Rencontre avec Daniel Desroches, un Charolais mordu de radio et de technologies anciennes, qui a transformé son chez lui en cabinet de curiosités du son unique en son genre.

Article extrait du numéro 31 du magazine Sparse (sept. 2020)

Une grande maison au beau milieu du Charolais-Brionnais, à quelques encablures du canal du Centre. Il est dix-huit heures, les collines et les vaches rougeoient sous le soleil de fin d’été. Daniel a toujours été fasciné par la radio. Petit, il l’écoutait avec ferveur. « Je voulais savoir comment on avait enfermé les voix dans la boîte. » Un jour, il franchit le pas et en démonte une, pour voir… Crac ! Sans le savoir, il met le doigt dans l’engrenage de la passion ! Il passe sa jeunesse à bidouiller des appareils dans son coin, en amateur. Abonné à des revues techniques, il apprend, en insatiable curieux. En 1968, il assemble tout seul son premier récepteur radio fait-maison qui fonctionne toujours ! à l’armée, son goût pour l’apprentissage lui permet de se classer deuxième de promo à l’atelier de mécanique. Daniel, c’est pas un loser ! De retour au pays, il continue sur cette lancée et embauche au garage automobile du patelin. L’aventure durera sept ans. Ensuite, il reprend l’exploitation agricole familiale, jusqu’à la retraite. C’est donc après une « pause » de trente-cinq ans qu’il peut enfin s’adonner à ses amours de jeunesse. à l’affût, il achète dans les vide-greniers ou récupère grâce au bouche-à-oreille. « Quand les familles vident les maisons, les gens se débarrassent par méconnaissance. » Il collectionne la doc technique et les appareils. Chez Daniel, on n’est pas au rayon Hi-fi du supermarché. Quand on parle matos, il s’agit d’être précis et exhaustif. Un geek, ça se respecte.

Parmi ses trophées, un poste en bois foncé d’apparence anodine. C’est le ghettoblaster Blaupunkt d’un certain H. Goering, apporté par un retraité ancien maquisard !

Des radios, il en a de toutes sortes et époques. Petites ondes, grandes ondes, bande FM, chez lui tu écoutes ce que tu veux. Les premiers sont des postes à galène, à partir des années vingt (pour toi le jeune, c’était au siècle dernier). ça fonctionne sans électricité, mais la qualité d’écoute dépend de l’émetteur. Ensuite viennent les récepteurs à tubes, communément appelés postes à lampe. Ils permettent l’amplification du son. Enfin, depuis la fin des années cinquante, les semi-conducteurs (comme dans ton smartphone de techno-addict) ont consacré l’ère du « transistor ». C’est à ce moment-là qu’on invente la FM et la recherche automatique des stations. à une époque où le téléphone n’a pas encore pénétré beaucoup de foyers, la radio trône fièrement au milieu du salon. C’est un outil d’information et de divertissement. Et il s’en fabrique beaucoup dans la région : chez Manufrance à Saint-Etienne, chez Toinel à Paray-le-Monial, chez Damien à Montceau-les-Mines ou chez Guy Focal à Bourbon-Lancy (ouais, le même Focal qui fait des enceintes Hi-fi qui déchirent). La première génération avait un look vertical et sans fioritures, qu’on qualifia de « façade austère ».

Mais la nécessité de capter le signal en intérieur poussa les concepteurs à ajouter le « cadre-antenne » : une antenne cachée dans un cadre décoratif, où l’on glissait une photo de chaton. Le summum du mignon, un demi-siècle avant Internet ! Ensuite, le design s’aplatit et arbore deux boursouflures sur les côtés : ce sont les « postes à oreilles ». Après la Seconde Guerre mondiale, le transistor et le plastique vont profondément chambouler le design en autorisant toutes les fantaisies. Sans parler des meuble-radios, qui intègrent plusieurs équipements : le récepteur, le tourne-disque et les enceintes. Habillés de marqueterie, chromes ou dorures, un must-have vintage ! Daniel, il a tout ça. D’ici et d’ailleurs car la radio c’est international. De l’anglais à l’élégance aristocratique, de l’allemand sobre et fonctionnel, de l’italien, du soviétique au look indus, de l’américain clinquant, du japonais… Parmi ses trophées, un poste en bois foncé d’apparence anodine. C’est le ghettoblaster Blaupunkt d’un certain H. Goering, apporté par un retraité ancien maquisard ! Daniel élargit l’éventail de sa collection : platines vinyles, lecteurs de bandes magnétiques, de cassettes… Le son, toujours le son.

« Je voulais savoir comment on avait enfermé les voix dans la boîte »

Mais le kif de Daniel, c’est l’analogique. Tu sais, le truc remis à la mode par les hipsters et le vinyle. Le MP3 c’est un truc de bolosse ! Les bits ? Connait pas ! L’analogique ça craque, ça chuinte, ça couine, y’a du souffle… ou pas ! Car à l’écoute, on se rend vite compte que certains appareils quasiment centenaires n’ont rien à envier au dernier cri de la technologie. Ca fonctionne avec trois fois rien. Les cristaux de pyrite, les tubes sont inusables, souvent d’origine. Il existe même des postes sans soudure, à contacts intégralement mécaniques, et des bobinages faits-main. C’est le royaume de la belle ouvrage. « Dommage qu’on perde de plus en plus de stations et d’émetteurs, ça restreint les possibilités d’écoute » se désole Daniel. Deux heures viennent de s’écouler, à la vitesse du son. On se quitte sur une dernière question : faire du lieu un vrai musée ? Il s’y refuse. Trop contraignant, chronophage. Il préfère la radio !

  • Texte et photos : Thomas Lamy