Rencontre avec Lionel Limiñana, la moitié des Limiñanas, à l’occasion de leur passage à La Vapeur de Dijon le 10 mars dernier. Laurent Garnier, Bertrand Belin, Didier Wampas et Lucas Trouble… Le Limiñana nous parle de tous ses potes et de la façon dont le groupe façonne ce garage transe qui leur est propre.

Propos recueilli par Mr B et Martial Ratel

©Blow-Up Pics

Vous allez défendre ce soir le dernier album réalisé avec Laurent Garnier. Il n’est pas sur la tournée, c’est parce qu’il a un planning très chargé ?

En fait, Laurent il était comme nous. Nous, on a interrompu une tournée à l’arrivée du Covid et Laurent c’était la même. Il avait un planning, tu vois le genre de planning que peut avoir Laurent et donc quand ça a rouvert, il avait un planning qui lui prenait beaucoup de temps et comme le disque sortait en septembre c’était un peu compliqué de l’emmener avec nous. Mais je pense qu’à l’avenir, on en a déjà parlé, on a vachement envie de refaire un disque ensemble et si ça se fait je pense qu’on pensera au live bien en amont.

Alors comment c’est passée cette rencontre ? C’était au festival Yeah! si j’ai bien compris, en 2017, lui il est directeur du festival et il vous a invité…

Notre tour manager nous dit qu’on était invité sur le festival de Laurent Garnier. Moi je ne connaissais pas le festival et je pensais que c’était un festival de musique électronique. Alors déjà en arrivant le mec qui m’a tenu la porte pour que je rentre mes guitares c’était Jules-Édouard Moustic et nous on est des gros fans de Groland, donc on était hyper heureux
de le voir, et ça donne un peu le ton du festival. C’est un festival à taille humaine avec un millier de billets à peu près pas plus. C’est des gens qui reviennent d’une année à l’autre, j’ai l’impression qu’ils se connaissent. C’est vraiment une atmosphère qui est très particulière. Moi j’avais mon téléphone dans la poche, ma sonnerie c’est Louie Louie la version des
Kingsmen et Laurent passait par là il me dit « Ah Louie Louie » et comme c’est ma chanson préférée on a commencé à discuter comme ça, on a bu des coups et on a adoré le moment qu’on a passé avec lui. Et quand on est rentré, j’étais en train de faire Un dimanche avec Bertrand Belin. Je lui ai envoyé les bandes pour qu’il nous fasse un remix qu’il a fait, qu’on a
adoré aussi.

Il était pourtant très techno le remix très très loin de votre univers.

Ouais, mais je trouve ça vraiment mortel.

Parce que toi t’en écoutes de la techno ?

Non, mais je connais un tout petit peu la techno de Detroit parce que j’ai un de mes frangins qui écoutait beaucoup Underground Resistance à l’époque. Donc je n’étais pas ignorant là-dessus, mais ce n’est pas ma culture réellement. Par contre on a toujours vu Laurent comme un mec qui avait le même genre d’intégrité que nos héros dans le rock. Pour moi, il a le même genre de profil qu’un Anton Newcombe, qu’un Iggy Pop ou ce genre de mec là qui ont toujours fait la musique qu’ils avaient toujours envie de faire. Tel qu’ils voulaient la produire.

Ça a été compliqué à mettre en place ? L’enregistrement de l’album ?

Pas du tout. Grâce au Covid (rire).

Vous avez conçu ce disque comme un film, comme une histoire d’amour. Ça veut dire que sur scène vous êtes obligé de jouer les titres dans l’ordre de l’album ?

Ce disque on l’a vraiment fait à 3. On s’envoyait vraiment des pistes et l’histoire s’est développée comme ça, comme une espèce de road movie naturel. Pour le live, on essaye de mélanger des titres du dernier album et des anciens titres à nous. Je pense que si on était partis en tournée avec Laurent on aurait travaillé ça comme le reflet d’un concept album. Sur scène, ça aurait été plus cohérent mais comme la tournée se fait sans lui on propose plus un show qui va concerner les mecs qui nous aiment bien avec des morceaux plus anciens.

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Il y a un autre intervenant apparemment dans l’histoire du disque, c’est Scan x qui a remis dans un autre ordre les images ?

Scan x c’est l’ingé’ son qui mixe la musique de Laurent. On avait tous nos morceaux et on avait décidé d’un tracklisting (ordre des pistes, NDLR). Nous ce qui nous importait c’était le vinyle. On pensait vraiment au vinyle avant le reste et quand tu fais un vinyle, tu sais que tu dois respecter un nombre de minutes par face parce que sinon ça compresse trop la musique et tu perds de la dynamique et du grain, de la brillance. Du coup à un moment donné Laurent me dit « ça marche pas je vais essayer un autre tracklisting pour le vinyle ». Et ça a changé complètement l’atmosphère, tu sais c’est un peu comme un montage de film… Parce qu’au départ le tracklisting qu’on avait choisi était bien plus dramatique et plus dark. On avait envie d’un truc un peu plus lumineux et quand avec Scan x ils ont changé le tracklisting ça a fait l’album que vous avez pu écouter là.

Est-ce que t’aurais voulu que Laurent Garnier fasse parfois des morceaux plus électro ?

Moi je lui ai proposé une paire de titres avec des pieds (c’est à dire des kicks sur tout les temps, comme on trouve souvent en électro NDLR) et qu’il a dégagé direct, disons qu’il n’avait pas envie d’aller vers la facilité surtout. 

Ce qui veut dire que son public ne s’est pas retrouvé ?

Je ne crois pas, je crois que les retours qu’il a eu étaient plutôt bons et nous de notre côté aussi. En fait franchement cette espèce de rivalité qu’il y a pu avoir à une époque entre le rock et la techno est finie. Aujourd’hui les barrières sont tombées et Laurent est bien plus Rock’n’roll que la plupart des rockeurs que je connais (rires).

Le point commun entre vos musiques, c’est la transe, la tension, j’aimerais bien que tu me parles un peu cette idée de tension qu’on retrouve dans tous vos morceaux, ça monte régulièrement, ça monte, ça s’accumule.

En fait, moi ce que j’aime dans la musique depuis que je suis gamin, ce sont les choses simples. C’est la musique à 3 accords, et Louie Louie dont on parlait tout à l’heure, c’est vraiment l’incarnation de ça. S’il y a vraiment un titre simplissime qui peut rendre fou quand tu le passes dans une soirée où les gens ont bu un coup et fumé un pétard, c’est celui là. Comme I Wanna Be Your Dog des Stooges, ou des morceaux de Suicide. On essaye de faire ça avec Marie dans ce groupe. C’est toujours un travail de 3 accords. On ne travaille pas sur une structure couplet/refrain. En général y a un thème et on essaye de développer ce thème. On essaye de faire en sorte que ce soit dansant et que ça provoque de la transe. À partir du moment où on a pu répéter avec un groupe normal, on a commencé a faire un riff qu’on allait développer sur 4 minutes en incrustant dans le riff ce qui nous provoquait du plaisir.

On est en Bourgogne, j’ai vu qu’avec tes précédents groupes, tu es allé un certain nombre de fois au sud de la Bourgogne pour enregistrer avec le Kaiser, Lucas Trouble. Tu peux nous parler de ce personnage important (disparu en 2016, ndlr) ? 

Ah ouais bien sûr Lucas ! À l’époque, on avait ce groupe qui s’appelait les Beach Bitches et j’avais vraiment envie de trouver un studio où le mec qui nous enregistrerait puisse comprendre quelque chose à la musique qu’on aimait et à l’époque. Quand tu téléphonais dans un club pour dire que tu jouais du garage ils te répondaient qu’ils ne réparaient pas les voitures (rires)… C’était vraiment une galère pour tourner. Tu tournais dans un réseau très particulier. Et je tombe sur une annonce dans un magazine : « Lucas Trouble : garage psychédélique » nous on connaissait les Vietnam Veterans, son groupe. On croyait que c’étaient des Américains ces mecs-là. J’ai appelé, je suis tombé sur Lucas. On n’avait pas de thunes évidemment donc ce qu’il nous a proposé, c’était des plans à la Lucas : on enregistrait la journée et le soir il nous calait des concerts dans des bars bien vénères, mais putain c’est des souvenirs incroyables. Lucas était une espèce de mélange de Patrick Dewaere et Depardieu en un seul mec. Un mec vraiment génial. On était vraiment débiles à l’époque et lui, il avait un bon niveau aussi dans le genre. L’enregistrement était vraiment cool. On y est retournés au moins 2 – 3 fois. Quand il est parti, ça m’a fait beaucoup de peine, c’est vraiment un mec qui a marqué nos vies.

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J’ai vu que tu bossais avec les Wampas. T’as enregistré un truc pour eux ?

On a un ami commun qui m’avait proposé de bosser avec eux et comme Didier et Tony Truant habitent à Sète qui est proche de chez nous… En gros, on a déjà fait un album avec les Wampas il y a 2-3 ans. On a trouvé une espèce de méthode. Didier vient à la maison, j’ai le studio à la maison, et on maquette les titres, on met un micro devant l’ampli de guitare de Didier, une batterie et il fait les morceaux. Moi, dans mon coin je fais des arrangements plus tard et je lui envoie des maquettes. Il les bosse avec le groupe et on va dans un vrai studio le faire avec un vrai ingé son. On en refait un 2ème, là. 

C’est comme d’ailleurs Bertrand Belin, on a l’impression qu’il n’y a pas un disque des Limiñanas en ce moment qui sort sans qu’il n’y ait Bertrand Belin à l’intérieur.

C’est parce qu’on est devenus amis avec Bertrand. On s’est rencontré sur une tournée en Australie et le soir quand on le voyait jouer on était complètement sur le cul de ce qu’on voyait sur scène, des textes, de sa façon d’interpréter. On a commencé à bosser avec Bertrand et à chaque fois qu’on bosse sur un album, je lui envoie les tracks.

À l’époque quand tu téléphonais dans un club pour dire que tu jouais du garage ils te répondaient qu’ils ne réparaient pas les voitures (rires)… C’était vraiment une galère pour tourner.

La suite des aventures c’est quoi ? On a noté Garnier, on a noté Bertrand Belin ? Y a d’autres références comme ça ? Parce que j’ai l’impression que vous poussez des portes, et que derrière, à chaque fois, il y a un rêve que vous pouvez toucher.

Ça se fait tout seul depuis le début. Parce que nous on voulait pas du tout monter un groupe pour tourner. Au départ, on sortait d’une série de groupes qu’on avaient depuis qu’on étaient ados qui splittaient tout le temps pour les mêmes histoires : je suis amoureux, j’ai trouvé un boulot… Avec Marie on s’est dit « on va arrêter de faire des groupes, on va bidouiller des trucs à la maison tous les deux comme ça on s’emmerde plus et on n’est plus frustrés. » À l’époque, tu n’avais pas de wetransfer, pour faire écouter les 2 tracks qu’on avait fait à mon frangin, j’ai fait un myspace. Du coup, on a signé sur 2 labels américains et ça ne s’est jamais arrêté depuis.

Un dernier mot, c’est vrai le mythe de ta barbe ? Il paraît que tu as arrêté de la raser le jour ou…

Oui ! (rires). À partir du moment où je n’ai plus eu de patron, je ne me suis plus rasé. J’en avais plein le cul de me raser le matin.

C’est génial, donc tu ne l’as pas touché depuis une dizaine d’années ?

En fait ça s’arrête, ça ne pousse plus parce que je vieillis (rires).

Et Marie elle a rien dit ?

Elle s’en fout… Enfin je sais pas, je lui en ai jamais trop parlé (rires).

Par Mr B et Martial Ratel, en collaboration avec Radio Dijon Campus // Photos : Fred Perez ©Blow-Up Pics