Randall Schwerdorffer est l’avocat de Jonathann Daval. Celui-ci a été condamné en novembre dernier à 25 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa femme, Alexia Fouillot. Quelques mois plus tard, celui qui tenait le banc de la défense lors de ce procès ultra médiatisé nous ouvre les portes de son bureau à Besançon. Et passe à table.  

Comment travaillez-vous sur le dossier ?
On était quatre sur le dossier. Plus un médecin conseil privé qui nous a beaucoup aidé notamment sur le Stylnox®, le bol alimentaire et les ovules gynécologiques. À chaque moment du procès se posaient des problèmes médicaux où il fallait des compétences médicales, donc notre juriste était en contact permanent avec le médecin et nous permettait de réagir au fur et à mesure des nouveaux éléments qui arrivaient. Il fallait être très réactif. Le dossier, tout le monde le connaît et l’a lu. Ensuite il y a une répartition des contre-interrogatoires pour les assises. On est très présents aux débats, les contre-interrogatoires sont lourds, on se répartit donc le nombre de témoins, les professionnels, psychiatres, psychologues, gendarmes, médecins légistes pour pouvoir travailler de façon plus fluide. On est constamment ensemble, c’est 4 cerveaux qui travaillent sur le même dossier. Aux assises, tout le monde attend la plaidoirie de l’avocat mais c’est sans intérêt. Ce qui compte, ce sont les débats. Ils sont intenses, il y a énormément d’interlocuteurs. Par exemple, la médecine légale, ça a duré 5h30, les jurés se font de vraies convictions et au bout de 5 jours de procès (qui en a duré 6, ndlr), ils avaient déjà décidé de lui mettre 25 ans. Ils étaient déjà sortis de la perpétuité, de l’assassinat et du viol post-mortem. Ça, c’est les débats. Les plaidoiries sont très accessoires, c’est seulement une sorte de synthèse.

Aujourd’hui, vous avez encore des contacts avec Jonathann Daval ?
Je l’ai vu récemment pour faire un point avec lui sur sa situation et notamment sur son futur transfert. On va privilégier un centre de détention en France où il pourra sortir de l’isolement. C’est quelque chose qui brise, vous ne voyez quasiment personne. Pour le reste de sa détention, il faut qu’il soit dans un centre de détention qui a l’habitude de recevoir des « personnalités judiciaires », pour sa sécurité physique et lui permettre d’évoluer au mieux.

Il est comment moralement ?
Je trouve qu’il est mieux. Le procès, ça a été très compliqué, il y a très peu participé, c’était dommage.

Vous le regrettez ?
Beaucoup.

Son manque de prise de parole ou de réponses plus précises ?
Vous parliez du moment où il se rapproche de la mère d’Alexia. Là, on sentait énormément d’émotions. Ce lien affectif n’est pas là par hasard. Une mère prend dans les bras le meurtrier de sa fille, ça en dit long sur qui était Jonathann Daval avant de passer à l’acte. Celui qu’elle prend dans les bras, c’est pas celui qui a tué, c’est celui d’avant. Ça, les jurés ne l’ont pas vécu. La fragilité, son côté attachant ne sont pas suffisamment apparus aux assises mais il n’y a que lui qui pouvait l’offrir.

Il en était incapable ?
Il était d’abord très fatigué parce qu’il se levait très tôt à cause des allers-retours Dijon-Vesoul. Il mangeait très peu, ce qui explique son malaise, le 3ème jour. Tout était fait pour qu’il puisse s’exprimer le mieux possible mais ça n’a pas marché. 

Depuis quelque temps, le live-tweet s’est invité dans les procès. Vous  faites avec ?
Je ne sais pas ce qu’est un live-tweet…

On ne peut pas filmer un procès, mais sur Twitter on peut suivre les débats en direct grâce aux journalistes qui retranscrivent tout. Est-ce perturbant ?
J’y suis extrêmement favorable. Je suis pour la publicité maximale des débats. Les citoyens ont le droit de savoir ce qu’il se passe dans un tribunal.

Quitte à les filmer ?
Ça se fait aux États-Unis. Le procès de Salah Abdeslam en Belgique a été filmé. On a eu ça en France avec le procès de Klaus Barbie (un criminel de guerre allemand, officier de police SS sous le régime nazi, jugé pour crime de guerre en 1987, ndlr). Plus vous avez de gens qui peuvent voir comment ça se passe, plus la qualité du procès est élevée. La justice ne peut pas être bâclée quand elle est vue. Si un procès est filmé, il est soumis à la critique du citoyen et la justice appartient aux citoyens. On est dans une société qui n’aime pas beaucoup la démocratie. Ce qu’on aime, c’est la démocratie représentative. Beaucoup de gens de ma famille sont Suisses, nous on aime la démocratie participative mais en France, on n’aime pas ça. Nos députés nous représentent, ça suffit comme ça. La justice, c’est pareil. Les juges jugent au nom de la République, il n’y a pas besoin de plus. Pourtant, si. Le contrôle par le citoyen des décisions politiques ou judiciaires est fondamental parce qu’il impose une exigence. Un juge qui serait partial, et on en voit, dans le cadre d’un procès filmé ne pourrait pas continuer. Par contre, la justice ne supporte pas d’être jugée. C’est un système très particulier. Les juges sont constamment en train de juger de la responsabilité des autres et sont les seuls à être irresponsables dans leurs erreurs. Un juge qui se trompe, un juge qui vous met 4 ans en prison en faisant n’importe quoi ou un juge qui vous condamne alors que 14 ans après vous êtes innocenté n’auront jamais aucune responsabilité. Le seul vrai contrôle pour des juges irresponsables qui font des erreurs, c’est la publicité des débats.

On revient un peu sur la discussion du début et la fabrication des images par les médias.
Prenez l’affaire Jubillar (Delphine Jubillar est une infirmière de 33 ans, portée disparue depuis décembre 2020, ndlr), aucun avocat n’a accès aux éléments du dossier mais vous avez tout dans la presse. Prenez l’affaire Fillon, vous aviez même les pièces à conviction en photo dans le Canard Enchaîné ! Il faut qu’on accepte l’idée qu’aujourd’hui, le secret n’existe plus dans les affaires criminelles médiatiques. Les journalistes sont bons, ils ont des réseaux, les choses se jouent aussi au niveau des directions centrales de la gendarmerie et de la police nationale, la presse est inondée d’informations et elle les retranscrit ensuite. Puis ça va alimenter les réseaux sociaux. Chacun s’accapare l’affaire et chacun y va de son propre jugement.

Ça vous contraint dans l’exercice de votre métier ?
Quand je dis qu’on fait très attention à ce qu’on dit, je veux dire par là qu’il ne faut pas porter préjudice à la personne qu’on défend, mais on ne se censure pas. Quand on doit faire des déclarations qui sont sujettes à polémiques, on les fait. Notre image importe assez peu. D’abord, on défend l’accusé, vous faites donc face à un a priori extrêmement négatif. Beaucoup de gens m’ont critiqué simplement parce que je défendais Jonathann Daval. Ensuite, l’antipathie générée par l’accusé se communique très facilement à ses défenseurs. Qu’on génère de l’antipathie ou qu’on génère de la critique voire de la haine, ça fait partie de notre profession. C’est très sain que, dans une démocratie, il n’y ait pas qu’une seule façon de penser. Notre image, honnêtement, on s’en moque un peu. Les gens qui vont me choisir sont dans la difficulté, ce sont des gens qui ont tué. Leur réflexe n’est pas le même que celui d’un citoyen qui regarde ça depuis chez lui.

Vous avez fait très peu de médias lors du procès Daval, alors que la partie adverse en a largement profité.
Il faut savoir que je regarde très peu la télé. Soit je lis, soit je choisis une émission, soit je regarde un film. Et, ce n’est pas à la télévision que je m’informe. J’ai 51 ans, peut-être que ma génération avait d’autres réflexes. Comment fonctionnent les chaînes infos ? Vous faites une interview d’une minute et vous allez passer 80 fois dans la journée. Vous parlez très peu mais vous saturez l’audience. Aujourd’hui, c’est très délicat, dès que vous vous exprimez, vous pouvez suralimenter l’audience et c’est toujours contre-productif. Dans l’affaire Daval, on a fait le choix de s’exprimer à plusieurs pour éviter la saturation.

Maitre Randall Schwerdorffer, avocat de Jonathann Daval. Procès Daval, cour d’assises de Haute-Saône et du territoire de Belfort, Palais de Justice de Vesoul, Haute-Saône, premier jour d’audience 16 novembre 2020.

Toujours sur la communication, vous aviez des masques avec vos logos pendant le procès. Ça, c’est réfléchi, non?
C’est une société qui nous a contacté pour nous faire des masques et c’était très sympa, comme ça gratuitement. C’était 1 mois avant le procès, on a demandé ces masques-là et ils nous ont fait ces masques-là. C’était pas du tout pensé pour le procès. On a une communication qui n’est pas réfléchie plus que ça. Juste sur l’histoire de la saturation télé, effectivement, ça c’était réfléchi. À la fin, par exemple, c’est Ornella (Spatafora, ndlr) qui a été sacrifiée pour s’exprimer. 

Et, vous, vous partez par derrière.
On était fatigués. On avait fini notre procès, ça s’était bien passé et on avait juste envie de boire un coup.

Sauf que tout était fermé pour cause sanitaire, non ?
Le café français au sous-sol était ouvert pour les policiers et tous les gens du procès. C’était pas un privilège, tout le monde y allait. C’est vrai qu’on n’avait pas envie d’attendre pour faire une conférence de presse alors qu’on venait de finir de travailler.

Apparaître peu et peu s’exprimer.
Honnêtement, c’était un soulagement d’avoir évité la perpétuité, alors la pression retombe. D’ailleurs, vous voyez Ornella, quand elle sort faire son interview, elle est à l’ouest. Les journalistes nous posent en plus des questions étonnantes. On sort de notre plaidoirie et on nous demande ce qu’on en pense. On rentre pour la décision, les journalistes nous disent : « Ça fait deux heures, c’est normal ? Vous êtes inquiets ? ». La décision, je ne peux pas la deviner, elle va arriver. Ça fait partie du spectacle des assises.

Vous êtes très sensible à la cause animale et vous ne défendez pas quelqu’un qui aurait fait du mal aux animaux.
Effectivement, en général je refuse. Pour être professionnel, il ne faut pas mettre d’affect dans les affaires. Il y a aussi les crimes sur les enfants : c’est pas du tout ma tasse de thé. J’ai des enfants et j’arrive pas à avoir le recul suffisant. On est dans la gratuité. En ayant un discours peut-être extrême, je ne comprends même pas qu’on fasse des enfants pour en faire des martyres. C’est pas obligé de faire des enfants. L’affaire Fiona (une affaire de maltraitance sur mineure et d’infanticide en 2013, ndlr), pour moi, c’est illisible. 

Les mécanismes d’un infanticide restent obscurs pour vous ?
On est dans l’horreur absolue. L’enfant ne peut pas se défendre. C’est la proie la plus facile. Vraiment, il ne peut pas s’en sortir, il n’a aucune solution. Entre adultes, on peut se quitter, on peut se battre. C’est comme pour un animal, vous prenez un chien, vous voulez en faire un martyr, il remuera toujours la queue et quand vous rentrerez à la maison, vous pourrez le tabasser à volonté. Je trouve que les enfants et les animaux, c’est l’exutoire de tout ce qu’il y a de pire chez l’être humain. Sans aucun risque ni aucun danger. C’est la violence confortable. C’est abominable parce que celui qui souffre, on aurait mieux fait de ne pas l’inviter dans la partie. On voit des choses abominables en termes de violence sur les enfants, là on est dans la violence sadique. Prenez ce petit garçon de 6 ans que son père avait mis dans la machine à laver pour le punir, vous vous dites que c’est pas possible, que les gens sont dingues. Autant je suis à l’aise dans mes affaires criminelles, autant là je n’aurais pas d’argument. Je suis dans les limites de ce que mon cerveau est capable d’accepter.

Vous êtes engagé politiquement. Vous étiez sur la liste d’Alexandra Cordier aux dernières municipales à Besançon (liste dissidente LREM, ndlr). C’est quoi votre horizon ?
Je me pose vraiment des questions, je veux m’engager en politique. Est-ce que ce sera les législatives, est-ce que je vais travailler plus sérieusement sur les municipales? C’est possible aussi, ça m’intéresse.

Quelles relations avez-vous avec Anne Vignot ?
J’ai aucun rapport avec Anne Vignot, j’ai rien contre elle, je regarde ce qu’elle fait avec attention parce que je suis très attaché à notre ville de Besançon. J’observe ce qu’il se passe. Tout ça me passionne et il y a un moment où je pourrais me détacher de mon activité professionnelle. Je me demande si le pan municipal n’est pas ce qui m’attire le plus en réalité.  

Pour la démocratie locale… ?
Là-dessus, on a plein d’idées mais ça vient aussi de ma culture familiale suisse. Moi, je suis très triste d’avoir un chef d’état, je ne comprends même pas cette notion.

Vous seriez plus fédéraliste ?
Bien sûr. Un conseil des régions. J’ai du mal avec la notion de chef, je trouve que c’est antinomique avec un esprit démocratique. On est une vraie république mais on n’est pas du tout des amoureux de la démocratie. On aime très peu la démocratie en France car elle fait peur. Les gilets jaunes, ce qui était intéressant dans les propositions, c’était le référendum d’initiative populaire. Il n’y a plus de référendum. Ça c’est insupportable, notamment au niveau municipal. Qu’on nous explique que c’est compliqué à mettre en place au niveau national, très bien. Mais au niveau local, interroger des citoyens sur des projets, c’est possible ou pas ? 

Est-ce qu’il y a des mouvements politiques ou des initiatives municipales en France qui vous inspirent ?
Avec Alexandra, on est en train de créer une association qui s’appellera ‘Ensemble’ et qui va réunir plusieurs courants politiques. En 81, quand Mitterrand est élu, Mitterrand est un anti-5ème République. Eh bien pourtant, il ne touchera rien des institutions de la 5ème République. On était beaucoup à une époque à parler de 6ème République, faire évoluer la représentativité, et en réalité on se rend compte que même si le système est moribond, il n’y a pas de penseurs politiques en France qui proposent des alternatives intelligentes ou intéressantes. Ceux qui parlent d’autre chose que du système de la 5ème République sont des illuminés, des fantaisistes, ou traités comme tels. Aujourd’hui, être républicain, c’est accepter les institutions telles qu’elles sont. Si vous ne les acceptez pas, vous êtes anti-républicains. En réalité, il n’y a pas du tout de critique possible du système, pas de critique de la politique en France, il n’y a pas de penseur politique, je trouve. Les chefs de parti ne sont pas des penseurs politiques.

  • Pierre-Olivier Bobo, Badneighbour et Amélie Bobo, à Besançon (25) // Photos : Raphaël Helle / Signatures