Randall Schwerdorffer est l’avocat de Jonathann Daval. Celui-ci a été condamné en novembre dernier à 25 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa femme, Alexia Fouillot. Quelques mois plus tard, celui qui tenait le banc de la défense lors de ce procès ultra médiatisé nous ouvre les portes de son bureau à Besançon. Et passe à table.

Article extrait du numéro 33 du magazine Sparse (mars 2021)

Vous bossez sur un bouquin en ce moment. Il traitera de l’affaire Daval ? 
Oui, mais c’est aussi élargi à une thématique sociétale. Le livre traite des notions de féminicide et d’homicide, de la façon dont les affaires sont traitées. Ce qui a beaucoup évolué avec les hashtags #metoo et #balancetonporc.

Juste avec l’apparition des hashtags ? 
Je ne suis pas très réseaux sociaux et je n’ai pas vu le phénomène arriver. On a vu les peines prononcées à l’encontre des hommes augmenter significativement. D’un autre côté, la baisse des condamnations pour les femmes est corrélative, c’est assez étonnant. Aujourd’hui, on se bat pour une égalité femmes-hommes. Or je crois que les hommes sont dans une inégalité totale face aux femmes. Aujourd’hui, dans les affaires à caractère sexuel, vous êtes accusé par la seule parole. La parole qui accuse devient une preuve. Avant, les affaires sortaient mais restaient examinées avec un œil critique. On était prudents, on respectait la présomption d’innocence. Il y a eu le séisme d’Outreau (une affaire d’agression sexuelle qui a débouché sur l’acquittement de la majorité des accusés, ndlr) qui a dit attention, on ne peut pas faire n’importe quoi, les juges ne sont pas des détecteurs de mensonges. Aujourd’hui, on est au-delà d’Outreau. C’est phénoménal. Par exemple, aujourd’hui, une jeune femme accuse un homme de viol, la seule question du juge va être : « mais pourquoi elle vous accuserait si ce n’était pas vrai ? ». La condamnation est déjà inscrite dans l’accusation. 

On serait face à une sorte de compensation à rebours ?
Je ne sais pas, c’est aussi ce qu’on va aborder dans le livre. Imaginons que madame Coffin (Alice Coffin, journaliste et militante féministe, ndlr) soit un homme et qu’elle tienne un discours identique mais à l’égard des femmes, je pense qu’elle ne serait plus invitée sur aucun plateau de télévision. Elle se ferait complètement démolir car son discours est terrifiant. En gros, elle dit : « il faut interdire les concentrations d’hommes parce que ces concentrations sont propices aux agressions sexuelles ». C’est délirant. Son discours est extrêmement sectaire, extrêmement genré mais il est audible. On peut tout dire aujourd’hui sur les hommes, et les femmes en arrivent à créer une dictature. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, n’importe lequel d’entre nous peut demain se voir démoli par une simple accusation. Attention, je ne dis pas qu’elles ne sont jamais fondées. Mais le code moral a remplacé le code pénal. Dans ces 5 dernières années, l’échelle des peines a pris entre 5 et 10 ans. Par exemple Yvon Octau, un type qui a été jugé je crois en 2013 ou 2014 à Besançon (en 2012, ndlr), il avait tué sa compagne d’un coup de fusil. Il a été condamné à 10 ans. Aujourd’hui, il serait condamné à 20 ans.

Ce renforcement de la morale vous oblige-t-il à revoir vos armes de plaidoirie ? 
C’est très compliqué. Ça nous impose un exercice difficile aux assises. À une époque, tout pouvait être débattu. La parole était libre, ce qui est quand même le principe d’une société démocratique. Surtout dans un tribunal où tout doit pouvoir être discuté librement, sans a priori, sans préjugés, pour pouvoir juger. Or, notre société devient extrêmement manichéenne.

Ce discours est aussi celui de certains éditorialistes plutôt très conservateurs. Vous n’avez pas peur d’être rapproché d’eux ?
Non. Je fais un constat qui repose sur ma pratique judiciaire. Ce n’est pas un fantasme. Notre pratique judiciaire, en termes de défense, est de plus en plus délicate parce que c’est tellement violent, cette morale.

Pourtant le juge est garant des débats.
Il n’est pas tout seul, le juge. Aux assises il y a 3 magistrats professionnels, le président de la cour d’assises entouré de 6 jurés, qui sont des citoyens comme les autres. Ils ont une voix aussi importante que celle du président et le savent très bien. On ne peut pas dire que la cour d’assises soit étanche à ce qui se passe dans la société. Être catalogué c’est ça qui est terrifiant. Que madame Coffin soit cataloguée comme une folle hystérique, oui ça me paraitrait logique mais pourtant ce n’est pas le cas.

Pour certains si, elle s’en prend aussi plein la tête… 
Elle est souvent invitée dans les médias. Mais je veux simplement dire que dans une cour d’assises, c’est le principe de la liberté des débats qui devrait s’appliquer. S’interdire de dire des choses parce qu’on peut vous le reprocher, c’est problématique. Je ne suis pas le seul à faire le constat de cette dérive judiciaire. Un très bon article a été publié dans Le Monde, co-signé par une centaine de femmes dont Clarisse Serre et des avocates qui disent aussi ‘attention’. Si, sous prétexte qu’une femme accuse, il faut condamner, ce n’est pas de la justice. Si les juges sont payés pour croire, il n’y a pas besoin de faire d’études. On prend n’importe qui dans la rue. L’intime conviction, c’est pas l’intime intuition.

Nous voilà donc face au fameux tribunal médiatique ? 
Aujourd’hui, il y a plus de plaintes dans les médias que dans les tribunaux. Je ne comprends pas. Les parquets ouvrent des enquêtes après des émissions de radio et télé. On satisfait quel intérêt ?

Du coup, votre arme au prétoire, c’est devenu quoi ?
Notre arme, c’est souvent la nuance. Il faut sortir de la présentation manichéenne des procès d’assises pour arriver à quelque chose de plus nuancé. On comprend rarement le comportement d’un accusé si on ne comprend pas son environnement, ses conditions de passage à l’acte. Par exemple, dans l’affaire Daval, le discours du procureur de Vesoul, c’est : « il a tué sa femme, la peine encourue c’est perpétuité donc il faut lui mettre perpétuité ». Oui, bon. Mais alors il n’y a plus besoin de juger personne ? Prenez n’importe quelle affaire, on l’étudie, est-ce qu’il y a un amant, une maîtresse, quelles étaient les relations, est-ce qu’il y a un problème financier, quelle est la cause qui peut permettre de comprendre le passage à l’acte. Très souvent dans les affaires criminelles les accusés sont primo-délinquants, hommes ou femmes. Il n’y a pas de passé pénal. Il faut donc réussir à comprendre pourquoi un citoyen totalement ordinaire passe le cap de donner la mort, ce qui est le cap ultime dans notre société. Ça implique une vraie réflexion, une vraie analyse. Mais aujourd’hui, on vous interdit l’analyse. Dans le dossier Daval, le problème était là. Défendre Jonathann Daval posait déjà une difficulté. Ça ne devrait pas. 

Vous arrivez pourtant à imposer le fait qu’il n’y ait pas d’explication raisonnée, malgré toutes les théories élaborées. 
Il y a eu des théories étonnantes. Le viol post-mortem, qui nous faisait entrer dans l’horreur… L’assassinat, donc la préméditation… L’empoisonnement au long cours… Jonathann Daval était un empoisonneur qui avait préparé le meurtre de sa femme, d’après les avocats de la famille, et qui, après lui avoir donné la mort, l’avait violée. Ça fait beaucoup non ? 

La marche blanche en hommage à Alexia Daval, la joggeuse assassinée, a rassemblé plus de 8000 personnes, Gray, Haute-Sâone, 5 novembre 2017.

Vous ne pensez pas que c’est un besoin légitime pour la famille de trouver une explication ? C’est peut-être seulement un sentiment humain… 
Lors de l’instruction, tout cela avait été écarté. Il y a eu des investigations sur l’empoisonnement. La préméditation n’a pas été retenue. Après deux ans et demi d’enquête, ce n’est pas anodin. Le viol post-mortem avait totalement été écarté par la médecine légale. Ces réponses existaient donc déjà. Après, si vous voulez des réponses qui ne sont plus dans la réalité, alors vous pouvez tout envisager. Daval, c’était ça. D’un côté, la partie civile devient une icône immaculée dont on peut à peine parler. D’un autre côté, l’accusé devient plus sombre que sombre. Là, on peut se déchaîner. Dans ce procès, ce qui est très étonnant, c’est que les jurés ont mis plus d’un jour et demi avant de commencer à regarder Jonathann Daval. C’est ça un monstre, celui qu’on montre du doigt. Petit à petit, les jurés ont commencé à voir que ce n’était que Jonathann Daval. Bien sûr, il a tué sa femme, bien sûr, il faut le condamner mais on peut quand même l’écouter, le regarder. Le tribunal, c’est pas le pilori.

Pour les théories, il y a eu aussi, du côté Daval, celle du complot familial. 
Il a menti.

Quand il vous parle de ça, vous sentez que c’est un peu bizarre ?
Je ne sens rien, j’ai pas de détecteur de mensonge. Mais, j’ai un dossier. Quand il me dit que le véhicule utilitaire de son beau-père est rentré dans son garage, on vérifie. Soit il rentre, soit il rentre pas. On fait les mesures, il ne rentre pas, donc il ment. Quand il nous dit qu’on va voir sur les caméras de surveillance de la ville le visage de la sœur d’Alexia et que finalement on voit Alexia, il ment. Il a apporté des éléments qui devaient être vérifiés. À partir de ce moment-là, tant qu’ils ne sont pas vérifiés, on le défend. Quand ça a été vérifié, il y a eu la confrontation. On était très contents qu’il revienne sur ses fausses accusations. Après, c’est pas exceptionnel. C’est même pas du tout rare qu’un accusé accuse quelqu’un d’autre ou change sa déposition. Regardez dans l’affaire Lelandais. Il a crié pendant des mois qu’il était innocent pour in fine reconnaître ses actes. Le mensonge fait partie de la chose criminelle.

Comment en êtes-vous venu à défendre Jonathann Daval ?
À l’époque je suis en formation en Guadeloupe. C’est Jean-Marc Florand qui m’appelle (l’avocat des parties civiles au départ, ndlr) et me demande si l’affaire m’intéresse. C’est un pénaliste brillant, c’est lui qui a fait acquitter Patrick Dils, ce qui n’est quand même pas rien. On s’est pas mal affrontés dans les dossiers donc on se respecte. Pour être clair, dans l’affaire Daval, il me demande, j’accepte. J’ai des amis journalistes qui me contactent : « Randall, tu sauras que toute la presse a déjà mis perpétuité à Jonathann». Ensuite Jonathann me contacte, on prend le dossier et les choses se font tout à fait normalement.

L’affaire commence et il est vu comme un monstre. Vous êtes donc un peu son dernier rempart vers la normalité ? La ligne que vous avez tenu tout le temps, c’est de faire de cette affaire, une affaire banale. 
Je vais vous répondre ce qu’avait répondu Monsieur Fouillot à l’époque. Je lui avais posé la question : « si Jonathann vous avait appelé le soir des faits pour vous dire que, voilà, il s’est passé quelque chose de grave, on s’est engueulés, je l’ai frappée, elle est morte. Qu’est-ce que vous auriez fait ? » Il me répond : « je serais tout de suite venu et on aurait appelé les gendarmes ». Je lui demande ce que cela aurait changé, il me dit : « ça aurait été un meurtre ordinaire». Et c’est vrai. Tout au long de l’affaire Daval, notre travail a consisté à rendre la cour d’assises étanche à la presse, puis à remettre Jonathann Daval à la place qui est la sienne. Celle de l’homme qui tue. Sans le cautionner, sans que ce soit non plus un acte exceptionnel comme certaines autres affaires criminelles qui impliquent des peines exceptionnelles. On devait revenir à une peine habituelle et ça a été le cas pour Jonathann. On est revenu à une peine qui n’est pas la peine qu’on donne à un monstre. Avant le procès, c’était perpétuité. Au procès, ça a été 25 ans. Et, là c’est très intéressant, sans période de sûreté. Les jurés ont été très loin dans la décision, la peine est élevée mais ils n’ont pas été jusqu’à 30 ans ou perpétuité. Les jurés ont quand même compris qu’ils ne jugeaient que Jonathann Daval. 

Avant le début du procès, on imagine que Jonathann Daval se prend déjà la presse dans les gencives, sa prison n’est pas étanche non plus. 
Il sait tout, il voit tout. Il suit toutes les émissions, il lit tout ce qui sort sur l’affaire. Jonathann Daval, c’est quelqu’un qui ne s’est jamais plaint. Beaucoup de gens vous diront : « encore heureux ». Mais c’est quelqu’un qui n’a jamais rien exigé, ni cherché à savoir quelle peine il pourrait avoir. Il a toujours accepté ce qui allait se passer. Il était passé à l’acte, sa vie était terminée, il fallait payer. Il est très facile à défendre, finalement. Même s’il a menti. C’est très humain d’essayer de sauver sa tête comme il l’a fait en mentant mais il a accepté le prix à payer. Tout le monde ne le fait pas.

Il y a cette séquence assez forte lorsque vous annoncez ses aveux à la presse. Et juste avant, Isabelle Fouillot, la mère d’Alexia, avec qui vous étiez resté en contact, vous demandait des infos. Sauf que vous ne lui répondez pas… 
J’ai contacté Jean-Marc Florand, 50 minutes avant d’annoncer les aveux de Jonathann Daval. Je l’appelle pour qu’il contacte Madame Fouillot qui n’arrête pas de m’appeler. Je ne peux plus lui répondre parce que je n’étais plus de son côté. Lui parler, ça aurait été très malsain. Donc je dis à Jean-Marc: « prépare-la, Jonathann Daval vient d’avouer, ça va être cataclysmique ». Je savais que les parents Fouillot étaient dans un déni total sur le fait que Jonathann puisse être impliqué. À ce moment, vu les éléments du dossier, il fallait être fou pour penser qu’il allait sortir de garde à vue et ne finirait pas devant les assises. Il fallait préparer ces gens. J’ai vu le père d’Alexia en arrivant chez Jonathann pour sa garde à vue, il sortait de la maison, il y avait les gendarmes et il me dit : « Maître Schwerdorffer, il faut absolument que vous sortiez Jonathann de là ». Je regarde la maison et les gendarmes étaient en train de poser les scellés… Il ne comprenait pas.

Lorsque finalement, Daval avoue avoir commis le crime seul, il y a cette scène où il s’effondre aux pieds d’Isabelle Fouillot… 
Oui, j’étais là. Maître Spatafora (son associée, ndlr) est là, Jean-Marc Florand est là et il y a la maman d’Alexia. Là, on est sur une scène… surréaliste. 

Vous ne la sentez pas venir ? 
Franchement, avec Jonathann Daval, on a toujours senti qu’émotionnellement tout était possible. Là, la mère d’Alexia prend Jonathann Daval dans ses bras et les deux pleurent ensemble pendant 5 minutes… C’est un truc de dingue. Ils partent ensemble, le père d’Alexia, la mère, Grégory Gay (le mari de la sœur d’Alexia, ndlr) et sa femme, avec l’accord du juge d’instruction et du procureur dans une petite pièce… Tous seuls pendant 15 minutes, c’est du jamais vu ! On comprend qu’il y a une dimension chez ces gens-là… On ne peut pas passer à côté de ça. Si on passe à côté de ça, on passe à côté de la personnalité de tout le monde, y compris celle de l’accusé.

  • Par Pierre-Olivier Bobo, Badneighbour et Amélie Bobo, à Besançon (25) // Photos : Raphaël Helle / Signatures