Avenue de Langres à Dijon, 3 hectares de terrain municipal sont occupés depuis juin 2020. La raison ? Ces terres, sur lesquelles étaient implantés des jardins partagés, sont promises à un projet immobilier : Garden State. Le 19 avril dernier, les forces de polices ont essayé de foutre dehors les militants, en prenant avec eux la terre et les arbres. Ryan*, membre des Jardins de l’Engrenage, raconte les affrontements et ce qu’il s’y passe depuis.

Cet entretien est extrait de l’émission Mauvaise Graine sur Radio Dijon Campus

Sur place, le 19 avril dernier, 60 CRS et 40 camions ont pris la terre et les arbres, y compris un tilleul centenaire. Après 4 jours d’affrontements, la société Pennequin a déclaré mettre le chantier en pause au motif que les salariés étaient mis en danger. On a accusé la violence des défenseurs du jardin contre les machines et les bulldozers. Est-ce qu’on peut l’opposer à la violence contre les terres ?

Je pense que oui, je peux comprendre que tout travailleur doit avoir des conditions de sécurité viables et de dignité. Pennequin, bien-sûr, ne va pas prendre sa part de responsabilité, ils disent que c’est à cause des défenseurs des jardins. Mais au vu de la violence déployée, je situerais plutôt la violence du côté de la police. De la part aussi du patronat qui violente ses ouvriers en les envoyant sur ce genre de chantier alors qu’il doit assurer leur sécurité. J’ai pas grand chose à rajouter, les images montrent bien de quel côté se situait la violence. 

Les jardins de l’Engrenage sont occupés depuis le 17 juin 2020, donc bientôt un an. Pourquoi la municipalité est intervenue mi-avril 2021 ? 

La raison d’être de ce projet, c’est les jardins. Si on enlève le jardin, il n’y a plus de raison d’être, donc ils envoient les équipes de terrassement. À mon avis pour eux c’était volontaire, avant les élections. C’était de se dire aussi qu’il y a eu beaucoup de projets alternatifs, notamment les Lentillères, qui ont réussi à avoir gain de cause avec l’abandon de leur projet. Je pense que notre cher maire ne veut pas de prolifération de ce genre de projet citoyen et de défense de la nature. 

Cette intervention aurait pu venir plus tôt aussi ?

Ça aurait pu c’est sûr parce qu’ils ont tous les pouvoirs et que la parcelle de terrain occupée qui était en procès n’a pas été touchée. Elle a quand même été envahie par les policiers alors qu’ils n’avaient pas à rentrer chez les gens. Je pense que c’est électoraliste. Ils ont dû avoir peur de voir qu’il y a un projet auquel la population adhère, et que de plus en plus de gens tournent autour. Ils ont précipité cette intervention pour dire : « on va défoncer le jardin comme ça il n’y aura plus de vie de quartier et de soutien du voisinage ». Peut-être que je spécule, mais c’est peut-être un moyen pour eux de faire signe à l’électorat en vu des élections qui arrivent. Ils veulent peut-être dire qu’ils ont fait ce qu’ils avaient à faire, en montrant qu’on s’oppose à leur projet qui s’appelle Garden State. 

Rebsamen considère que ce chantier se passe dans le respect de l’environnement, ça te fait sourire ? 

Oui parce que « Dijon capitale verte », c’est où ? On a fait beaucoup d’études en images aériennes et on a été sidérés de voir tout ça. On s’est demandé comment cette ville, certes dynamique, a pu exploser en 20 ans. Qu’une ville grossisse, c’est normal. Mais les citoyens dijonnais n’ont vu que le béton bouffer la ville. Toujours sans concertation et avec un greenwashing de la part de la municipalité. Comment on peut se permettre de se porter candidat pour être une capitale verte quand en ville tout est bétonisé, piétonnisé et qu’il n’y a un pas un arbre qui traîne ? Les conséquences du réchauffement climatique commencent à nous toucher, on voit les cours d’eau asséchés, comme le Suzon. Les anciens occupants nous disaient qu’ils avaient beaucoup moins de problèmes liés à la sécheresse. On voit qu’il y a plein de problèmes de toutes les sortes et que la ville n’en fait qu’à sa tête, et qu’elle met du vert partout sur ses affiches pour se donner une bonne image. 

À l’origine des Jardins de l’Engrenage, il y a l’action mondiale contre la réintoxication des terres. Ça consiste en quoi ce mouvement ? Qui en est à l’origine ? Ça vient d’où ? 

En fait, c’était un ensemble de collectifs qui se sont réunis et ont formulé un appel à la suite de la crise du Covid. On a pu constater qu’il y avait un retour à la vie quand les êtres humains étaient planqués chez eux pendant les confinements mondiaux. À la sortie de cette crise, il y a eu une volonté de dire stop. On a vu que moins d’avions et de bateaux en fait ça permet un retour de la vie sauvage. Cette crise a impacté l’ensemble de la planète donc allons de l’avant et trouvons de nouvelles solutions. Soyons rebelles dans le bon sens, c’est-à-dire que nos sols et nos terres nous appartiennent. Il faut qu’on milite et qu’on occupe des terrains par des actes de désobéissance civile mais aussi par des actes pacifiques. 

Comment ça s’est passé concrètement à Dijon, le fameux 17 juin 2020 qui a marqué cette action ?

Il y a eu un appel à une marche, la manifestation s’est dirigée vers cette friche à l’époque. On est arrivé à plusieurs centaines et on a commencé à défricher le terrain et à planter. On a fait aussi un grand recensement des espèces végétales et animales présentes sur place avec des étudiants et leurs professeurs. Ensuite on a commencé à construire autour et on a essayé d’inviter au maximum le voisinage en rappelant que c’était encore des terres municipales qui appartiennent à chaque dijonnais.es. Cette terre, on l’a prise pour la préserver, mais faisons-le tous ensemble. C’est vraiment un aspect de vie de quartier qu’on a voulu remettre. 

On a tous ressenti, pendant le confinement du printemps 2020, un besoin de verdure, d’espace naturel vraiment en bas de chez nous. Est-ce que c’est aussi ce contexte particulier qui a favorisé la création d’une vie de quartier dans les jardins ? 

Tout à fait. Mais le Covid n’a pas ramené que des gens qui n’avaient pas de jardins. À l’Engrenage il y avait des lieux de sociabilité, des espaces ludiques pour les enfants, des cabanes, des toboggans, des terrains de pétanque, un terrain de foot. Les gens sont venus, on a essayé d’écouter ce qu’ils voulaient et du coup on a fait ensemble. Quand t’as pas le droit de sortir à plus d’1 km, si en bas de chez toi t’as un terrain de pétanque, un arbre et des gens avec qui discuter c’est top. Rappelons aussi que la solitude, c’est quelque chose qui tue aujourd’hui, et ce manque de sociabilité qu’il y a eu pour les jeunes ou les moins jeunes, ça a été terrible. Le fait de rencontrer d’autres personnes, apprendre à se connaître, fabriquer, jardiner, penser et cultiver, pour moi c’était vraiment les attraits principaux. C’est un projet social et environnemental. 

Le jardin est un fonctionnement collectif. Est-ce que tout le monde peut venir ? Est-ce qu’il y a certaines règles ? Quel est le fonctionnement du jardin ? 

Le fonctionnement évolue tout le temps. On a des assemblées générales régulièrement qui sont ouvertes à tout.es. On s’est dit qu’il fallait des jardins partagés donc les gens arrivent, ils s’auto-organisent pour les parcelles en fonction de leurs besoins et de leur temps. Ce que ne dit pas monsieur le maire aussi, c’est que certes la maison est occupée, mais la maison est ouverte tous les jours à tout le monde. C’est un lieu de sociabilité, une sorte de maison du peuple où on accueille en moyenne entre 20 et 30 personnes par jours malgré le fait que le terrain est ravagé. Il n’y a plus rien à y faire, ou rien de charmant à voir en tout cas, mais les gens viennent quand même, proposent des idées et échangent. 

Le projet Garden State consiste à construire 300 logements sur ce terrain de 3 hectares, dont une partie sont des terres cultivables. L’argument de la municipalité, à qui le terrain appartient, c’est le besoin de logements. Vous, vous luttez contre l’artificialisation des sols. En quoi ça consiste, cette artificialisation ?

En fait, c’est de se dire qu’aujourd’hui on a des grands problèmes nourriciers. On va bétonner des terres cultivables qui sont au milieu des villes et qu’on ne pourra jamais récupérer après ça. Il n’y a plus de bouffe qui vient de chez nous, mais on nous dit qu’il faut des logements. Certes la question des logements est une question essentielle dans notre société mais il y a peut-être d’autres solutions. L’INSEE a révélé qu’il y avait plusieurs milliers d’appartements et de maisons vides qui pourraient être mises à la location, mais les gens ne veulent pas les vendre. L’argument ultime qu’on nous met toujours en face c’est : « on densifie pour éviter l’étalement. » Mais si on a une terre précieuse qui peut produire des tonnes de nourriture à l’échelle locale sans qu’elle soit transportée, traitée et cueillis avant murissement, c’est un argument qui ne peut être qu’entendu, et raisonnable. 

Justement sur les derniers chiffres de l’INSEE qui datent de 2017, il est compté 7.000 logements vacants sur Dijon, ça correspond à environ 7,5% des logements disponibles. D’après certains urbanistes, c’est nécessaire d’avoir un taux d’à peu près 7 à 8% de logements vacants pour faire fonctionner le marché, pour pouvoir déménager et choisir où on veut habiter. Mais même si on a besoin de logement, il y a des constructions en attente depuis plusieurs années et surtout sur des terrains non cultivables. Selon toi, pourquoi la municipalité insiste pour s’installer sur des anciens jardins familiaux ? 

Pour moi, c’est que c’est le long du tram. Stratégiquement pour la vente, l’emplacement est quand même pas mal. Leurs principaux arguments, pour moi c’est l’argent, le mouvement électoraliste, et faire plaisir aux copains. Ils disent qu’ils font bosser une entreprise familiale dijonnaise, mais on sait très bien que depuis des années le mouvement politique c’est : « donne-moi et je te rends ». Il veut finir en beauté son mandat là-dessus en disant qu’il a donné le dernier grand projet sur le canton 2 à ses copains, qu’il va donner 300 logements et les gens qui vont y habiter être reconnaissants.

Le collectif des Jardin de l’Engrenage a fait une proposition alternative au Garden State, dans laquelle il y a des logements en plus. Il y a eu une réaction de la municipalité ?

Ce qui faut retenir de tout ça, c’est qu’on a toujours essayé de discuter. On a publié une lettre ouverte qu’on a envoyée à la presse et qui ne l’a pas publiée. On l’a envoyée à la mairie, donc à monsieur Rebsamen, il n’a pas souhaité nous répondre, et après il dit qu’on refuse le dialogue. Cette lettre date de plusieurs mois après l’expulsion, je ne comprends pas trop comment on peut dire que ce projet là est bien fait alors qu’il n’y a pas de concertations avec les habitants ni avec les occupants. 

L’Engrenage, c’est aussi un projet politique parce que vous présentez une liste de candidats aux prochaines cantonales. En quelques mots, quels sont vos projets ? Comment ça va se traduire au niveau du département si vous êtes élus ? 

Je tiens à préciser qu’on n’a aucune logique partisane. On a voulu dialoguer et construire par nos mains dans une société où on veut faire des choses ensemble. C’est vraiment un outil pour nous, ces élections. On n’avait plus le choix, on a été violentés, on nous a volé nos jardins, on a été insultés et diffamés dans la presse. Donc maintenant, on va sur leur terrain et on va présenter une liste citoyenne sans étiquette. C’est juste pour nous et pour les habitants du canton. On a plusieurs propositions, par exemple proposer une ferme pédagogique pour les différents collèges puisqu’on sait que les collèges, c’est la compétence du département. Des idées, on en a des milliers. 

Comment les gens qui s’intéressent à votre cause peuvent vous soutenir ?

Le meilleur moyen pour nous, c’est de venir voter pour cette liste citoyenne. Je rappelle que cette liste n’a aucune logique partisane, on sait très bien que potentiellement on ne va pas gagner mais c’est juste donner de votre voix, si vous votez sur le canton 2, en guise de soutien. C’est un moyen de prouver qu’on est plus nombreux qu’ils ne le pensent.

* Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat.

  • Propos recueillis par Valentine Leboucher et Augustin Traquenard, retranscrits par Florentine Colliat // Photos : Eliott Hauswirth