Comment vont nos salles de concerts en BFC ? On continue de prendre de leurs nouvelles avec Radio Dijon Campus. On est allé voir comment se porte Le Moloco à Audincourt avec David Demange son directeur, aussi co-président de le FEMA.
Le Moloco a fait le choix d’annuler toute sa programmation sur mars-avril, David ?
Oui, c’est un choix contraint, bien-sûr les lieux culturels restent fermés, c’est le cas aussi des salles de concerts qui, en plus de ne pas pouvoir proposer des concerts debout, sont aussi fermées au public totalement. Donc on a été contraint d’annuler la programmation qui était prévue depuis le mois de janvier jusqu’à nouvel ordre, en espérant ouvrir au printemps.
Sur votre page Facebook, vous avez relayé un article qui explique que des salles de concerts sont prêtes à servir de cobaye, à faire l’objet de test. Est-ce que le Moloco en fait partie ? Est-ce que vous avez formulé des demandes auprès de l’ARS par exemple pour dire « ok si vous voulez organiser des concerts test en BFC, nous on est chauds » ?
On n’a pas formulé une demande officielle parce que pour les deux concerts test nationaux, le ministère de la Culture s’en est emparé. Donc il y a ces deux concerts dont vous avez probablement entendu parler, à Paris et Marseille, qui sont prévus fin mars/début avril, qui sont des concerts test debout. L’idée c’est plutôt de s’appuyer sur ces deux exemples là, pour pouvoir montrer qu’être debout avec un masque c’est pas forcément plus dangereux qu’être assis avec un masque devant un concert.
Est-ce que vous seriez prêts au Moloco à mettre en place à l’avenir des concerts avec un protocole sanitaire un peu lourd ? Des tests, du dépistage à l’entrée ? Est-ce que ça vous semble jouable dans les mois à venir pour la salle ?
Nous, ce qui nous semble le plus important, c’est que la salle puisse rouvrir. Qu’au-delà du Moloco, les gens puissent avoir de nouveau accès au spectacle vivant, aux concerts. Parce qu’on ne peut pas se résoudre à limiter la culture à une consommation devant un écran chez soi, en tout cas, nous c’est pas notre conception du rapport organique au spectacle et à la musique. Et donc bien sûr qu’on s’adaptera au protocole dans le mesure ou pour nous ça sera possible logistiquement et financièrement de le faire. On a toujours fait preuve de responsabilité pendant cette crise et on continuera à le faire. L’idée, c’est qu’on puisse ouvrir le plus vite possible, parce qu’aujourd’hui cette fermeture des lieux culturels a des conséquences au-delà des champs de la culture, sur la santé mentale de l’ensemble de la population.
C’est marrant que tu parles du rapport organique aux concerts puisque j’ai l’impression que le Moloco a mis des moyens assez conséquents sur la question de la vidéo. Je voudrais attirer l’attention sur le concert que vous avez diffusé le 29 janvier, à l’Eglise du Sacré-Coeur d’Audincourt, c’était une vidéo de Cosse. Vous dites : « on ne peut pas faire le concert en présentiel, alors on va quand même faire une capta filmée ». Vous avez les moyens en interne de fournir de la vidéo de qualité au Moloco ?
Alors l’idée de ce concert, c’est une des rares exceptions que le Moloco a fait de la vidéo. Pendant presque un an, on a refusé de faire du concert en streaming live, on a préféré être dans l’idée du hors les murs. Mais comme on a eu le maintien de cette fermeture en début d’année, on s’est dit qu’on voulait poursuivre cette logique de mettre en avant des lieux un peu insolites et magnifiques de notre territoire. On a fait cette vidéo dans l’Eglise du Sacré-Coeur qui fête ses 70 ans cette année, c’est aussi pour nous une manière de faire vivre les vidéastes de la région, les groupes, les techniciens. On n’a pas les moyens en interne, on s’associe à des vidéastes professionnels pour répondre à ta question. En l’occurence c’est Visual Break de Besançon qui a fait cette vidéo, on en refait une pour mars mais on espère bien que ce sera la dernière avant la réouverture.
Il se passe quoi au Moloco ? J’imagine que vous avez envie de soutenir des initiatives, mais concrètement le quotidien c’est quoi pour vous ?
En fait le quotidien il est bizarrement assez chargé parce qu’on a quand même de l’activité. On a de l’action culturelle dans les écoles, dans le périscolaire. On fait intervenir pas mal d’artistes comme on le fait un peu toute l’année mais on a renforcé cette dynamique autant que possible dans le milieu scolaire. Sinon on accueille des artistes en résidence, au moment où je vous parle il y a le groupe Cheap House de Strasbourg qui est en résidence. Arnaud Rebotini est là pendant trois jours pour les coacher. La scène est occupée assez souvent par des résidences. Mais bien sûr on a cette frustration de ne pas avoir notre cœur de métier le plus visible, qui est la partie de la diffusion. Après on essaie de garder le lien avec le public et les musiciens à travers justement ces vidéos dont vous avez parlé. Les secteurs les plus arrêtés, c’est bien sûr la partie du bar puisqu’on a une responsable de bar au Moloco, et aussi les tuyaux de répétition qui sont arrêtés. C’est pour nous l’un des principaux drames, parce qu’il y a 130 groupes qui restent sur le carreau, qui répètent habituellement au Moloco, on ne peut pas accueillir 130 groupes amateurs puisque seule la pratique professionnelle est autorisée en répétition. Pour nous c’est assez dramatique, on se demande ce que vont devenir ces groupes. On s’occupe, et puis finalement on a fait pas mal de choses, on a quand même organisé 44 concerts en 2020 au Moloco. Entre l’activité hors les murs du déconfinement, et l’activité pré-covid de janvier à mars. 9.000 spectateurs quand même. On espère essayer de garder ce lien dans cette période si compliquée.
Changement de casquette David puisque tu es également co-président de la Féma, la Fédération des Musiques Actuelles Bourgogne-Franche-Comté. Et la Féma a pris position publiquement contre un article de la loi sécurité globale qui concerne les lieux de culture. Pour ceux qui seraient passé à côté de l’info, est-ce que tu peux revenir sur cette prise de position ?
J’imagine que beaucoup ont entendu parler de la loi sécurité globale et de l’article 24 qui n’autorise pas de filmer des policiers. Mais il y a l’article suivant, l’article 25, dans la proposition de loi, qui autorise les forces de l’ordre qui ne sont pas forcément en service à porter leur arme dans des établissements publics. Ça ne concerne pas que la culture, mais bien tous les établissements qui accueillent du public. Mais ça voudrait dire qu’un policier en civil qui vient voir un spectacle sur son temps libre aurait le droit d’être armé. Et qu’un policier en exercice pourrait rentrer avec son arme aussi dans une salle de spectacle. Pour nous et pour toute la profession, je crois que c’est assez unanime, les armes n’ont pas leur place dans les lieux de culture et les salles de concerts, ni dans les festivals. Donc on a pris position publiquement pour que cet article puisse être retiré de la loi sécurité globale.
Le plein air pour vous c’est possible à partir du printemps ou de cet été ? C’est des options que vous mettez, de faire des concerts en plein air pour vous dégager d’un maximum de contraintes ?
Oui carrément ! C’était quelque chose qu’on avait déjà en prévision pour cet été. On a décidé au Moloco de reconfigurer la salle dans une configuration atypique, on l’a appelé le Moloco panoramique. Ça, on espère l’ouvrir au mois de mai, par exemple pour au moins 1 mois et peut-être la garder pour l’automne si la contrainte devrait rester forte. Mais pour l’été et à partir du mois de juin, on a prévu de sortir de nos murs, d’aller bien sûr en plein air parce que c’est plus favorable avec le virus et qu’en plus les gens auront envie de sortir. On a un projet de guinguette itinérante qui sera assez fort cet été, on a des concerts avec nos amis de La Rodia qu’on prévoit dans le Doubs dans des lieux assez emblématiques, on a un projet aussi avec La Poudrière de Belfort en fin d’été sur des sites aussi un peu originaux. On a toute une activité estivale, ce qui n’est pas dans notre habitude, parce que normalement on ferme mi-juin et on rouvre mi-septembre, pour laisser la place aux festivals. Mais comme cette année le paysage des festivals va être assez bousculé, on a décidé de s’emparer de l’été et proposer des choses en plein air. On est juste très embêté sur deux points. Le fait que ce soit assis, on pensait vraiment qu’il pourrait y avoir, malgré des contraintes fortes, un peu de debout cet été pour respecter certaines esthétiques. Bien sûr que c’est difficile d’écouter un concert de punk assis…
Pour lancer des chaises, c’est assez pratique quand même…
Oui c’est pratique, mais c’est vraiment compliqué pour nous. C’est vraiment une question de censure artistique, parce que c’est pas une censure directe. Et puis le deuxième point, c’est la question de la gestion des bars et de la restauration, parce qu’on a envie, si on organise par exemple le projet guinguette, qu’on puisse boire un coup. Sinon ça n’a pas de sens dans le cadre d’une guinguette. On aimerait en savoir un petit peu plus pour savoir où on va. Mais en tout cas’ il y a quand même une perspective qui s’est ouverte pour savoir qu’on va organiser des choses cet été, donc ça nous porte un peu malgré tout.
Niveau économie du Moloco, ça va ? Y’a pas de danger pour l’instant ? Vous êtes une salle subventionnée, aidée, soutenue, ça va ?
Oui, depuis le début de cette crise, on a un discours simple qui est de dire qu’une structure simple comme le Moloco, grâce au soutien de ses partenaires publics, fait partie des « privilégiés » puisqu’on a eu le maintien de nos subventions, et que même si on perd beaucoup de recettes on arrive à tenir le coup. Mais par contre, on est en parallèle très très inquiet pour tout un écosystème qui est tout aussi indispensable que des salles comme la notre, du petit café concert jusque tout le milieu associatif, etc. Là on est particulièrement inquiets, c’est pour ça qu’avec la Féma notamment, on s’implique beaucoup dans des dispositifs de solidarité, et on mène des enquêtes. Le Moloco, aussi pendant le déconfinement, avait fait des opérations de soutien aux cafés-concerts notamment. Voilà on est inquiet sur ce que sera l’écosystème après la crise parce qu’on sait que ce ne sera pas que les SMAC seules qui peuvent assurer la diversité musicale, on a besoin de tout le monde et pour ça on est un peu inquiet que la crise dure, et qu’on n’en voit pas le bout.
- Propos recueillis par Martin Caye et Martial Ratel, retranscrits par Florentine Colliat // Photos : Sam Coulon