Depuis quelques semaines déjà on part, avec Radio Dijon Campus, à la rencontre des salles de concert de la région. Cette fois, petite entorse à la règle, on est allé voir Olivier Dieterlen, directeur du Noumatrouff, la SMAC de Mulhouse.

En me renseignant sur l’activité du Noumatrouff, j’ai vu une date qui n’était pas annulée sur votre programme. C’est celle du Michel Cloup Duo et de Pascal Bouaziz, est-ce que cette date est maintenue?

Non en fait elle est reportée, on avance au fil de l’eau. On a décidé de ne pas tout annuler d’un coup et dès qu’on a un changement, on l’annonce et les gens le comprennent. Les changements arrivent en fonction des négociations qu’on a avec les artistes parce qu’on essaye de reporter la plupart des concerts.

En voyant la programmation du Noumatrouff on a l’impression que, au coup par coup, vous repoussez les dates quand c’est possible pour être sur la brèche au moment où ce sera possible de faire des concerts et donc on peut penser que le jour où le feu vert est donné, le Noumatrouff a déjà une activité normale quasiment sur le feu. Est-ce que c’est ça votre politique ?

On subit déjà, comme tout le monde, mais on s’est dit qu’on n’allait pas annuler avant qu’on nous demande vraiment d’annuler, donc depuis le début on est dans cette logique-là. Mais évidemment on ne voit pas d’espoir là tout de suite. Il y a encore d’autres dates en mars qui sont en report, certaines sont annulées mais c’est vrai que ça demande au public de suivre notre site et nos actualités sur les réseaux. L’actualité globale ne laisse pas beaucoup d’espoir pour une reprise avant le printemps je dirais.

Quelques éléments de programmation du Noumatrouff : la semaine dernière c’est Hypno5e qui aurait dû passer, groupe métal un petit peu alambiqué. Le 4 mars prochain ça aurait dû être Voyou, Kikesa et VSO le 5 mars. Comment les artistes négocient ces reports à répétition ? Déjà, est-ce qu’ils sont au courant ? Parce que bien souvent il y a des intermédiaires, des tourneurs, des labels… C’est quoi la température du côté artistique ?

C’est terrible. C’est vrai qu’on construit puis on déconstruit mais en même temps on se dit qu’au moins on bosse. C’est vrai que pour les interlocuteurs, principalement pour les agents, c’est un casse-tête permanent. Moi je sens quand même beaucoup d’artistes qui ont envie de jouer, donc on a eu des propositions, on nous avait demandé d’enfourcher le tigre donc on a eu droit à plein de propositions et le travail a continué. Ça c’est évidemment pour certains, pour d’autres c’est terrible. Certains se demandent s’ils ne vont pas changer de métier et c’est aussi dramatique pour tous les corps de métiers qui sont autour, en passant de l’afficheur au cuisto et à l’attaché.e de presse. Les situations sont diverses et variées mais globalement on continue de travailler avec les agents. On en est à la troisième ou à la quatrième annulation, report, donc ça commence à être très fatigant.

Je précise tout de même que le concert de Last Train est reprogrammé au 16 avril prochain et celui d’Hatik le 3 juin prochain. Évidemment les billets sont valables et j’imagine que s’il y a encore report, les billets seront encore valables. Ça doit être un sacré casse-tête au niveau de la billetterie aussi.

Et les concerts dont tu parles, c’est évidemment sous réserve de la situation.

Fin janvier dernier, le magazine de la ville de Mulhouse a publié un article sur la scène locale et les groupes qui n’en peuvent plus de n’en plus pouvoir. J’ai l’impression que le Noumatrouff a profité de cette période de creux, du moins de la fin 2020, pour mettre un petit coup de frais dans les outils qui permettent de soutenir la scène locale à commencer par les studios de répétition.

C’est une longue histoire. C’est vrai qu’on a deux grandes missions, celle de la diffusion, c’est la partie émergée de l’iceberg où on voit les concerts. Et le reste, c’est l’accompagnement de la création locale avec toute une panoplie d’opérations qu’on mène toute l’année. C’est vrai que cette période a été plus propice à cela et dans le spectacle vivant il y a le mot « vivant ». Donc une salle de spectacle qui ne vit pas est morte. On déteste avoir une salle vide donc dès qu’on a pu on a réouvert la scène aux artistes, principalement locaux. Par exemple sur 2020, on a plus de jours d’occupation de scène que si on avait fait des concerts mais c’était la moindre des choses nous qui avons de l’argent public qui a été maintenu par les collectivités, par l’État, de continuer à soutenir les artistes locaux. Il y a entre 20 et 30 artistes qui sont venus en 2020 et là ça recommence aussi. Au-delà d’un lieu de concert, on est un lieu de création et de soutien de la scène régionale qui est foisonnante.

Tu parlais du fait de soutenir la scène locale et de l’accueillir, une difficulté qui est remontée des quelques interviews qu’on a pu faire en faisant le tour des salles de concert, c’est la problématique de la professionnalisation des artistes. Il est possible de résider, il est possible de répéter mais que si on est professionnel, si on est payé tout simplement. C’est quoi la politique du Noumatrouff pour soutenir la scène locale ? Parce que j’imagine que tous les groupes ne sont pas pros sur Mulhouse.

Évidemment on s’est attaché principalement aux artistes « professionnels » ou en voie de le devenir, et bien sûr ils ont été rémunérés. C’était à la fois pour respecter les protocoles mais c’est aussi la moindre des choses. Et nous, de là où on est, on se bat depuis un certain temps pour dire que les artistes et les musiciens, dans nos esthétiques, auraient aussi le droit d’être payé quand ils travaillent. On peut voir dans d’autres esthétiques où c’est évident que les professionnels sont payés quand ils travaillent. Et une tendance dans notre secteur, c’est plutôt de ne pas l’être. La situation a permis de renforcer cette action et de payer les artistes qui venaient en résidence. Il y a eu quelques exceptions parce qu’il y a aussi les artistes qui relèvent de la formation professionnelle, et on s’est associé à d’autres organismes comme par exemple le Studio des Variétés où là on a pu faire travailler d’autres groupes qui n’étaient pas forcément dans cette logique de professionnalisation, ou qui n’avaient pas le statut. Mais ils avaient une attestation de formation professionnelle donc cela aussi est possible.

Pour terminer est-ce que tu peux nous parler de ce que vous avez mis en place à la fin de l’année dernière, un dispositif qui s’appelle Essentiel.

Oui, Essentiel c’est une idée d’un collègue à moi, Pierre-Jean Ibba qui travaille à l’Eden. Et tout simplement, on se voit, on parle et on se dit qu’est-ce qu’on peut faire pour aider les artistes et l’écosystème ? Ça part de là. On est pas réellement partis d’un projet artistique, au départ on est partis sur l’idée de soutenir la scène locale et les artistes ont été contactés. On leur proposait l’idée et ensuite ceux qui étaient disponibles et qui voulaient ont pu venir jouer. C’est vraiment un projet de solidarité envers les artistes et là on est sur des esthétiques très larges. L’Eden est une salle qui programme beaucoup de variété au sens large, de l’humour, de la danse… Il y a eu plusieurs émissions qui montraient toute cette diversité artistique en passant par de la chanson française mais aussi du rock, de la danse, du tango. C’est un gros projet de soutien et de mise en valeur de la scène locale.

C’était un énorme concert de Noël en streaming finalement.

Ça a plus été traité comme des émissions. On s’est rappelé les émissions qu’on regardait, donc on s’est dit : on va faire des interviews un peu drôles alors que Pierre-Jean animait des émissions du style de Taratata. On s’est amusé à faire tout ça, les artistes aussi mais c’était avec nos moyens et l’essentiel du budget était pour soutenir les artistes, techniciens, cuisto. C’était le principal objectif.

  • Propos recueillis par Martial Ratel et Martin Caye, retranscrits par Amélie Bobo // Photos : Seb North Photography