Comment on match en période de COVID ? Qu’est-ce qui est plus important : le masque ou la capote ? La drague survivra-t-elle à la pandémie ? J’ai enquêté sur les mystères de l’Amour et la manière de pécho sur Tinder pendant le confinement.

Article extrait du numéro 32 du magazine Sparse (décembre 2020)

« T’as pas le COVID, j’espère ? ». Nathalie* n’attend pas ma réponse et se jette sur moi pour me rouler une pelle goulûment. Ses précautions hygiénistes sont toutes relatives. Après m’avoir fait des choses que la morale m’empêche d’évoquer ici, elle essaye de me monter dessus sans préservatif. Le coronavirus l’inquiète apparemment plus que le SIDA. Je dégaine quand même le latex : j’ai déjà eu le COVID-19, je ne tiens pas à avoir le VIH. Enfin équipé, je lui retourne ses baisers. « M’embrasse pas putain ! » Cette scène de sexe cru, c’est l’aboutissement de mon enquête pour Sparse. Lorsque le rédacteur en chef m’a demandé de sonder les corps et les âmes en temps de pandémie, j’ai accepté le challenge et j’ai mouillé le maillot.

Le COVID a-t-il tué la drague ?

Comment se rencontre-t-on en période de pandémie ? Faire connaissance avec un inconnu est-ce encore possible ? Le COVID-19 va-t-il tuer la drague ? Pour le savoir, je suis allé discuter avec des filles sur Tinder. Oui, moi, c’est avec les filles que je vais discuter sur Tinder, chacun son truc. Premier constat, il y a pas mal de monde qui a eu la même idée. En temps normal, les applis de rencontre, c’est pour ceux qui veulent draguer sans sortir de chez soi et éviter de se prendre un vent trop humiliant. Donc, ça concerne déjà pas mal de monde en temps normal. Alors quand en plus sortir de chez soi est interdit, c’est l’explosion. Pour beaucoup, la soirée typique de novembre 2020 a l’air de se résumer à chiller devant Netflix et papoter sur Tinder en attendant des jours meilleurs. Les profils n’évoquent pas trop la pandémie: tout au plus une ou deux filles posent avec un masque. Pas de psychose en tous cas. « Je n’y étais pas avant et je m’y suis mis pendant le premier confinement», m’explique Angèle*, 30 ans avec pour profil, une photo de lune mystérieuse qui cache bien son jeu. Et elle n’est pas la seule. Si les libraires ou les petits cafés trinquent, Tinder sabre le champagne. La pandémie et le confinement, les interactions sociales bridées et lieux de rencontres fermés font le bonheur du capitalisme de la séduction. Les recettes générées par Tinder ont ainsi augmenté de 15 % au cours du 3ème trimestre. Et Match Group, la maison mère qui abrite aussi Meetic ou Ok Cupid, compte 1,2 millions d’abonnés de plus que l’année dernière. Le marché du désir ne connaît pas la crise.

« Je ne vais pas m’arrêter à cause du COVID »

Deuxième constat : globalement, les filles s’en fichent du COVID. Angèle rencontre pas mal de mecs en période de pandémie. « Je ne suis pas une grosse flippée du Corona. Je ne vais pas m’arrêter de vivre à cause du COVID », avoue-t-elle. « Après, si le mec me dit qu’il est infirmier en service de réanimation, ce n’est pas sûr que j’y aille. Encore que ce qui me ferait le plus chier, c’est de prendre une amende : 135 euros, ça fait cher le date. On aurait pu aller au resto à la place. » Maïwenn*, aussi, est assez à l’aise. Elle m’envoie deux smileys lorsque je lui propose de prendre un café et de signer son autorisation de sortie pour « rendez-vous Tinder ». « Pas de souci pour venir, mais ce sera un thé pour moi ! ». J’essaie d’être rassurant à propos du COVID : je l’ai eu il y a moins d’un mois, peu de chance que je l’attrape une 2ème fois. « T’inquiète, je flippe pas des masses, faut bien apprendre à vivre avec ça. Sinon, ça risque de devenir la psychose. » C’est bien la première fois que mon statut de séropositif rassure les filles. Oui, séropositivité se dit aussi avec le COVID-19.

Corona lovers

Mais tout le monde n’est pas aussi à l’aise. Noémie* a un profil avec des photos de coucher de soleil, une autre un livre à la main et une troisième en train de faire du cheval. Comme son profil, elle semble bien sage. Et quand je l’invite, elle esquive : « je parle à des gens longtemps avant de les rencontrer, donc ça évite les malaises. Je sais que je n’ai pas envie de faire venir chez moi quelqu’un que je ne connais pas. Mais ça me fait des contacts pour après ». Smiley. En résumé, plus de monde sur les applis, ça ne veut pas forcément dire que c’est plus facile de choper. La mort qui rôde et l’atmosphère de fin du monde ne provoquent pas un sentiment d’urgence érotique, ni de libération sexuelle. Pas de déchaînement lubrique, ni d’orgie pandémique. Dommage.

Tinder monde

Sur Tinder, il existe une option pour aller matcher dans le monde entier. Elle est payante, mais les frais de l’enquête sont pour Sparse ! À défaut de pouvoir voyager pour de vrai, je parcours le monde à travers les photos Tinder. Et je prends un gros shoot d’exotisme. Je constate que les Colombiennes ont nettement moins froid aux yeux que les Bourguignonnes. D’une conversation chaleureuse, elles sont plus adeptes du string ficelle que du masque chirurgical. Les Russes ont une plastique magnifique, mais le sourire rare. Je suis un beau gosse au Cameroun, mais invisible au Danemark. J’en profite pour matcher à Pyong Yang et commence à discuter avec des filles d’Alep. Plutôt sympas, elles discutent facilement et me font des déclarations. « I’d like to come to Paris, I’d love to see France », me dit l’une, alors que je suis bien incapable d’en placer une sur leur pays… Pas de string ficelle ici, mais des regards de braises sous le voile (quand on voit leur visage bien sûr). Le charme oriental, c’est de laisser place à l’imagination. Un peu comme toutes les filles que je croise dans la rue depuis mars. Le masque souligne les yeux et cache les boutons d’acné. La pandémie, c’est Les Milles et une nuits en sortant dans la rue. Mais vu ce qui se passe en Syrie, pas sûr que l’impact du COVID sur la drague soit la préoccupation principale des filles d’Alep. Alors j’arrête de me prendre pour Aladin et je retourne à mes Françaises.

La revanche des Cyrano

Le lieu reste une question. Avec le confinement, où prendre le risque de la rencontre avec l’inconnu ? Fini le café, cet endroit neutre de la drague. Aller plus loin si le feeling est là ou s’enfuir en cas d’incompatibilité. Cette étape, Angèle l’a sautée allègrement. « Un mec a bravé le confinement pour venir me voir : ça faisait deux semaines qu’on discutait tous les jours. Quand il est venu, je me suis dit, il vient à mon appart, si ça se passe mal: comment je fais pour le foutre dehors ?» Mais finalement, ça a été et il a passé le week-end chez moi. » Les mecs qu’elle rencontre n’ont pas envie d’attendre et s’en foutent du confinement. « Il manque la magie des premiers rendez-vous : c’est un peu curieux. Mais je le fais pas avec n’importe quel mec. Il faut que j’ai confiance un minimum et qu’on ait pas mal communiqué avant et appris à se connaître. Après quelques messages, je passe au téléphone, la voix est très importante pour moi. » Le confinement sonne-t-il la revanche des Cyrano sur les beaux gosses ? Pas sûr, j’ai zappé plein de petites grosses (désolé c’est la vérité) qui auraient pu me séduire dans la vraie vie, et je ne compte plus les vents de filles que j’aurais certainement réussi à baratiner en vrai.

Tinder surprise

D’ailleurs, pour pallier le manque d’interactions sociales, Tinder a développé des appels vidéo. C’est comme ça que j’ai rencontré pour la première fois Nathalie. Elle avait une explication très sûre pour la pandémie. « Le virus, c’est une création pour mater les gilets jaunes » : simple et efficace, ça m’a séduit. Tant qu’à ressentir le frisson d’une rencontre interdite, autant qu’elle soit fugace et complotiste. Un instant « hold up » aussi exotique qu’une Colombienne ou une fille d’Alep. Ce qui est rassurant d’une certaine manière : la vie et le désir continuent. Malgré la pandémie, on peut continuer à fantasmer et à draguer. Juste pour le plaisir.

  • Gainsbarré, sur Tinder // Illustrations : Hélène Virey

* Les prénoms ont été modifiés.