La BFC, ce n’est peut-être pas les grandes plaines du Midwest, mais suer dans une hutte pour vivre le rituel amérindien Inipi, c’est possible. Un passeur d’âme nous invite à traverser « quatre portes» et purifier nos corps subtils. Entre dans la loge, ça te fera une sortie !
Reportage extrait du numéro 31 du magazine Sparse, sortie en septembre 2020
Ne sommes-nous pas tous concernés par l’épreuve d’un réveil de hyène à en faire crever son voisin (et pas qu’avec l’haleine), par des idées noires à s’enfermer dans un monde d’injustices ou des souvenirs qui cimentent les deux pieds ? Il nous arrive à tous d’avoir mal au mental et de nous sentir «coincés ». C’est immatériel et pourtant ça se soigne, mais on n’arrache pas une émotion aux forceps. Alors dis moi Grand Mystère, comment qu’on fait? Sous l’étiquette «passeur d’âme», au nom qui évoque un arc-en-ciel et le mariage pour tous, Jérôme (prénom emprunté pour l’article et parce qu’on a tous un pote qui s’appelle comme ça, ndlr) nous accompagne vers plus de calme, plus de paix. En direct du monde astral, échanges et immersion sous la hutte : Mitakuye Oyasin ! comme se saluent les Sioux Lakota. Nous sommes tous en relation.
Initié, entre autres, aux enseignements du chef spirituel sioux Lakota Archie Fire Lame Deer par une femme habitant près de Dijon (qui dans sa jeunesse a fait partie d’un groupe de Français l’ayant accueillie), Jérôme en hérite le rituel Inipi. L’homme-médecine venu en Europe «rallumer les feux» le décrit comme ce qui «a été donné aux hommes, pour qu’ils se purifient spirituellement, physiquement, mentalement, et émotionnellement. Entrez dans une Sweat Lodge, c’est naître une nouvelle fois». Le rituel démarre quand le feu s’allume. Au sein de la hutte faite de bois et de couvertures, le passeur d’âme est celui qui garde les pierres et verse l’eau. Au milieu de la nuit, dans les enfers d’une chaleur écrasante, à coup de tambours et de chants traditionnels très énergétiques, Jérôme accompagne son groupe d’aspirants au mieux-être à traverser les quatre portes vers une libération émotionnelle ruisselante.
Le rôle du chaman est d’ordonner la nature et vivant à l’écart, sa venue au sein de la communauté est toujours une mauvaise nouvelle puisqu’elle signifie que l’équilibre a été rompu.
Après avoir suivi les dernières indications, la Micra atteint sa destination : une enclave bourguignonne dans le sein Franc-Comtois chatouillant la Haute-Saône et la Haute-Marne. C’est sur le territoire de sa compagne que Jérôme, originaire de Langres, vit en famille depuis dix ans. Devant la maison s’étale un potager en carré où les poules se baladent. En bordure du bois, une yourte chaleureuse sert de pénates aux invités. Dans ce grand bazar organisé et plutôt roots, des jeux d’enfants sont éparpillés. Rassemblés sur la terrasse, les participants discutent. Un homme joue du handpan (instrument percussif manuel du genre steel-drum). Pas de Covid, ici tout le monde se bise… Dans la cuisine où les mets s’accumulent (on se fait un gueuleton après), Jérôme prépare une soupe à l’oignon.
Pantalon de chantier, polaire rouge, basket, yeux bleus, visage paisible, le passeur d’âme nous accueille en toute simplicité. Nous sommes 10 et dans ce cercle d’habitués, on compte des pratiquants convaincus, dont un pote de Jérôme qui sera maître du feu pendant le rituel, un puriste de la spiritualité chamanique à peine revenu des terres sacrées d’Amérique, un adepte de la purge de tabac, une biokinergiste et des Lyonnaises hispanophones. Nous ne sommes que 3 néophytes : «Tu n’as jamais fait de soin avec Jérôme ? Tu vas voir, c’est magnifique !».
Passé le chemin fauché et les panneaux solaires, nous découvrons le site dédié aux cérémonies. Un grand tipi blanc, un bois et des prés s’étendent à perte de vue tandis qu’une antenne-relais assez balaise casse un peu le mythe. Le squelette de la hutte (également appelée loge ou Sweat Lodge),où branches de noisetier et de saule s’emmêlent pour former un dôme d’environ 1,50 m de haut, paraît minuscule. Au centre, un trou est creusé où les pierres en basalte seront déposées par le maître du feu en 4 fois, 4 portes afin d’y purifier nos 4 enveloppes : physique, mentale, émotionnelle et spirituelle. Ensemble, nous recouvrons la loge de couvertures. Dans cette médecine du peuple à prix libre, on vient trouver l’issue d’une difficulté à vivre ou d’une maladie physique pour laquelle la médecine conventionnelle n’est plus efficace. Presque nus en file indienne et purifiés à la sauge, nous suivons l’officiant. Un par un, femmes et néophytes d’abord, nous saluons nos «esprits amis» présents aux 4 points cardinaux avant de rentrer à quatre pattes dans c’trou ! Le gardien du feu ferme le cercle et nous souhaite la bienvenue: Mitakuye Oyasin !
Au milieu de la nuit, dans les enfers d’une chaleur écrasante, à coup de tambours et de chants traditionnels très énergétiques, Jérôme accompagne son groupe d’aspirants aux mieux-être à traverser les quatre portes vers une libération émotionnelle ruisselante.
Chaque porte ouvre des prières authentiques aussi belles et naïves qu’une peinture du Douanier Rousseau. Toutes honorent Mère Nature dans le volcan de la loge puissamment vivante et pas très sweet ! Il fait au bas mot 40° à l’intérieur. Les prières chantées et le rythme rapide des tambours nous font autant tourner la tête que la chaleur. Pour Jérôme, être passeur d’âme est un chemin de vie motivé par une recherche de sortir du mal-être. Très jeune confronté à l’idée qu’il va mourir suite à un accident, sa soif de vivre le moment présent s’intensifie, le conduisant à rentrer en opposition «avec à peu près tout». Les 27 ans de travail sur soi le mènent dans des espaces de thérapie et à rencontrer des gens issus de milieux «énergétiques». À 43 ans, fort de son expérience de libération et de transformation émotionnelle, Jérôme partage depuis 5 ans ce qu’il a reçu et compris du fonctionnement humain en tant que passeur d’âme à plein temps. Après des résistances, il assume cette appellation qui lui est nécessaire pour communiquer sur Internet sans pollution (liée à son patronyme) et aider les personnes à situer sa pratique. «Passeur d’âme, c’est beaucoup en lien au monde de la mort». Préférant ce qui est vivant, il se définit plutôt comme «celui qui aide à faire passer les étapes dans toutes les traditions depuis l’antiquité».
C’est de l’autre côté, dans cette dimension «des défunts», qu’il s’occupe des «personnalités psychiques» (ce qui reste quand on n’a plus de corps) bloquées dans des espaces aussi appelées ‘mémoires’. «Comme nous, vivants, pouvons tourner en boucle dans des situations et ne plus jamais s’en sortir», Jérôme aide à quitter ces enfermements, corps ou pas corps. Interrogeant les causes et cherchant l’erreur, il expose sa vision : «Ce que l’on vit, c’est le résultat de notre programmation. Du coup si on veut changer le résultat, il faut changer le programme». Le rôle du chaman est d’ordonner la nature et, vivant à l’écart, sa venue au sein de la communauté est toujours une mauvaise nouvelle puisqu’elle signifie que l’équilibre a été rompu. À l’heure actuelle, «y’a des chamans partout, donc c’est la merde !» et trouver un guide conscient de sa «responsabilité implacable» relève du défit. Dans ce nuage New Age des écoles de ghostbusters où l’on devient maître de Reiki en 4 chèques, on est pas prêt de rééquilibrer le Dharma ! Commencer par soi-même avec l’Inipi, bah pourquoi pas ? Éprouvante et épouvantable autant que merveilleuse et mystique, pour ma part, j’en retire une pacification émotionnelle plutôt inédite.
- Texte et photos: Delphine De Petro