Comment ça se passe, les retrouvailles avec le théâtre? À l’occasion de Théâtre enfin !, on est allé prendre la température lors d’une répèt’ générale à la salle Jacques Fornier, à Dijon.

L’année dernière, le festival dijonnais Théâtre en mai n’avait pas eu lieu à cause du confifi number one. Cette année, le TDB (Théâtre Dijon Bourgogne) propose une formule reliftée : Théâtre enfin ! Des retrouvailles qui s’étalent du 21 mai au 2 juillet dans les différentes salles de spectacles de Dijon, bien que les jauges maximales ne dépassent pas les 35 % de capacité d’accueil. Mais le théâtre reprend, enfin ! D’où le nom du festival, t’as capté.

Vendredi dernier, on était à la générale de la pièce Les Apôtres aux cœurs brisés, la fin d’une trilogie biblico-pop mise en scène par Céline Champinot. Sur scène, 5 comédiennes : Maëva, Élise, Sabine, Claire et Adrienne, dont 4 qui interprètent des rôles masculins. Ce huis clos psychédélique se passe dans une caverne ou une sorte de squat, va savoir… Les 5 hurluberlus, à la fois artistes chanteurs, musiciens et chroniqueurs de radio, et se nourrissant exclusivement de champis halulu, commémorent une dernière fois en la mémoire de leur leader Jésus.

On pourrait croire que c’est une allégorie de l’époque bizarre que nous traversons depuis plus d’un an : finir complètement ding-dong à cause d’un confinement qui n’en finit plus. Pourtant, ce n’était pas l’intention de Céline Champinot quand elle a commencé à écrire son œuvre en 2019 : « J’avais déjà écrit une grosse moitié de la pièce […] ça a été un peu dur parce que j’avais des sensations de pléonasme et je n’avais aucune envie de faire une pièce d’actualité. En fait j’étais plus en difficulté, le covid m’aplatissait l’imaginaire donc j’avais peur de faire une pièce plate« . Malgré tout, on sent que ça fait du bien à tout le monde, aux comédiennes et au public de se retrouver dans un théâtre : « C’est agréable, ça devient enfin concret« , s’exclame Maëva. Cela dit, la situation sanitaire bouleverse quand même beaucoup l’expérience théâtrale : « on ne voit que des petits yeux, c’est un peu déroutant, et on a l’impression que le spectacle ne marche pas », nuance Elise.

En voyant les sièges vides, on se demande si le public ne serait pas devenu agoraphobe sur les bords, après plus de 6 mois de privation de spectacle. Mais non, nous étions bien au complet ce soir. Ce qui turlupine la metteuse en scène, c’est cette idée de la consommation culturelle. « L’art est devenu une sorte de contenu culturel avec les captations de spectacles diffusées pour le plus grand nombre. Donc ça se passe à la maison, et les moments passés à voir des choses ensemble sont devenus étrangers. On pourrait en oublier la différence entre l’image du spectacle et le spectacle vraiment vécu ! on pourrait se dire ‘bah je l’ai vu le spectacle’ mais le vivre en live ça n’a rien à voir ! » Elle cite Baudrillard, pour illustrer ses propos : « personne n’en aura vécu les péripéties mais tout le monde en aura capté l’image ». Pour elle, l’une des solutions pour faire(re)venir le public se trouve dans la rencontre.

« La vérité c’est qu’il y a tellement peu de places pour Théâtre enfin ! C’est pas Théâtre en mai, même dans la dynamique. Ce sont les habitués de Théâtre en mai qui se sont jetés sur les rares places« , admet Céline Champinot.

Lors du 1er confinement, de nombreux artistes de divers domaines répétaient en visio. Mais pour notre metteuse en scène c’est un peu le sheitan, ces répets’ virtuelles : « Je ne peux rien faire en visio mises à part les réunions. Je peux rien sentir, c’est un art du souffle le théâtre, c’est un truc qui poumonne, c’est organique, c’est physique, et puis c’est un art du rapport donc à travers un écran je ne peux rien faire ! » regrette-t-elle.

Pour cette troupe 100 % féminine, retourner sur scène après plusieurs mois d’arrêt et ouvrir la saison de ce festival a eu un double impact émouvant, car c’est à la fois la reprise du théâtre mais c’est aussi la fin de la trilogie qui liait la troupe : « je ne suis pas juste qu’avec des collègues, on est amies. On a créé la compagnie en 2007 », rappelle Maëva, en demandant l’approbation d’Elise. C’est aussi la fin de leur partenariat avec le TDB. « Ça fait quasiment 6 ans d’association. On connaît tout le monde ici, on est un peu chez nous… Quitter ce théâtre et mettre fin à cette trilogie, c’est très important et très fort ! […] c’est aussi un hommage et une façon de boucler et de se dire adieu« , conclut Céline Champinot. Une belle manière de se retrouver pour mieux se séparer.

  • Emma Lahalle // Photos : Vincent Arbelet