Il y a eu des confinements plus prolifiques que d’autres. Pendant que, de ton côté, tu n’avais plus grand chose d’intéressant à raconter à tes potes au bout du troisième apéro Zoom et que ta seule source de créativité se résumait au coloriage de mandala, RONE, lui, il composait un album à distance avec ses copains Odezenne, Flavien Berger, Dominique A ou encore son BFF, Alain Damasio… À l’issue du confinement, il a modestement « enfourché le tigre » en raflant le César de la meilleure musique originale pour La Nuit venue et en composant la BO du dernier Audiard, Les Olympiades. On peut dire qu’il a le vent dans le dos le Cancalais. Le pire, c’est qu’on ne peut même pas développer une certaine forme de jalousie tellement le mec est une crème, d’une gentillesse et d’une humilité sans égale. On a tapé la discut’ en toute détente lors de son passage à Besac, avec, en prime, un hug spontané en fin d’interview. Décidément, énervant, jusqu’au bout.

© JC Polien

Ton nom c’est Erwan Castex… Aucun lien, fils unique ? 

Alors c’est bien que tu poses la question maintenant, comme ça, je peux préciser que je n’ai aucun lien avec cette personne ! En plus il est arrivé de nulle part quand même ce monsieur… Quand, à l’époque, j’ai vu le nom du nouveau Premier ministre, je me suis dit « putain, je vais en chier… » et effectivement, on me pose souvent la question. Mais non, aucun lien de parenté, je ne connais pas du tout ce monsieur !

Comment est née l’idée de ton dernier album, Rone & Friends ?

Alors c’était un album pas du tout prévu, un enfant non désiré je dirais, car normalement j’aurais dû faire une grosse tournée avec les danseurs de La Horde. Puis, avec le confinement, tout cela a été annulé et je me suis retrouvé un peu désœuvré chez moi… En fait ce qu’il s’est passé c’est que Casper Clausen, du groupe Efterklang, a entendu l’album Room with a view – qui est d’ailleurs sorti pendant le confinement ce qui est un peu étrange. Normalement, tu fais de la promo, des concerts, tout ça… Et là, l’album sortait et j’étais chez moi comme un con… – Bref, Casper a donc flashé sur le morceau Human et il m’a proposé de poser sa voix dessus. Du coup, voilà, j’ai commencé à contacter des artistes et, de collaboration en collaboration, ça s’est fait comme ça. C’était un ping-pong avec eux, j’envoyais une instru, ils me renvoyaient leur voix. C’était chouette toutes ces collaborations dans une telle période. Puis, après la dynamique avec la Horde, c’était aussi une manière pour moi de renouer avec la puissance du collectif en travaillant avec des potes de longue date comme Alain Damasio, où des gens que je ne connaissais pas et que j’admirais comme Dominique A…

« À l’errance » avec Dominique A, est, personnellement, mon morceau préféré de l’album. La parfaite fusion entre ton ADN musicale et la voix de Dominique A. Tu peux nous parler de cette rencontre ?

Je rêvais de travailler avec lui. Je l’ai découvert avec Le Twenty-two bar assez tardivement et je suis complètement rentré dans son univers, j’ai acheté ses disques, ses bouquins – Ma vie en Morceau notamment, que j’adore -, c’est quelqu’un qui me touche beaucoup. De son côté, il appréciait également mon travail. Un ami en commun nous a donc mis en lien, nous sommes deux grands timides, il fallait donc un entremetteur ! C’était une super collaboration et j’ai hâte de retravailler avec lui.

Arrêtons-nous également sur le titre « Un », ta seconde collaboration avec Alain Damasio. Une tonalité Gainsbourienne dans le texte et dans la voix, un style peu habituel pour l’auteur de SF et bien loin du cathartique Bora Vocal…

Oui, c’était vraiment un travail à contre-emploi avec lui. J’avais une petite boucle électronique qui traînait dans mon ordi, je lui ai fait écouter et lui ai demandé des textes. Il m’en a envoyé une bonne vingtaine, très intéressants mais très chargés. Au milieu de tout ça, il avait cet OVNI, une espèce de poésie érotique qui m’a complètement interpellé tellement, c’est éloigné de son univers habituel. Ce texte, interprété par Alain accompagné de la chanteuse Mood, donne effectivement quelque chose de très Gainsbourien. Je suis très heureux du résultat. 

« Freeze » ©JC Polien

Rone & Friends pour moi est un album assez semble mélancolique, pas vraiment orienté vers un nouveau monde mais plutôt comme la fin du nôtre. L’arrivée de la pandémie a-t-elle donné cette coloration à l’album ?

C’est effectivement une photographie instantanée de cette période-là donc c’est très probable qu’il y ait cette coloration, mais ce n’était pas mon but. Il y a une conscience de l’urgence écologique avec des choses un peu flippantes mais pour moi c’était tout de même très important d’impulser de l’espoir. C’est ce que symbolise d’ailleurs le morceau Human.

J’ai des potes DJ passionnants qui parlent pendant des heures du nouveau disque qui vient de sortir. Moi, je passe beaucoup plus de temps à faire de la musique qu’à en écouter

Selon Aurélien Barreau ou encore Cyril Dion il nous faut, pour sortir de notre système aliénant, penser l’architecture de nouveaux récits vers une vie plus respectueuse du vivant. Pour toi, est-ce que l’artiste peut jouer un rôle dans la création de ces nouveaux récits ? Tu t’en sens cette responsabilité ?

Oui, complètement. Moi, j’en ai pris conscience pendant la création du spectacle avec La Horde. Quand le Théâtre du Châtelet m’a donné carte blanche pour faire cette création, je me suis senti une véritable responsabilité de véhiculer un message. Je me suis dit « putain, on me donne les clés d’un théâtre en plein cœur de Paris, je ne peux pas me contenter de faire uniquement la teuf et de faire danser les gens. C’est l’occasion de traiter de sujets qui me touchent comme l’urgence climatique » Attention, j’adore faire danser les gens, mais là, j’avais envie d’y ajouter quelque chose, sans passer bien sûr par de gros discours et des messages moralisateurs. C’est vrai qu’Alain (Damasio) m’a fait réaliser que j’avais la capacité de faire passer des messages de manière « impactante ». La musique touche en plein cœur, dans l’affect, ça peut toucher beaucoup plus profondément qu’un discours de politicien.

D’autant qu’à travers ton spectacle avec La Horde, tu as pu exploiter un autre médium qu’est la danse afin de poser une véritable intention sur tes sons… 

Complètement. Moi, à la base, j’ai du mal à exprimer les choses avec des mots, mon truc c’est de faire de la musique instrumentale mais là j’avais effectivement ce médium supplémentaire, la danse, pour exprimer plus de choses à travers ma musique. D’où ensuite cette volonté de mettre des paroles sur ces mélodies via Rone & Friends. 

© JC Polien

Ta prise de conscience écologique est-ce qu’elle a également remis en question ta façon d’appréhender tes tournées ? 

Oui, oui, ben typiquement, ma précédente tournée on était 9 sur la route, on avait un énorme camion. Quand j’ai commencé cette nouvelle tournée, je me suis dit déjà « OK, est-ce qu’on a besoin d’être aussi nombreux ? ». Ensuite, il y a une scénographie, dont je suis hyper fière et que je trouve très belle, mais j’ai cassé les pieds du scénographe en imposant le fait qu’elle puisse tenir dans 3 valises et donc rentrer dans une seule voiture. Après, ça passe aussi par des choses simples et logiques comme des histoires de routing. À l’époque, je pouvais prendre un avion pour faire un concert express à l’autre bout du monde. Mais ça, c’est plus possible… Je ne vais pas me priver de faire des concerts à l’étranger mais c’est juste que si je suis invité à jouer, sur l’île de la Réunion par exemple, et ben je ne ferai pas un aller / retour pour 24h, je resterais un mois sur place, je travaillerais avec des musiciens locaux, j’essaierais de monter un projet… Dans le spectacle Room with a view, je ne voulais en aucun cas être moralisateur, je me questionne moi aussi, je ne suis pas parfait et surtout, je n’apporte pas de solutions. Mais tout cela implique tout de même une certaine cohérence. 

Pour revenir à la musique, c’est quoi ta playlist perso ? 

Alors là ! Ça va vraiment dans tous les sens, musique classique, chanson française, blues, rock… J’aime bien ne pas savoir ce que j’écoute et me laisser porter par les algorithmes. Mais finalement peu de musique électronique. J’ai des potes DJ passionnants qui parlent pendant des heures du nouveau disque qui vient de sortir. Moi, je passe beaucoup plus de temps à faire de la musique qu’à en écouter. Ah, et j’écoute beaucoup la radio aussi !

En parlant de radio, je te propose de clôturer cette interview à la sauce Augustin Trapenard. Tu as eu le César de la meilleure BO pour La Nuit est Venue, tu as collaboré avec Audiard pour la musique de son dernier film Les Olympiades… Un véritable accomplissement pour l’ancien étudiant en cinéma que tu es. Mais dis-moi, il a encore des rêves, le petit Erwan ?

-Rire- C’est vrai, c’est complètement fou tout ça… Un rêve ? Eh bien disons, que j’adore les collaborations à long terme entre un musicien et un réalisateur. Félini & Rota, Lynch & Badalamenti, Hitchcock & Herrmann… C’est génial quand tu arrives à faire plusieurs films en duo comme ça. Alors oui, ça, ça serait un rêve de former un duo avec Audiard. Et sinon, eh bien j’ai envie de pouvoir continuer à faire plein d’autre musique de film car j’adore ça, et puis pourquoi pas réaliser un jour mon propre film !

Interview par Delphine Fresard // Photo : JC Polien