dans le domaine agricole. Pas d’état de transe, juste un sourire au moment où il met le doigt sur la carte. C’est là. Il y a de l’eau ici. C’est le pendule qui le dit. Et lui, il le ressent. Jean est sourcier. Avant lui, son père cherchait l’eau, mais quand il était jeune, Jacques n’en avait pas le goût. Il y a 10 ans, il a fait lui-même appel à un sourcier. Il a senti l’appel de l’eau et a tâté le pendule. Avec succès. Depuis, il se balade, conseillant, consultant, initiant. Une histoire de ressenti selon lui.

Nous sommes chez Marcel*, que Jean a formé. La véranda donne une vue très large sur l’Auxois. «Dans le coin, les gens nous connaissent, on a cherché sur beaucoup de terrains», confient-ils. Marcel est curieux, il a beaucoup lu sur le sujet, pendant que Jean l’initiait. Quand Marcel a pris sa retraite, Jean est venu au pot de départ et lui a offert un pendule, juste comme ça. Et il a senti l’appel de l’eau, lui aussi. Les deux préfèrent qu’on ne dise pas «sourcellerie» mais qu’on parle plutôt de «chercheurs d’eau». «Ça fait un bon titre aussi, et puis ça laisse moins penser qu’on peut finir sur un bûcher», s’amusent-ils.

« Notre recherche de l’eau a quelque chose d’instinctif. C’est un reste de notre état de nature.»

Comme dans tous les domaines qu’habite le mystère, la sourcellerie compte plusieurs écoles. Oups, on dit radiesthésie. C’est du grectin, mélange du latin «radius» le rayon, et du grec «aisthêsis», la sensation. Ceci n’est pas un exposé. Mais bon, il faut bien revenir à la source. Depuis la nuit des temps, les hommes ont un rapport de nécessité à l’eau. Ils ont soif, quoi. Et ils aiment avoir des caleçons propres. Alors, il a fallu chercher l’eau.

Jean est formel. « Notre recherche de l’eau a quelque chose d’instinctif. C’est un reste de notre état de nature.» Il me parle de nos taux de cristaux magnétiques. Ça serait la grande réponse, qui fait qu’on peut tout contrôler. Même voler. Ah non ? Quand même pas ? «Non, quand-même pas. Par contre, je peux faire plein d’autres trucs, je peux voir si un lieu est habité par des morts et je peux chasser ceux qui errent.»

La question du don chez les sourciers est un peu une question tabou. La poser, c’est prendre le risque d’assécher l’interlocuteur. Mais alors, Jean, il n’y a vraiment pas de don ? «Non. Par contre on a tous un taux magnétique différent dans le corps. Certains en ont un plus haut que les autres.» Marcel acquiesce. «Celui de Jean est bien plus haut que le mien. En fait, il n’y pas de don mais on peut parler d’hérédité pour le taux magnétique.» Jean défend encore le camp du «il n’y a pas de don»: «C’est comme avec la musique, pour l’oreille absolue». Un don qui n’en est pas un. Comme la taille du zgeg. C’est pas le taux qui compte en fait. «Quelqu’un qui a un taux très faible, il peut trouver des sources. Ce qui compte c’est de s’écouter. C’est une question de ressenti.» Ça tourne un peu sexo ou je rêve ?

Au fil de la discussion, le ressenti revient beaucoup. Ils confient même qu’une technique de radiesthésie consiste à méditer. Ils abordent la sourcellerie par un versant scientifique et même historique. «Tu savais que le père de Michel Rocard, Yves, s’est beaucoup intéressé à la radiesthésie ? Ça lui a coûté un prix Nobel de physique.»

« Y’a pas de don, mais on a tous un taux magnétique différent dans le corps. Certains en ont un plus haut que les autres.

Si on résume, ce qui compte, c’est le corps. Mais le pendule dans tout ça ? «L’outil, c’est un amplificateur de mouvement. Quand on passe à côté d’un champ magnétique, c’est notre corps qui décèle la variation.» Jean avoue même que parfois il oublie son pendule.

Un sourcier se déplace beaucoup. Parfois très loin. Pour être efficaces, Jean et Marcel préparent en amont leurs recherches. Comme sur le cadastre. Pour délimiter un périmètre précis, sur des terrains parfois immenses. «Ça nous évite quelques kilomètres de marche», s’amusent les deux amis. Travailler en amont, c’est important surtout que toutes les demandes ne se ressemblent pas. Jean explique que ses services sont très demandés, qu’il ne veut pas de pub. Même si tous les jours ne sont pas les mêmes, la veille, il a eu 4 appels. Un pour un golf, un pour un parc régional, et deux particuliers. De quoi l’occuper. «Si pour les particuliers, on va être sur des volumes assez faibles, pour le golf c’est plutôt de l’ordre de 50 m3/h et 30 m3/h cube pour le parc régional. Ça nécessite des forages profonds. On va parfois jusqu’à 100m.»

Creuser à cette profondeur sur une intuition, ça fait cher la marge d’erreur. «Un forage à 100 m, ça peut coûter 10.000€», estime Jean. Quand même. Quand le client décide de faire creuser, sur les conseil du sourcier, les pelleteuses se mettent à l’œuvre. Ou alors l’entreprise de forage. Pas mal de logistique, alors c’est mieux si à la fin il y a la mer en dessous. Mais Jean est zen, pas de pression. «Il ne faut pas chercher l’eau en pensant qu’on ne va pas la trouver. Oui, il y a une marge d’erreur. Il y a des échecs, mais il faut avoir confiance en soi. À 100 m, ça tourne entre 15 et 20 % d’échecs. Mais en dessous de 10 m, c’est plutôt 10 %.» Il avoue volontiers que «tout dépend des surfaces.» Différentes couches, on passe à la géologie. « On consulte des bases de données comme InfoTerre. Par exemple, la marne brouille les pistes, mais dans le granit tout est plus simple.»

La collapsologie, Jean et Marcel savent que ça existe, eux croisent surtout des gens qui veulent savoir s’il n’y a pas un moyen d’arroser le verger avec de l’eau qui vient du fond du jardin.

Les deux complices s’accordent pour témoigner d’un engouement pour la recherche des sources, ces dernières années. «L’eau, ça causera des guerres», professe Marcel. Alors, fréquemment, ils donnent de petites formations. Toujours dans l’idée de transmettre l’apprentissage des ressentis. Trouvez la source qui est en vous. Le public s’en empare, parce que ça fait du bien même pour le corps. Il y en a qui veulent juste savoir, si jamais. Si jamais, c’est les fameux inquiets des guerres et de l’effondrement. La collapsologie, qui fait des adeptes un peu partout. Jean et Marcel savent que ça existe, eux croisent surtout des gens qui veulent savoir s’il n’y a pas un moyen d’arroser le verger avec de l’eau qui vient du fond du jardin. Mais c’est vrai que l’eau, avec les canicules qui s’enchaînent, elle vaut cher. «Nous deux, on connaît bien le domaine agricole, on y a travaillé toute notre vie. Il y a beaucoup de puits un peu partout. Ici, sans eau, rien ne pousse», argue Jean. Maintenant, on l’appelle pour un tas de choses.

Couteau suisse de la radiesthésie, il dégaine son pendule au-dessus d’un cadastre et trouve une source. Il sait de quel côté du lit on dort, et où sont cachés les morts. Moi je dis qu’il est fort, lui il dit que c’est son taux magnétique.

Ainsi, Louis*, qui travaille dans l’immobilier, a fait appel à plusieurs sourciers pour construire sa maison, près de Mâcon. À chaque fois, l’histoire est un peu différente. L’un d’eux a vu un massacre de masse sous le terrain, un autre a insisté sur le fait qu’un enfant avait été noyé dans le puits. De vraies histoires, pas des fables. D’ailleurs, Jean voit les corps lui aussi. Il a plus de mal à expliquer ça. Évidemment, il y a toujours les champs magnétiques et nos ressentis, mais aussi un peu de mystère. «On peut trouver beaucoup d’explications, mais il y a une part de psychisme. Chacun a sa manière d’exercer », confie Marcel.

Jean a une sérieuse réputation dans le coin. Il nous a demandé de lui trouver un pseudo parce que chez les chercheurs d’eau, on se liquide facilement. Non, en fait c’est parce qu’il ne veut pas de pub. Il y a eu un article sur lui une fois dans un grand hebdomadaire. Depuis on l’appelle de partout et pour tout. Alors il préfère la discrétion. Et puis un de ces jours, une grande firme pourrait lui tomber dessus, comme Nestlé, Coca ou Pepsi, qui achètent un maximum de sources, pourtant bien commun. Ils savent que sous la terre, ça peut valoir de l’or. Comme à Vittel dans les Vosges, où Nestlé possède presque toutes les sources du coin. Un jour, la frénésie sera sous nous et à la recherche de l’eau, nouvel or, nouveau Klondike, les sourciers seront les rois.

  • Arthur Guillaumot / Illustrations : Michael Sallit

*les prénoms ont été modifiés.