On a beaucoup entendu parler les médecins dans les médias, le professeur Raoult en tête. Les chercheurs de BFC ont aussi leur mot à dire et notamment les sociologues. « Par essence, on travaille sur le collectif, ce qui unit les gens » rappelle Matthieu Gateau, maître de conférences en sociologie à l’université de Bourgogne-Franche-Comté. On a discuté avec lui distanciation sociale et festivals (bel oxymore).

Après le confinement, allons-nous tous devenir des êtres insociables ?

Ce qui est certain, c’est que cette crise va laisser des traces. Quand on sera vieux, tous les gens qui étaient vivants à notre époque auront un souvenir de cette période. Comme pour les conflits mondiaux, il y aura un souvenir collectif. Il concernera l’entièreté de la population mondiale, c’est assez inédit. C’est une pandémie donc quelque chose de médical, mais elle s’est doublée d’une crise sociale avec ce confinement. « Restez chez vous et voyez le moins de gens possible » : c’était le message. Là on sort la tête de l’eau, momentanément ou définitivement, j’en sais strictement rien. Peut-être qu’on va nous dire dans trois mois: « Allez! Tout le monde rentre à la maison! ».

« On ne va pas aller voir un concert punk sans faire de pogos ! »

Qu’est-ce que vous évoquent les différentes mesures prises à la sortie du confinement?

La vie collective commence à reprendre mais on met en place des stratégies d’évitement. Je suis allé chez Carrefour, tout est balisé : les chemins à prendre, les sens, les distances à la caisse. Dans les entreprises, les écoles c’est le même délire. On reprend une vie sociale artificielle. Alors, soit on s’en fout, on ne joue pas le jeu, on ne met pas de masque, mais ça peut être dangereux, soit on joue le jeu mais c’est vrai que ça a un petit goût amer. L’être humain est un être social, éventuellement tactile, et cette crise enlève ces deux piliers. On peut voir des gens mais pas trop, pas trop nombreux, pas trop longtemps, avec des masques, du gel hydro…

Comment faire dans les lieux où la distanciation sociale est inexistante comme les salles de concert?

Une partie de la vie culturelle va être compliquée à redémarrer. Personnellement, je suis plutôt amateur de musique rock-métal, et bien je ne vais pas aller à La Vapeur avec 4m² pour un bonhomme. L’ambiance de ce genre de rendez-vous se fait aussi par frottement social, au sens propre et figuré. Ça bouge un peu, on sent qu’il y a du monde… on les sent un peu trop prêt d’ailleurs des fois! Ce genre d’évènement culturel à bonne distance les uns des autres, ça ne va pas. On ne va pas aller voir un concert punk sans faire de pogos ! L’essence même de ces rassemblements, c’est d’être ensemble. Là on arrivait à la saison des festivals, c’est presque mieux que ça soit annulé, dans le sens où, si c’est pour faire des festivals confinés, je pense qu’il y aurait une grosse déperdition au niveau du public. L’état d’esprit général, c’est une ambiance de proximité, de sympathie. S’il fallait être sage, ne pas bouger… autant attendre qu’on puisse les faire en vrai. Après la question c’est : « quand est-ce que cela viendra? ».

« Avoir une autorisation pour pouvoir sortir de chez soi, c’est un truc délirant »

Et est-ce qu’on va oser y aller ?

Je pense que les gens ont tous envie d’y retourner. Ce qui n’empêche pas d’avoir des craintes. Là on est au tout début du déconfinement donc il y a un effet de rattrapage. Dans les semaines qui arrivent, beaucoup de gens vont se retrouver, il va y avoir une forte activité sociale. Les bars et les restos vont refaire du chiffre d’affaires et tant mieux pour eux. Après, ce qui est compliqué c’est que pour le moment on n’a pas de visibilité. Si on nous disait «le Covid 19 c’est terminé, il y a un vaccin, ou le virus est mort», on pourrait imaginer qu’on a eu une parenthèse de trois mois. Mais là, on ne sait pas. Sans être pessimiste, il y a toujours ce truc-là au-dessus de nos têtes. Donc le monde d’après, c’est peut-être aussi apprendre à vivre avec ce genre de risque. Du jour au lendemain, par quelque chose qui est extérieur à nous, tout peut s’arrêter. Pour beaucoup de gens, la sensation d’être privé de libertés a été assez difficile à digérer. Les gens ont compris que c’était pour leur santé, mais devoir avoir une autorisation pour pouvoir sortir de chez soi, c’est un truc délirant. Dans ma tête, c’était les trucs de rationnement de mes grands-parents pendant la guerre. Donc même dans un pays démocratique, boum, il peut y avoir un couvre-feu, des contrôles de police. Et c’est pas un blockbuster américain, là c’était la vraie vie.

  • Matthieu Fort // Photos : M.F.