Thomas Cartron est le lauréat 2021 de la 7ème édition du Prix Impression Photographique, organisé par les Ateliers Vortex de Dijon et le Musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône. Un dispositif d’accompagnement à la jeune création contemporaine permettant au gagnant d’avoir accès au fond documentaire et à la collec’ du Musée lors d’une micro-résidence de 4 jours. Son œuvre finale « Ruins (through the eyes of Narcissus) » est exposée du 11 février au 22 mai au Musée Nicéphore Niepce.

« Ruins (through the eyes of Narcissus) » – Photographie argentique, impression UV sur miroir et plaque de verre 120x80cm, cadre en aluminium noir, 2022.

Pourquoi cette thématique sur la mythologie te parle-t-elle autant ? Et pourquoi avoir choisi de se focaliser sur le personnage de Narcisse ?

Thomas : Les mythologies d’Ovide sont une ressource narrative très riche et ancienne, qui continue d’être toujours pertinente sur les enjeux que ça évoque. Dans le mythe de Narcisse, il n’y a pas cette question de punition comme dans celui d’Actéon et Pyrrha, mais il y a quand même une métamorphose, une disparition, une mort qui emmène à autre chose. Cette question de la métamorphose avec Narcisse on la lit beaucoup aujourd’hui sur la question de l’ego, du narcissisme. À l’époque, ces questionnements étaient beaucoup plus positifs et vertueux que ce qu’on a comme lecture aujourd’hui. Narcisse se métamorphose en fleur et périt parce qu’il a atteint un épanouissement de soi, il ne se contemple pas parce qu’il se trouve beau, mais parce qu’il se cherche. C’est ça qui m’a intéressé dans cette histoire-là. L’histoire de Narcisse est très présente, voir presque exacerbée dans notre société, qui est une société d’image. Je trouve plein d’enjeux contemporains dans la mythologie que je trouve important d’actualiser. 

Je travaille beaucoup sur la façon dont on se voit, dont on se questionne, dont on se cherche, dont on se montre à l’autre.

Est-ce que tu crois que tu pourrais décrire ton projet « Ruins » en 3-4 mots ?

Thomas : Dernier regard, mythologie et société, avec un grand écart entre la mythologie et le monde contemporain.

Est-ce que tu vas développer d’autres projets avec d’autres personnages de la mythologie ?

Thomas : C’était l’idée au départ, ça l’est toujours. Depuis que j’en ai fait 4-5, je me suis demandé s’il ne fallait pas que ça devienne une série à part en regroupant l’ensemble des personnages. Pour l’instant, je n’ai pas de réponse parce que c’est la première fois que je montre une œuvre de la série « Ruins » toute seule. Ça va prendre un moment avant que je ne reproduise des œuvres de la série « Ruins ». J’aimerais plutôt concentrer un corpus entier avec des œuvres différentes autour de ces thématiques là. 

Tu as eu l’occasion de faire une micro-résidence de quatre jours au sein du Musée Nicéphore Niepce, à quoi t’as eu accès et qu’est-ce que t’en as fait ?

Thomas : J’ai passé 3-4 jours à fouiller dans un logiciel qui permet de répertorier tout ce qui est stocké au sein du musée. J’ai choisi des mots-clés qui sont présents dans la mythologie de Narcisse, comme la question du reflet, de l’eau, du contexte géographique dans lequel l’histoire se passe, c’est-à-dire d’un lac, d’une clairière. Ces mots-clés m’ont permis de trouver une image stockée dans le logiciel qu’on a numérisé en haute définition afin de l’utiliser dans la production de cette œuvre. J’ai choisi une photographie argentique anonyme qui fait partie d’un fond qui a été donné au musée. C’est une photo de vacances, ou d’un week-end en campagne, comme un souvenir anecdotique d’une journée passée. J’ai récupéré cette image-là en noir et blanc pour la transformer et en faire cette œuvre. L’idée, c’est de prendre l’image de départ et de l’imprimer sur deux supports, un miroir et une plaque de verre puis les deux sont superposés, seulement, ils sont superposés inversés gauche/droit, et sont aussi inversés positif/négatif. Le négatif est imprimé sur le miroir et le positif sur la plaque de verre. C’est cette superposition d’images, de matières, de plaques, rappelle des techniques très contemporaines, mais aussi des techniques argentiques et ancestrales. C’est ce qui fait qu’il y a une superposition d’enjeux contemporains et historiques, à nouveau avec un effet de difficulté à lire l’image qui permet ce questionnement du spectateur sur ce qu’il voit et ce qui est en train de se passer, ce qui rend l’image « vivante ».

© musée Nicephore Niepce.

Pour ceux qui ne sont pas calé en photo, peux-tu nous en dire un peu plus sur ce qui t’inspire afin de mieux appréhender ta vision, ton langage esthétique ?

Thomas : Les images ratées me parlent beaucoup. Toutes les premières images qui semblent être ratées mais qui semblent aussi avoir été des révélations. La question de la révélation est très présente dans mes recherches. Pour moi, la révélation est liée au geste, parce que quand je fais des images, des œuvres, je laisse les choses venir. Je lance des accidents et ça s’opère tout seul. Ensuite, je décide d’en faire quelque chose, je le cultive comme une technique qui m’appartient et ça devient une série. Je parle de révélation dans le sens ou les images sont là pour apporter quelque chose une fois qu’on a posé le regard dessus. On est dans un monde contemporain qui est complètement submergé d’images au quotidien, a tel point que les images ne servent plus, et quand elles servent, elles sont nocives à notre rapport à nous-mêmes. En fait, j’essaye de faire en sorte que les images que je produis redeviennent des outils vertueux pour un dialogue non-toxique entre l’image et le spectateur.

Qu’est-ce que tu appelles « geste » ?

Thomas : J’utilise beaucoup ce terme-là dans ma pratique. C’est un mot qui pour moi veut dire « œuvre » car c’est le fait de percevoir le geste appliqué de l’auteur sur l’œuvre. Je crois que je parle de geste parce qu’il y a dans mon travail quelque chose en rapport à la matière, au physique. Même quand je travaille sur l’immatérialité ou la lumière, on sent qu’un corps a placé des choses et a assemblé les images entre elles. En fait, ça englobe tout le travail qui est mené.

© Laure Ledoux

Tu nous a déjà un peu parlé de ta pratique expérimentale. Tu ne fais pas de prise de vue ? Tu ne fais que de la post-prod ?

Thomas : Pas forcément, il y a beaucoup d’images qui sont présentes donc je ne cherche pas à en reproduire des nouvelles. J’aurais pu aller faire les photos d’un lac, mais ce que je recherchais c’est la connection entre l’historique et le contemporain. Je trouve qu’il y a un rapport au recyclage qui est intéressant. Dans cette série-là, je vais chercher des photographies déjà existantes qui auraient été abandonnées, perdues, oubliées pour les revaloriser. Je ne fais plus beaucoup de prises de vues au sens contemporain du terme, mais j’aimerais bien y revenir.

C’est donc ça l’expérimentation ? 

Thomas : Oui, c’est laisser surgir les choses et une fois que mon regard a été surpris je me pose la question de comment reproduire ce qu’il s’est passé. Parfois je n’y arrive pas, donc ça ne m’appartient pas. Parfois, j’arrive à le reproduire et à le développer, donc là j’en fais quelque chose qui peut être une série que je vais laisser figer soit en l’occurrence ici, une série, un projet qui évolue au fur et à mesure.

Propos recueillis par Maïa /// Retranscription : Elena Pearl /// Crédits photos : « Ruins (through the eyes of Narcissus) » – Photographie argentique, impression UV sur miroir et plaque de verre 120x80cm, cadre en aluminium noir, 2022. / © musée Nicephore Niepce.