La nouvelle pépite du rap français est Gabonais. Il s’appelle Benjamin Epps et marche sur la rap game en allant puiser à la source des années boom bap, avec une technique et un flow qui rend ouf, une voix reconnaissable entre mille et des productions offertes par l’énigmatique Chroniqueur Sale. Le jeune homme passait par la Rodia de Besançon cet automne. Un garçon posé, déterminé, très loin de l’image gangster du milieu, et très conscient de ce que veut dire le mot « game » de rap game.

Tu viens du Gabon, t’as passé toute ton enfance à Libreville, quartier de Bellevue. Toute cette jeunesse gabonaise, qu’est ce que ça t’apporte en plus que les autres rappeurs en France ?

Y’ a une sorte de fatalisme que je n’ai pas. Y a plein de frères qui sont nés en île de France, qui pensent qu’ils ne peuvent pas s’en sortir et moi j’ai envie de leur dire que je viens du Gabon. Je pense que si tu commences à demander à la population française, tu demandes à des jeunes étudiants de Besançon c’est où le Gabon, ils sauront même pas te dire. Je viens de là… toutes les misères, c’est les misères, on compare pas, je suis pas en train de comparer les souffrances, mais je pense que dans la vie il faut savoir relativiser. Moi je viens d’un coin où c’est vraiment difficile. Les HLM ça n’existe pas. Les aides au chômage ça n’existe pas, les aides au logement ça n’existe pas. tu n’as même pas le temps de t’apitoyer sur ton sort, parce qu’il n’y a personne qui va venir te sortir de là où tu es.

Est-ce qu’il y a une scène rap qui est développée au Gabon ?

Au début des années 2000 oui, y avait une grosse scène, après je pense que le continent a souffert un peu de l’hégémonie américaine. Jusqu’à la fin des années 90, on s’était pris l’influence française à donf, IAM, NTM, Booba, Lunatic… Et finalement quand les américains ont commencé à vraiment s’imposer partout, bah nous on s’est pris ça et ça a complètement cassé le rap francophone. Au Gabon on a un président qui faisait un peu des folies, on a eu Ja Rule, on a eu Shaggy, Fat Joe, et les concerts étaient gratuits. Donc après ça quand tu as Busta flex qui veut venir à Libreville pour faire un concert on lui dit « mais mec nous on a vus, Shaggy, t’es qui ? »… Je crois que ça a tué un peu le truc, du coup la scène rap s’est tournée un peu vers les musiques africaines, un peu d’afro, un peu de musiques locales.

Toi gamin t’étais très branché rap français ?

Très branché rap français. Américain aussi mais très français. Mon frère a vécu en France et a rappé au milieu des années 90. Lui et tous ses potes, c’est une grande famille. Il m’ont fait écouter le rap français des 90’s : La Cliqua, Time bomb etc… Donc tu vois, c’est avec tout ça que j’ai grandi.

T’as eu une petite carrière quand même au Gabon, sous différents alias, des scènes, des show radio… Mais quand t’arrives à Montpellier à 20 ans, tu reprends tout à zéro ?

Quand t’arrives à Montpellier, t’es personne, t’es juste un mec qui vient pour les études, t’es juste un étudiant quoi

Tu débarques là, comment tu fais pour te faire remarquer ?

Open mic. Alors y a un petit quartier qui s’appelle Louis Blanc, et y avait un petit bar, un super bar hip-hop, et là j’ai fais des rencontres extraordinaires. J’allais là tous les jeudis à l’open mic, je faisais mon freestyle et déjà tu pouvais sentir dans le regard des autres que j’avais quelque chose. Quand je prenais le mic, je faisais mon truc, t’as plein de mecs qui venaient me voir « Yo frérot ? Tu fais quoi ? T’as un groupe ? » et ça, ça m’a boosté, je me suis dit y a quelque chose. En fait que tu viennes de Chine, du Japon, d’Espagne, le rap finalement c’est quelque chose qui parle à tout le monde. Moi je suis francophone donc j’étais tout à fait au bon endroit.

Au gabon, tu n’as pas le temps de t’apitoyer sur ton sort, parce qu’il n’y a personne qui va venir te sortir de la ou tu es.

Ça marche sur Montpellier, pourquoi tu montes à Paris ?

Ça marche pas sur Montpellier. Je monte à Paris parce que justement, les amis de mon grand frère me demandent « Qu’est-ce que tu fais ? Nous on apprend que tu fais des trucs, fais-nous écouter les trucs». Du coup pendant le confinement…

Ah oui, y’a très peu de temps finalement…

Bien sûr ! En fait tout s’est enchaîné très vite, comme ça. Pendant le confinement je fais des morceaux, je leur envoie, ils me disent « bah y a vraiment de la matière ».

Ton son, il a un côté boom bap un peu nostalgique mais y’a pas que ça, et je pense que ça a été travaillé avec le Chroniqueur sale, qui produit le dernier album, c’est aussi un peu le futur. Toi tu voulais vraiment mélanger ce côté à l’ancienne que t’as dans ton flow avec des prods de
maintenant.

Ouais c’était une vraie volonté. Quand j’ai commencé mon truc, tout le monde m’a dit ça va parler à ceux qui ont 40 ans-50 ans qui mettent des gros pulls (sic), et là ça fait 4 mois qu’on est en tournée, on a fait 15 dates, et j’ai jamais autant vu de mecs de 15-16-17 ans à des concerts. Moi même je me surprends. On partait dans un truc un peu nostalgique, quarantenaires, casquettes, grands t-shirts XXL, mais pas du tout. Finalement le rap ce n’est pas une question d’âge.

©Max Rozzi

Je t’entendais dire tout à l’heure : « On est en 2021, on fait du rap de 2021 mais on prend l’héritage ». T’es pas dans la nostalgie quoi…

C’est-à-dire que moi toute la journée j’écoute pas Public Enemy. J’écoute pas non plus les derniers Damso, mais y a un entre deux quoi. En tant que jeune, en tant que mec qui a 25 ans, j’écoute des trucs de mon âge aussi, les trucs avec lesquels j’ai grandi. J’écoute Booba, Nekfeu, Alpha. Encore que Booba c’est un autre exemple mais c’est le parfait exemple en fait du mec qui a fait du boom bap et qui est là depuis 30 ans. Y a un entre deux, tout n’est pas tout noir ou tout blanc. On peut faire les deux. On peut tout écouter. Donc moi je suis vraiment de ces mecs là qui prennent absolument tout ce qu’il y a a prendre et qui essayent d’en tirer le meilleur.

Ton album, Fantôme avec chauffeur, référence au film avec Philippe Noiret et Gérard Jugnot ?

Ouais ! C’est pas le meilleur, mais c’est un souvenir de mon enfance et je trouvais que ça sonnait bien.

Il est produit par le Chroniqueur Sale, comment elle se fait la rencontre avec le chroniqueur Sale (youtubeur, beatmaker, producteur masqué) ?

On a des copains en commun, mon manager a un copain avec lui en commun. Du coup mon manager fait écouter à son pote avant que les trucs ne sortent. Parce que le Chroniqueur Sale, les gens ne le savent pas mais il a 36 ans. Donc il a vécu pas mal de trucs dans le hip-hop. C’est un vrai bon gars et c’est un gars qui connaît le hip hop, son histoire, et c’est un ancien rappeur aussi. Et un très bon rappeur. Il me dit : « Je vais te proposer des prods. T’es chaud on se fait un projet ensemble ? ». Je lui dit « bah écoute j’ai pas encore sorti mon premier maxi, Le futur, dès que je le sors on fait un projet ». De toute façon j’avais rien à perdre, au contraire j’avais tout à gagner. Le mec a quand même sa petite communauté donc pour moi c’était tout bénéf. Et je m’attendais pas à ce que Le futur prenne autant. Le truc à pris, les médias parisiens, tu connais le petit entre soi parisien, ils ont commencé à faire des articles. Pareil pour le projet avec le Chroniqueur Sale sort, très bon accueil, on était content. Mais le truc s’est fait, sorti du chapeau. On n’était pas amenés à se rencontrer. Comme quoi il n’y a peut être pas de hasard.

C’est que le rap game. Finalement crois-moi, booba il tue personne, il braque personne. C’est de la com’.

Quand on écoute tes paroles t’es à fond dans la compèt’, le clash, les choses comme ça, mais quand je t’ai en face de moi t’es un mec posé, calme, tranquille, c’est un peu ambivalent, t’es schizo ?

(Rires) On est tous un peu dans un rôle, dans un petit rôle, je joue le jeu. On appelle ça le game. Louis de Funès par exemple, il paraît que en coulisses c’était l’un des mecs les plus sérieux qui soit mais il a fait que des films de comédie quoi. Donc finalement on est tous un peu dans un rôle… Moi je ne braque personne, je ne vends pas de drogue. Mais dans ma musique il y a ce truc « allez je viens te prendre », il y a ce truc de compétition, un peu agressif, un peu insolent qui transpire de mes influences en fait. C’est tout ça que j’ai absorbé et que j’arrive à retransmettre, et si les gens arrivent à se prendre ça et à se dire « le gamin est chaud. Il arrive, il clash tout le monde », ça veut dire que je réussis à faire parler de moi, voila, à donner ce que j’ai envie de donner à travers la musique. C’est que le rap game. Finalement crois-moi, Booba il tue personne, il braque personne. C’est de la com’.

Texte : Chablis Winston // Photo de une : Nathan Roux