Ça sent le sapin, c’est lourd comme un pudding, écœurant comme un chocolat à la gnôle, mais ça a un goût de reviens-y… Genre à part entière, le téléfilm de Noël est devenu un incontournable des programmes de fin d’année et se hisse, pour certains spectateurs, au rang de véritable tradition. Mais qu’est-ce qui se cache sous la couche de glaçage et les paillettes ?

Un baiser pour Noël, Tous ensemble pour Noël, Un Noël magique, Les souliers de Noël… Vous l’aurez compris, un téléfilm de Noël, ça se repère à des kilomètres. Et ça, c’est juste une poignée parmi les dizaines de titres qui ont commencé à envahir la grille des chaînes des groupes TF1 et M6. Depuis quelques années, les succès d’audience ont poussé les directeurs des programmes à débuter la diffusion des fictions de Noël au lendemain d’Halloween, soit quasiment 2 mois avant les fêtes. Et le confinement est clairement une aubaine pour les chaînes. Chaque jour, les films s’enchaînent dès la pause déj jusqu’au soir. De quoi sérieusement risquer l’overdose de bons sentiments. L’offre est telle que des sites comme telefilmsdenoel.fr ont vu le jour pour aider les téléspectateurs à faire leur choix. Ben oui, ce serait quand même dommage de passer à côté d’un chef d’œuvre.

Mais replaçons l’église au milieu du marché de Noël. Ici, on ne parle pas de longs métrages du genre de Maman j’ai raté l’avion, Le Grinch ou Love Actually. Il est ici question de films qui sont produits pour la télévision et dont le scénario tient généralement sur un emballage de papillote. Les personnages paraissent avoir été écrits par un enfant de 6 ans et les dialogues sont subtils comme une crème au beurre, la VF n’arrangeant rien. C’est le genre de film devant lequel on peut s’endormir après avoir englouti 15 toasts, 12 huitres, un quart de dinde et une part de bûche, puis se réveiller 10 minutes avant la fin et quand même tout comprendre à l’histoire. Et c’est finalement tout ce qu’on leur demande.

Si on aime s’en moquer, le téléfilm de Noël, c’est avant tout un état d’esprit, une atmosphère magique, une promesse de réconfort. Ça se regarde sous un plaid avec un chocolat chaud, un chat sur les genoux (n’hésitez pas à en emprunter un si vous n’en avez pas), et pour les plus chanceux, un feu de cheminée. Et s’il fait un temps pourri, alors là c’est le combo gagnant. C’est une plongée dans un univers où tout le monde est beau et gentil et passe son temps à décorer sa maison et préparer des biscuits.

«Les films de Noël, c’est comme les pornos, quand on en a vu un, on les a tous vus.»

Tellement peu d’originalité dans ces fictions que des internautes ont lancé des grilles de «bingo de Noël». Le principe? Un tableau avec des cases remplies des clichés dont ces films nous abreuvent : l’héroïne est célibataire / elle hérite d’une auberge / un personnage déteste Noël / expédition pour acheter un sapin / le rôle-titre est joué par une ancienne star de série télé des années 1990 / il neige (ah oui, le réchauffement climatique n’existe pas dans le téléfilm de Noël)… A chaque fois que vous barrez toute une colonne/ligne/diagonale pendant le visionnage, hop, une gorgée de vin chaud, lait de poule ou Pontarlier ! De quoi rendre l’expérience télévisuelle un peu plus fun.

Question clichés, dans Noël sous le gui, on est gâté. Abbey est animatrice dans un Ehpad. Catherine, genre faux-sosie de Jane Fonda, lui demande de décorer le sapin de la salle commune. Elle lui fait prendre conscience de ses compétences hors du commun en matière de décoration de conifère et l’engage sur le champ pour meubler le manoir qui abrite sa société. Là-bas, Abbey découvre que le fils de Jane Fonda n’est autre que le richissime homme d’affaires très occupé qui l’a bousculée la veille chez Starbucks. Il ne croit pas en la magie de Noël. Mère célibataire, elle ne croit plus en l’amour. Un accrochage de rideau et une virée shopping chez Maisons du monde plus tard, leur attirance ne fait plus aucun doute. Lui est séduit par ses dons pour choisir les coussins. Elle est sous le charme de son arrogance. Scènes de chorale, décoration de bonshommes en pain d’épices, gala de Noël. Ils finissent par s’embrasser sous la neige. On ne comprendra jamais ce qu’il fait comme boulot, à part être sans arrêt au téléphone avec Hong Kong.

Les téléfilms comme celui-ci, la chaine américaine Hallmark Channel en a fait une de ses spécialités. La très grande majorité des fictions diffusées en France sont en effet des purs produits de l’entertainment US, peu coûteux à réaliser et hyper rentables. Sur les 40 films inédits proposés cette année par la chaîne, on compte seulement 12 intrigues différentes, analyse le site Refinery29. «Les films de Noël, c’est comme les pornos, quand on en a vu un, on les a tous vus», ironise un internaute sur Twitter. Le schéma est en effet bien souvent celui-ci : une femme, un homme, la recherche de l’amour, des acteurs blancs pour la plupart, et un défilé de valeurs chrétiennes, familiales et traditionalistes. S’il n’y est jamais question de politique, impossible de ne pas trouver au téléfilm de Noël des relents conservateurs. Les célibataires, forcément hétéros, sont priés de se caser fissa pour fonder une famille sous peine de rater leur vie. Les femmes un peu trop carriéristes sont enjointes à quitter la métropole pour s’installer avec le vendeur de sapin/fabriquant de boules de Noël/homme à tout faire de la ville. Outre leurs valeurs conformistes, ces longs métrages sont finalement de véritables cartes postales de la petite ville américaine typique. Des spots publicitaires géants pour un american way of life dopé au sucre d’orge.

Bref, on a bien compris qu’on était là pour retrouver la magie de Noël, pas pour sortir des stéréotypes hétéronormés ou diffuser des idées féministes ou progressistes. Alors quand le téléfilm de Noël reflètera-t-il un peu plus la société dans son ensemble ? Sur les chaînes américaines, on commence à voir apparaître des castings affichant davantage de diversité ethnique et des romances gays. En France, il vaut mieux se tourner vers les plateformes de streaming. La sortie la plus attendue de cette fin d’année est sans conteste Happiest Season sur Hulu, une comédie romantique qui met à l’honneur un couple de femmes incarné par Kristen Stewart et Mackenzie Davis. On ne peut que souhaiter que cette pincée d’inclusivité fasse boule de neige… La recette bien rodée du téléfilm de fin d’année finira-t-elle par évoluer ?

  • Nourhane Bouznif / Photo : Hallmark Channel