Alors que le groupe vient d’annoncer sa séparation et que les souvenirs ressurgissent partout, on a passé un coup de fil aux gens des Eurockéennes de Belfort qui avaient accueilli les Daft à deux occasions : en 1996 et 2006. Jean-Paul Roland, directeur du festival, et Kem Lalot, programmateur, se rappellent.

En 1996, les Daft Punk sont programmés pour un dj set. Comment ils atterrissent aux Eurockéennes ?

Jean-Paul Roland : Pour la petite histoire, je me suis retrouvé à Formentera, une île du côté d’Ibiza l’année d’avant, en 1995, et je suis tombé sur l’entourage des Daft Punk. Je leur ai parlé du festival, et c’est là qu’on a commencé à amorcer l’idée que le label Source 360 pouvait venir avec eux, avec DJ Gilb’R. Quand je suis revenu, j’ai fait des pieds et des mains aux Eurocks pour leur dire : « faites un plateau, y’aura ces mecs-là qui vont arriver, ça va être cool ».

C’était quoi l’ambiance sur le festival cette année-là ?

Jean-Paul Roland : Il y avait vraiment un côté fin du monde parce qu’il faut savoir que cette année là, quand on a ouvert les portes le vendredi midi, il a commencé à pleuvoir et ça s’est arrêté le dimanche dans la nuit. Il a plu tout le temps. Il y avait des rivières qui traversaient les backstages ! Les pompiers aspiraient l’eau. Pour y aller, franchement, fallait un brevet d’alpinisme. Il y avait de la boue partout, c’était inimaginable. C’était un truc vraiment délirant. C’était assez marrant parce qu’on voyait bien que ça leur plaisait, aux gens du rock, c’était assez fun.

Kem Lalot : En 1996, j’étais dans le public. Il y avait des connaisseurs, des gens qui avaient entendu parler d’eux… Alors que Les Eurocks, c’est un festival assez généraliste. C’est pas un festival électro, pas un festival pointu. Il y avait beaucoup de curieux également et avec cette histoire de flotte, c’était très glissant… Ça donnait des scènes assez cocasses avec des gens qui se vautraient. C’était une super bonne ambiance malgré la pluie et la météo. Tu sentais que les gens s’étaient pris une bonne claque. C’était un peu les débuts de l’électro en France, et c’était peut-être le premier truc électro que les gens voyaient. Je les ai découverts là-bas aussi. C’était pas blindé, mais y avait quand même du monde.

Jean-Paul Roland : C’est pas resté dans l’histoire, parce qu’il n’y avait pas leur nom sur l’affiche. Ils étaient sous le nom de leur label : Source 360. C’était le deal qui avait été fait. La plupart des gens venaient voir ces artistes dont ils ne connaissaient pas le nom. On avait quand même listé les gens qui étaient sur l’affiche, sur le programme ou un truc comme ça en petit, mais c’était vraiment présenté comme une soirée « Source 360 », donc c’était complètement énigmatique.

En 2006, c’est la tournée légendaire, avec la pyramide. Apparemment, c’est eux qui voulaient venir aux Eurockéennes ?

Kem Lalot : Je vais quand même rendre à César ce qui appartient à César : c’est Christian Allex (ancien programmateur des Eurockéennes, ndlr) qui avait le contact avec eux. Il les connaissait déjà de la période du club de l’An-Fer à Dijon, quand il organisait des soirées là-bas. En fait, ils nous ont contactés à un moment où on avait presque terminé la programmation. Il faut savoir que 2006, c’était une grosse année, on avait déjà dépensé tout notre budget. Il y avait Depeche Mode, Muse… Et à un moment, on a la proposition de Daft Punk qui tombe sur la table, et c’était vraiment hors budget. Parmi les deux programmateurs à l’époque, Christian et moi, c’était moi qui étais un peu plus garant du budget. J’ai dit : « putain, bah non on peut pas. Ça fait chier mais on peut pas ». Parce que budgétairement, c’est trop chaud.

Jean-Paul Roland  : C’était marrant, parce qu’il y a presque eu un petit débat financier en interne : on n’avait plus du tout d’argent. Donc on leur a dit : « nous on veut bien mais on n’a que dalle, donc l’offre qu’on va vous faire n’est pas insultante, mais elle est vraiment pas dans ce qu’on imagine ».

Kem Lalot : Le plus important pour eux, c’était de savoir qui était sur le line-up avec eux ce jour-là. On commence à leur dire les noms qui étaient programmés le même jour, sur la grande scène notamment. On leur parle des Strokes et ils ont dit oui directement.

Jean-Paul Roland : Mais c’est là que j’ai vu l’audace des gaillards, parce qu’ils ont choisi un festival dit « de rock » plutôt que tous les autres trucs où ils auraient pu aller, comme des festivals d’électro finalement.

Dans le public, c’était comment en 2006 ?

Kem Lalot : C’était fou ! C’était fou, fou, fou ! Le festival s’arrête à 3h du matin et j’ai rarement vu autant de monde à 1h30 devant la grande scène pour le début du show. D’habitude, il y a pas mal de monde qui part, mais la c’était blindé. Tu te rendais compte qu’il y avait une attente énorme. Tu sentais que les gens étaient au taquet. Ils ont commencé leur show par un compte à rebours et les gens hurlaient, c’était de la folie. Ça reste pour moi un des 5 meilleurs concerts que j’ai vu aux Eurockéennes. Peut-être même mon numéro 1.

Jean-Paul Roland : Ce qui est incroyable, c’est que même maintenant on entend toujours des gens qui ne sont venus qu’une fois aux Eurocks, mais qui sont venus à ce truc-là, quoi. L’acteur Romain Duris est venu, il y a beaucoup de people qui se sont pointés, des footballeurs, enfin c’était un truc assez délirant.

Techniquement, avec leur pyramide, c’était aussi un peu balaise cette année-là, non ?

Jean-Paul Roland : En fait on savait qu’ils étaient en train de monter une production pour le festival Coachella, on était en train de commencer à recevoir les plans techniques. La pyramide qu’ils montaient à Coachella, en fait, c’était une mini-pyramide. Et celle qu’ils montaient pour les Eurocks, qu’ils montaient pour la première fois pour la tournée européenne, c’était la grande. Quand on a reçu les plans, c’était marrant… On a commencé à recevoir les images, les dessins, on voyait que ça allait avoir un peu un côté 2001 L’Odyssée de l’espace.

Kem Lalot : Ce jour-là on avait les Strokes, Dionysos avec un orchestre symphonique… Donc la pyramide des Daft, on ne pouvait pas la laisser en place. Et alors là, c’était un truc de fou, parce qu’ils ne s’attendaient pas à ça et se demandaient comment ils allaient faire. Du coup, les régisseurs de plusieurs festivals dans lesquels ils allaient jouer se sont concertés pour le côté technique, pour trouver une solution. Et nous, comme on était la première date de la tournée européenne, on a un peu essuyé les plâtres. C’est-à-dire qu’ils jouaient le vendredi et l’équipe technique est arrivée chez nous le mardi pour tester cette histoire. C’était une sacré prise de tête (rires). Ça s’énervait un petit peu parce que ça ne marchait pas comme il faut, ils étaient un peu paniqués, mais finalement ils ont trouvé le truc et ça a marché pour toute la tournée.

Jean-Paul Roland : Moi je suis resté un peu dans la nuit pour regarder comment ça se montait. Quand je suis revenu à 8h du mat’, les mecs étaient encore là à bosser. Ils ont bossé toute la nuit sur cette installation donc on voyait bien que c’était un truc important, que ce n’était pas une date juste comme ça. On voyait les slogans et les images défiler, on commençait à voir le truc que ça allait être. Et de voir ça sans personne sur le site, il y avait vraiment un côté science-fiction. Une espèce de modernité mais à la fois vintage, et qui est assez forte. Ils n’ont pas fait semblant.

Pour accueillir deux stars de ce calibre dans la région, ça devait être un peu le bordel aussi...

Jean-Paul Roland : On n’a entendu que des anecdotes de fou. Ils ont voulu louer deux gîtes chez des gens que je connais. Et le fils du proprio, qui ne connaissait pas le groupe en 2006, en voyant le nom « Daft Punk », il ne voulait pas ! « Ne leur loue pas, c’est des punks, ils vont tout péter, ils vont foutre le bordel. » Donc ils n’ont pas pu avoir ce gîte-là. Aussi, la veille ils ont essayé de rentrer dans une boîte de nuit, mais ils n’ont pas pu, on les a refusés. Quand on m’a raconté ça le lendemain, je devenais fou.

Kem Lalot : On a un bar VIP aux Eurockéennes qui s’appelle le bar du Boulot. Et avant leur show, les journalistes faisaient des pieds et des mains pour pouvoir les interviewer, mais eux ne voulaient pas. Aucune interview. Et ce qui était assez comique, c’est qu’eux, ils étaient tranquilles au bar VIP avec tout le staff, leur manager, à boire des coups sans les casques. Personne ne les emmerdait, parce que personne ne les connaissait sans casques (rire). On rigolait tout doucement, les journalistes ne les voyaient pas. Il y avait donc aussi l’acteur Romain Duris, un pote à eux. Lui par contre était un peu submergé, tout le monde lui sautait dessus, voulait prendre des photos. Alors qu’eux, ils étaient juste à côté, tranquille.

Jean-Paul Roland : Personne ne les emmerdait. On avait essayé, après, de faire en sorte qu’ils passent un peu de musique, mais on n’y est pas arrivé (rire). Déjà qu’on avait un peu de chance de les avoir, fallait pas non plus exagérer sur les demandes.

Et apparemment, vous aviez aussi filmé le live de 2006 de votre côté ?

Jean-Paul Roland : Oui, on avait une autorisation de filmer, donc on a capté le concert, et on l’a monté. La pression qu’on ressent dans le film était vraiment celle du show. Ça commence par l’enregistrement de leurs voix, on les entend communiquer entre eux, au tout début du concert. On entend Thomas Bangalter qui dit : « Guy-Man tu m’entends ? Guy-Man, Guy-Man tu m’entends ? » Ils sont en train de régler leurs micros pour se parler. C’est un peu devenu notre mème à nous quand on revoit le film. Peut-être qu’un jour, ce film sortira mais on n’a pas l’autorisation de diffusion. Il n’a même pas fuité. L’autre coup, j’ai entendu un Belge qui disait qu’il l’avait vu, mais j’y crois pas, même sur le net en fouillant j’ai rien trouvé.

  • Propos recueillis par Florentine Colliat et Julian Marras // Photos : DR