Les discothèques et établissements de nuits sont fermés depuis un an. Antonin Borie nous donne des nouvelles de son club l’Antonnoir à Besançon.

L’Antonnoir est malheureusement fermé depuis mars 2020. Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi vous, vous êtes fermés, alors que d’autres lieux culturels ont pu ouvrir entre les deux confinements ?

On a jusque-là réussi à tenir, c’était un équilibre hyper précaire mais on y arrivait. Là maintenant on n’a pas le choix, on ne crache pas sur les aides de l’Etat. On est comme tous les établissements de nuits, comme tous les établissements recevants du public de type P (salles de danse ou de jeux, ndlr) ou L (salles de spectacles, de conférence, de projection, ndlr) fermés depuis un an.

Le monde de la nuit est vraiment en péril. L’Antonnoir tient bon malgré ça mais comment économiquement vous arrivez à vous en sortir ? Parce qu’il n’y a pas que toi qui es salarié de ce lieu.

Tout simplement en ayant contracté un PGE, un prêt garantit par l’Etat comme -je dirais- 100% des collègues, les bistrotiers, les restaurateurs. On a eu la chance d’avoir le droit de s’endetter lourdement. Le problème, c’est que l’hécatombe se fera après. L’hécatombe, ça sera quand on commencera à rembourser nos prêts, là il y en a plein qui ne vont pas pouvoir tenir. Ne serait-ce qu’un établissement comme nous, on a tout simplement doublé notre taux d’endettement. On avait déjà un crédit sur le cul à rembourser, là on en a deux.

Le fait que vous n’ayez pas de subventions, ça nuit clairement au modèle économique. Est-ce que la survie de l’Antonnoir est menacée dans les mois qui viennent ? Est-ce qu’il faut s’attendre à ce que ce soit vraiment difficile au point de fermer les portes dans les mois à venir ?

Je vais essayer d’être super optimiste et de ne pas casser le moral des troupes et le mien en particulier. Non, on ne va pas fermer, on va essayer de tenir bon mais je n’en suis pas sûr du tout. La condition évidente c’est qu’il faut impérativement que l’Etat maintienne ces aides mises en place tardivement rappelons-le, parce qu’il y a quand même eu 6 mois où on a presque rien touché. Mais là, tant que le flux actuel des aides reste en place, on peut être mis en sommeil sous respirateur artificiel encore un petit temps. Après, la question ça va être quand on va rouvrir, comment les gens vont réagir ? Est-ce qu’ils vont être présents ? Est-ce qu’ils vont accepter que les tarifs vont tous avoir un peu augmenté parce qu’on est tous sur-endettés ? Est-ce qu’on va avoir le droit d’accueillir rapidement le public ? Est-ce qu’on va être limités en terme d’accueil ?

Le 24 mars dernier, place de la Révolution à Besançon, un happenning a eu lieu où 196 personnes se sont assises sur des chaises pour montrer un peu l’absurdité de maintenir des distances sanitaires. Je crois qu’à l’Antonnoir vous pouvez à peine accueillir 30 personnes si on doit respecter ce côté concert assis ?

Tout à fait. Et ça c’est vraiment LA condition de nos survies futures. Si on nous dit « ok on vous laisse rouvrir et donc on vous coupe les aides mais par contre c’est dans ces conditions là » et bah on est mort. C’est ce qui risque de se passer pour pas mal de festivals et de salles de spectacles. Si on ne peut rouvrir que dans ces conditions-là et qu’on nous supprime les aides, là c’est clairement direction l’abattoir.

Vous êtes assez proche avec le mouvement de la CIP (Coordination des Intermittents et Précaires) Franche-Comté, et on voit que ce qui est proposé dans les mesures de réouverture ne suffit pas, que la survie des établissements et des lieux de culture est complètement menacée. Vous, qu’est-ce que vous privilégieriez à l’Antonnoir ? Parce que j’ai cru comprendre que ces histoires de passeport vaccinal, ce n’était pas trop votre tasse de thé.

Pas trop notre tasse de thé c’est facile à dire mais oui c’est clair qu’on n’a pas envie de participer à cette espèce de sélection non naturelle. On ne va pas avoir le choix, ils vont nous dire à un moment donné « on vous coupe les robinets, vous avez le droit de rouvrir mais vous laissez rentrer que les gens qui vous montrent patte blanche ». Nous économiquement on ne va pas pouvoir faire autrement que de jouer le jeu qui va nous être proposé. Donc voilà, on est suspendus à des décisions qui seront prises on ne sait pas quand ni comment. Ce n’est pas moi qui vais décider quoi que ce soit. On a été force de propositions avec les autres discothèques, on a proposé des protocoles sanitaires plus ou moins adaptés parce que rappelons-le, il y a des gens très sérieux, des scientifiques qui sont d’accords avec nous. Là, cet été, ça va repartir et de toutes façons les gens vont faire la teuf. Il y en a eu tout au long de l’année, sans aucun protocole. Le moins pire serait de nous laisser bosser, de nous écouter quand on dit que nous on a des agents de sécu’ qui peuvent, vachement plus que dans des supermarchés, imposer le port du masque et le gel. Et surtout la traçabilité, on peut le faire. On peut faire des pré-ventes qui permettent d’avoir les coordonnées des clients avant qu’ils ne passent le pas de la porte. Effectivement, il serait complètement logique, et je pense salutaire, qu’on s’appuie sur des professionnels de la nuit pour encadrer la teuf qui continue qu’on le veuille ou non. Les gens font la bamboche dans des appart’ entassés les uns aux autres sans personne pour leur dire de mettre le masque. Ils font tourner les cannettes, les clopes, les pétards c’est pas du tout mieux que de les laisser-aller dans des établissements où ils seraient encadrés.

Dernière question, l’Antonnoir reste inutilisé, toi tu t’es remis à une vieille passion : la photo, étonnement, des lieux de la nuit. Du coup sur ton compte insta on peut retrouver des photos des tauliers des lieux de nuits de Besançon et des alentours. Il y a des photos du QG, du Bristol, du Troisième club à Morteau, etc. Ça venait d’où cette envie de prendre des photos des tauliers dans leurs établissements tous seuls sans clients, sans fêtards ?

J’en avais marre de tenir le discours que je suis en train de tenir avec toi avec des mots. J’avais envie de le dire autrement. J’ai la chance d’avoir la photo comme média qui me permet ne serait-ce que par leurs regards, leurs attitudes de transmettre au moins autant de mots que je suis en train de te raconter. On jette un œil à la série de photos et on comprend le mélange de détresse, de désespoir et d’inquiétude qui émane de cette situation et qui est notre quotidien à nous tauliers. C’était pour marquer le coup des un an aussi. C’est aussi fait pour pas qu’on nous oublie. On ne parle quasi plus des discothèques parce qu’effectivement on est mit sous respirateur artificiel depuis quelques temps. Sauf qu’entre temps il y a 400 discothèques qui ont fermé. Il n’y en avait déjà plus des masses. Il faut savoir qu’en vingt ans on a perdu plus de 9.000 discothèques en France. Il y en avait plus de 10.000 dans les années 90, quand la pandémie à commencé il y en avait moins de 1.500. Bientôt on va passer sous la barre des 1000 discothèques en France, moi je ne m’en réjouis pas du tout. On l’a vu l’été dernier, quand les discothèques sont fermées, quand il n’y a plus d’établissements de nuit, c’est le bordel parce que les gens font n’importe quoi, il n’y a pas de cadre. Sur des villes comme Besançon, quand les 6 établissements de la ville sont ouverts, ça fait quasiment 50 agents de sécu’ qui bossent. Il y a combien de policiers la nuit dans Besançon ? Beaucoup moins que 50 en fonction. Donc on a quand même un rôle d’encadrement de la fête, on est des adjoints de tranquillité publique plus que des alcooliers quand on est ouverts.

  • Propos recueillis par Martin Caye, retranscrits par Florentine Colliat // Photo de une : NEZ A FOOT « GALA DE LA NOYËL » 2017 © François Michelet / Photo de l’Antonnoir : Antonin Borie