Pour son retour au théâtre, Jean-Christophe Hembert, aka Karadoc dans Kaamelott, met en scène les mots de Théophile Gautier dans Fracasse, d’après l’histoire du célèbre Capitaine. Ça se passe jusqu’à dimanche à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Sâone, où la pièce a été créée.

On y retrouve avec plaisir Jacques Chambon (Merlin) ou encore Thomas Cousseau (Lancelot) dans le rôle titre, entre autres. Petite discussion un soir de première, dans les cuisines, en préparant des hectolitres de Caïpirinha pour la fin de soirée (les Caïpirinha les plus fortes que j’ai bues de ma vie, soit dit en passant).

Comment tu as découvert ce livre de Théophile Gautier ?

Je l’ai lu pendant un voyage en Équateur y’a 20 ans. Je voyageais tout seul à l’époque. Je l’ai lu pendant un moment de grande solitude. J’avais le souvenir d’un truc où la langue est exceptionnelle. Je voulais refaire du théâtre après la télé et le cinéma, et c’est ce bouquin qui m’a donné envie. J’ai senti que je pouvais en faire quelque chose d’épique, familiale, populaire. Les gens ont un a priori désuet sur ce livre. Ils se disent que c’est juste un bouquin de cape et d’épée, mais c’est bien plus que ça.

Théophile Gauthier a bien procrastiné puisqu’il a mis 30 ans à l’écrire…

C’est un bouquin qui a eu beaucoup de succès à l’époque mais il a quand même coulé 10 éditeurs, le Théophile. Avant d’en trouver un 11ème qui l’a payé par épisode, histoire de le forcer à écrire. Donc on sent qu’il y a des chapitres avec un niveau de langue fou, et d’autre oùu tu sens qu’il est rentré bourré à l’absinthe d’une soirée avec Baudelaire…

C’est un mec du 19ème qui écrit sur le 17ème siècle, et…
(il coupe) Le 17ème siècle c’est le dernier farwest ! Les épées, les flingues, les mousquetaires… Dumas, Hugo, Rostand sont allés puiser dedans. Chaque personnage est un peu comedia del arte, mais avec une introspection Freudienne démentielle. Et puis les histoires en costume j’aime ça, le 17ème, on peut le styliser, ça permet de raconter une histoire qui sort de ta réalité.

Il a fallu faire des choix dans le texte ?

Oui, il a fallu couper. On a centré l’histoire sur la renaissance d’un homme. L’histoire d’un noble qui quitte sa condition pour rejoindre une troupe de comédien crève la dalle, qui fait un saut dans le vide hallucinant. Comme si Lagerfeld allait bosser chez Kiabi pour reprendre goût à la vie.

Et au cours de l’histoire, il découvre la langue, les mots… Et là ça devient un super-héros du théâtre. Capitaine Fracasse ! Dans ce spectacle on voit la naissance d’un super héros du théâtre. Comme un épisode 1 de Avengers.

Comment on fait pour faire un théâtre que tu décris comme populaire avec les mots de Théophile Gautier. Une langue un peu dure, qui saute pas aux oreilles tout de suite, une langue un peu compliquée ?

C’est bien d’être exigent avec le spectateur. L’histoire est claire. Les gens peuvent comprendre. Parfois y’a des mots compliqués, mais les gens vont comprendre dans la situation, pas de problème. Ce niveau de langue, il est jouissif… On a raboté parce que Gautier fait 25 périphrases dans le bouquin, mais on a gardé ce niveau.

(c) Giovanni Cittadini Cesi

La mise en scène sert à rendre cette langue compréhensible en fait ?

Oui, à faire comprendre les enjeux de la pièce facilement. Des fois on comprend pas tout ce qui se dit, mais on comprend ce qui se passe. Dans À la maison blanche, la série, parfois y’a plein de vocabulaire technique mais tu comprends où ils veulent en venir. On fait confiance aux spectateurs.

T’as commencé le théâtre avec des grosses pointures à l’époque : Roger Planchon, Jean Lambert-Wilde…

J’ai appris mon métier comme assistant avec ces mecs-là. À l’époque si tu me demandais de nettoyer les chiottes pour le bien du spectacle, je l’aurais fait. Mais j’ai appris tellement. Les gens m’ont fait confiance, c’était mon école.

Cette création, elle va peut-être être compliquée à tourner en cette période covid et de couvre-feu ?

J’ai décrété que tant que la salle n’est pas fermée et qu’il y a des spectateurs, le covid n’est pas un problème. Si un comédien est pas là, on le remplace. À l’époque de Molière, y’a des gars qui mourraient le matin il fallait bien jouer le soir pour pouvoir bouffer… On en en est pas à ce niveau-là mais bon… C’est tellement fou qu’il y ait encore des gens qui prennent la peine de venir au théâtre alors qu’il y a Netflix et tout ça. Ces gens-là il faut leur donner envie de revenir. Tant que la salle n’est pas fermée, on s’organise.

The show must go on.

Oui, on sauve pas des vies, mais on fait pas des spectacles au rabais. Pour le Capitaine Fracasse, j’étais super inspiré, les comédiens sont inspirés, j’ai jamais eu autant de moyen, ces dernières semaines j’ai la tête qui bouillonnait… le kiff, une belle tension ! C’est pour ça que je fais de la Caïpirinha en grosse quantité, pour faire rebondir la pression. D’ailleurs, incroyable regarde ! Les citrons verts que je coupe, ils viennent du bled de mon beau-frère au Brésil ! C’est fou, non ?

Je ne sais pas si vous avez conscience de ce que vous avez crée avec Kaamelott ? De ces millions de gens qui connaissent tout par cœur …

Encore cet été c’était très troublant, j’étais en vacances avec des amis, leur fille de 9 ans connaissait mieux les répliqués de Kaamelott que moi, alors qu’elle n’était pas née en 2008 quand on a fini de tourner la série. C’est dingue !

Comment on fait pour la suite pour ne pas être considéré tout le temps uniquement comme Karadoc de Kaamelott ?

Je me considère pas comme acteur. Je suis metteur en scène. Mon pote Alexandre Astier m’a filé un rôle un jour. C’est devenu Kaamelott. Mais pour moi, jouer dedans c’était le récréation. Moi, sur Kaamelott, le gros de mon boulot c’était de faire de la production en fait. Karadoc c’est un personnage chouette, toujours à 100 %.

Tu réussis à te sortir de Karadoc ?

Tout va bien, regarde, là je fais le metteur en scène, je continue à travailler. C’est chouette d’avoir participé à ce truc fou qu’est Kaamelott. Mais c’est une petite partie de moi, qui n’est pas moi… dont les gens se sont emparés. Des fois y’a des scènes surréalistes. Quand je vais manger à Lyon avec Franck Pitiot (Perceval dans la série, ndlr), les gens s’arrêtent, ils tombent par terre comme si on était les Beatles, alors que lui est moi on est pas vraiment acteur. Mais bon j’en suis fier, on a pas fait Hélène et les garçons… Je suis hyper fier.

Et le film ?

Oh, on peut pas lutter contre les éléments, il sortira quand il pourra sortir. Alexandre est assez philosophe là-dessus.

  • Propos recueillis par Chablis Winston // Photo de Une : Giovanni Cittadini Cesi