Lucas Belvaux a tourné dans le Morvan l’an dernier et sort enfin son film, qui était sélectionné à Cannes cette année, à l’aise. Cannes n’a pas eu lieu, donc le tapis rouge, c’est à Château-Chinon. Des hommes, avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot, entre autres. Sur les cicatrices pas tout à fait refermées de la guerre d’Algérie pour les gars qui l’ont connue.

Lucas Belvaux, c’est ce réalisateur belge engagé et discret qui a récolté des prix en pagaille, le frangin de Rémi Belvaux, le Rémi de C’est arrivé près de chez vous. Dans sa musette, la fameuse « trilogie Lucas Belvaux ». Trois films pour des histoires différentes mais dont les personnages s’entrechoquent entre eux. Dingue. Il a aussi réalisé Rapt, basé sur l’histoire de l’enlèvement du baron Empain, avec Yvan Attal, ou encore Chez nous, sur la montée de l’extrême droite dans le nord de la France. Un cinoche fiction sociale, politique, engagé. Il a également joué dans les films d’Yves Boisset, de Claude Chabrol, Jacques Rivette, Olivier Assayas, et beaucoup dans les siens.

Dernièrement il a tourné dans le Morvan, c’est pour ça qu’il vient présenter son film directement au cœur du poumon vert de Bourgogne. Ce vendredi 9 octobre, c’est deux séances en avant-première pour deux rencontres : 18h à Château-Chinon à l’Étoile et 18h30 à Ouroux-en-Morvan au cinoche le Clap. Non, Lucas Belvaux n’a pas le don d’ubiquité, juste il rencontrera le public avant le film à Ouroux, et après le film à Château-Chinon. Pas con le type.

Gégé ne sera pas là, mais il a déjà marqué le coin. « Gérard Depardieu en plein Château-Chinon, forcément, ça crée l’émeute. Tout le monde sortait son téléphone et voulait être pris en photo avec lui » racontait Claire Langmann, la directrice de production du film au Journal du Centre en juin 2019. « Nous avons tourné à la salle des fêtes, au café Saint-Christophe et dans pas mal de maisons autour. À Arleuf et à Dun-les-places aussi ».

Un film sur l’histoire collective et individuelle, sur le silence, adapté du bouquin éponyme de Laurent Mauvignier, qui va gratter là où les livres d’Histoire ne l’ont pas encore beaucoup fait… Rencontre.

Depardieu et Darroussin dans Des hommes (Photo : David Koskas)

Vous vous intéressiez à cette période de la guerre d’Algérie avant de découvrir le livre Des hommes, de Laurent Mauvignier.

Un peu parce que je m’intéresse à ce genre de choses-là, à l’Histoire, mais pas tant car il n’y rien là-dessus dans mon histoire de famille, vu que je suis Belge. C’est vraiment le livre qui m’a interpellé. Car il proposait un regard différent sur cette période, moins idéologique. Laurent Mauvignier a pris acte que la décolonisation n’était plus un sujet de polémique. Donc il peut parler de la guerre d’Algérie à hauteur humaine.

Ce qui vous a intéressé, c’est les traumas, les secrets, les silences que les soldats ont ramenés ?

Oui bien sûr, mais en même temps, c’est un livre qui fait l’inventaire des souffrances de tout le monde. Les Français, les Algériens, les Harkis, etc. C’est un livre qui ne reste pas que du côté des soldats français. Le livre, donc le film, envisage un peu tout. C’est un film qui parle des souffrances de la guerre en général.

Extrait du film Des hommes (photo : David Koskas)

Comment vous expliquez qu’il y ait si peu de films sur la guerre d’Algérie ?

Il y en a en fait plus que ce qu’on pense. Dès la guerre d’Algérie, Godard sort un film. Dans Les Parapluies de Cherbourg, on parle d’un retour d’Algérie, dans Le Boucher de Chabrol, Jean Yanne aussi revient d’Algérie, il y aussi Avoir vingt ans dans les Aurès, et d’autres films comme ça moins connus… L’époque a fait que c’était des films militants, à l’idéologie très marquée. La question politique a été très prégnante, officiellement on ne parlait pas de guerre, mais d’« événements d’Algérie » jusqu’en 1999. Les anciens d’Algérie ont eu le statut d’anciens combattants seulement en 1974, 12 ans après la fin de la guerre. Pendant tout ce temps on était dans le déni de leur souffrance, de leur statut… Donc on n’en parle pas de la même façon quand il y a un déni d’État et de la société, que plus tard en 2020, où cette société se pose des questions ouvertement. Ce que j’ai fait, c’est plus un film sur le silence et le déni que sur la guerre. Plus un film sur les souffrances que sur la guerre à proprement parler.

Pourquoi vous avez choisi de tourner dans le Morvan ? Dans le livre ça se passe en Touraine, c’est ça ?

Oui parce que Laurent Mauvignier est de là-bas. Mais finalement la guerre d’Algérie, ça parle de ruralité en général. Elle a été faite par des types qui n’étaient jamais sorti de leur canton. Les 2/3 des appelés sont des gens de la France rurale. C’était la France des années 50, pas de télé, de téléphone dans les villages, y’a encore beaucoup de fermes où on laboure avec les chevaux. Ces jeunes ont quitté une France et quand ils sont revenus, elle avait changé rapidement. Le Morvan, c’est un peu le symbole de ces territoires ruraux. Et puis à l’origine, je voulais tourner l’hiver et avoir de la neige. Je me suis dit que dans le Morvan j’aurais plus de chance d’en avoir que dans le Nord ou en Touraine… Donc on a fait les repérages sous la neige, super, mais finalement on a tourné au printemps. Donc on a oublié la neige, mais y’avait cette idée-là, d’aller chercher le froid.

Dans votre cinéma, on est très loin de l’entertainment, vous cherchez à coller au réel. Vous avez d’ailleurs fait des films sur des faits-divers, comme Rapt ou 38 témoins… C’est le rôle du cinéaste pour vous de faire ça, d’être le plus proche possible du réel ?

Plus que coller au réel, je dirais que je colle à la réalité. Je fais pas un cinéma réaliste. Le mien est quand même un peu stylisé, avec de la distance. Je montre des choses qui traversent le monde ou qui l’ont traversé, mais le figuratisme ne m’intéresse pas beaucoup. C’est l’idée de réalité du monde dans lequel on vit qui m’intéresse plus que l’effet. Je ne fais pas de documentaires… Mais vous savez le réalisme peut être très superficiel, je préfère voir dans l’intimité des choses, la profondeur des choses. Le réalisme, ça peut vieillir très vite. J’essaie d’être plus épuré et stylisé que ça.

  • Propos recueillis par Chablis Winston