Comment la disparition d’une star peut-elle entraîner des vagues de suicides chez ses fans ? Ce phénomène porte un nom : L’effet Werther (en référence aux Souffrances du jeune Werther de Goethe, livre mythique qui parle d’un suicide et dont la publication entraîna une vague de suicides en Europe). Clément Guillet, dijonnais, psychiatre, sociologue et journaliste à ses heures perdues, a étudié l’effet Werther dans un livre à sortir cette semaine. L’étude du comportement humain peut parfois être fascinante mais également effrayante.

Ce deuxième livre c’est un peu la suite de ton premier livre : la sociologie du fan ?

J’ai écrit la sociologie du fan il y a des années. J’étais intéressé par ce phénomène et quand je cherchais un thème de thèse de médecine ça a été un déclic. J’ai vu des patients qui avaient fait des tentatives de suicide ou des scarifications en pensant à des stars qui avaient décidé d’en finir comme Chester Bennington de Linkin Park. Je me suis dit que les stars impactent la santé mentale des gens et peuvent entraîner les fans en psychiatrie et je me suis intéressé à ce sujet. C’est la continuité exactement. 

Est-ce que l’effet Werther c’est un truc qui touche les gamins de 12-17 ans qui sont un peu fragiles et influençables ou est-ce que ça peut aussi toucher des gens de 50 ans voir plus ?

Ça peut toucher toutes sortes de gens. Oui les jeunes sont particulièrement touchés, c’est une population fragile en général pour le risque d’imitation suicidaire en particulier mais on voit que ça peut atteindre aussi d’autres personnes. Par exemple, en France ceux qui ont vraiment créé des effets Werther suite à leur suicide c’est Kurt Cobain où il y a eu une augmentation de 11% en France de suicide chez les jeunes. Dalida également avec une hausse de 23% chez les personnes de son âge donc la tranche 45-59 ans. C’étaient des gens qui avaient grandi avec elles qui se sont identifiés à Dalida et qui, lorsqu’elle s’est suicidée, sont aussi passés à l’acte. Donc ça peut atteindre aussi des gens plus âgés. Mais effectivement les jeunes sont malheureusement les premières victimes de l’effet Werther.

Je trouve que le phénomène psychologique décrit par l’effet Werther c’est ce besoins d’admiration, de modèle qu’on a tous pour avancer. 

T’as écrit pas mal d’articles sur le site web Slate. Ton livre c’est un peu une compil’ de tous ces articles ou il y a plus ? 

Dans le livre c’est beaucoup plus poussé. Depuis ma thèse j’ai continué à chercher autour de ce phénomène et creuser un peu plus. Chaque fois que je voyais passer quelque chose en rapport avec ce sujet, je faisais des recherches et je l’intégrais dans mon livre. C’est pour ça que ça m’a pris autant de temps. Je voulais que ce soit plus complet parce que rien n’avait été écrit sur le sujet en français. C’est le premier livre qui compile un peu cet effet d’imitation qui est pourtant important parce que premièrement, il y a des morts à la clé et deuxièmement parce qu’on peut faire quelque chose. Le côté positif c’est qu’en décryptant ce phénomène, on peut sauver des vies. Par exemple aux États-Unis il y a un rappeur qui s’appelle Logic qui a fait une musique dont le titre est la ligne anti-suicide aux États-Unis. Son tube a fait un carton. Chaque fois qu’on voyait le clip comme aux MTV Music Awards, cela entraînait une baisse de suicides de plus de 5% aux USA donc à peu près 250 vies ont été épargnées grâce à des gens qui ont appelé. Il y avait une imitation cette fois positive. 

Parce qu’il existe l’effet Werther mais il existe l’effet Papageno. Les chercheurs ont montré qu’il y avait des moyens de lutter en racontant des histoires positives, en montrant que les stars parlent de leurs crises suicidaires. Il y a une libération de la parole aujourd’hui autour de ça qui fait que ça pousse des gens à demander de l’aide. Et c’est ça les choses plus récentes que j’ai mis dans le livre, il n’y a pas que l’effet négatif de l’effet Werther. Il est là mais on peut lutter contre ça dans la manière dont on raconte les choses et plus récemment il y a aussi les effets positifs de certains récits médiatiques. 

Comment est-ce que tu t’es rendu compte de ce phénomène, c’est quoi qui a déclenché ton intérêt pour ça ?

Au tout début je cherchais un sujet et j’ai vu des patients qui avaient été impactés par la mort de Johnny et qui avaient été hospitalisés dans mon service au moment de sa mort avec des idées suicidaires pour certains. Donc je me suis intéressé en me demandant si vraiment le phénomène de fan peut pousser à ça.

Il y a également des effets d’entraînement, où une personne qui connaît quelqu’un de suicidaire va être plus à risque de passer à l’acte. Ça se voit dans les groupes en général. Je me suis dit que c’est vraiment un phénomène incroyable, comment est-ce qu’on peut se suicider par imitation de quelqu’un qu’on ne connait pas mais dont on est fan. Et après je me suis rapproché de l’association le programme Papageno qui s’occupe de ça et qui vulgarise ces problématiques là en essayant de faire attention aux médias. Donc j’ai travaillé un peu avec eux, c’est comme ça que j’ai fait ma thèse et que j’ai pu publié le bouquin.

C’est assez effrayant comme phénomène. Est-ce qu’on ne tombe pas dans un trou noir à force de se poser des questions sur le comportement humain ?

Moi je suis psychiatre donc c’est mon travail de me poser des question et de voir des choses effrayantes ou des pathologies. Après je trouve au contraire que disséquer les comportements humains ça aide à mieux comprendre les gens de façon générale et mes patients en particulier donc non au contraire ça nous apprend toujours des choses. C’est un phénomène un peu noir mais qui peut avoir son côté positif et puis c’est aussi la nature humaine. Ce que je trouve assez beau, c’est de dire qu’on a tous besoin de modèles et ça montre que l’humain se construit en lien avec des récits d’autres personnes qu’ils vont prendre pour modèle. 

Je trouve que le phénomène psychologique décrit par l’effet Werther c’est ce besoin d’admiration, de modèle qu’on a tous pour avancer. 

Les médias influencent-t-ils les effets d’imitation ? 

Lorsque les stars se suicident ça peut impacter des gens parce que c’est des personnes réelles, mais la manière dont les médias en parlent accentue l’effet Werther.

Ça veut dire qu’on peut jouer sur ça et limiter le nombre de morts suivant la manière dont on en parle. Il y a quelques méthodes pour éviter ça. Ne pas décrire la méthode (car certains articles racontent de façon clinique la méthode utilisée comme pour le DJ AVICII ou le chanteur de K-pop avec le suicide au feu de bois).

Lorsque les stars se suicident ça peut impacter des gens parce que c’est des personnes réelles, mais la manière dont les médias en parle accentue l’effet Werther.

C’est extrêmement intéressant et c’est même extrêmement flippant. L’impact était énorme. Les médias ne devraient pas décrire cliniquement la façon dont une personne s’est suicidée, ni dire le lieu au risque de créer une sorte de hot spot autour de cet endroit. La justification du passage à l’acte non plus car ça rationalise un peu le passage à l’acte alors que le suicide c’est multicausal. Tout ça c’est des choses qu’un journaliste peut faire, il suffit de dire qu’il s’est suicidé. Il faut donner des pistes, ne pas considérer le suicide comme quelque chose d’inéluctable. Souvent le suicide c’est une solution définitive à des problèmes qui sont temporaires sauf que sur le moment on ne voit que ça comme soulagement. Alors qu’il y a plein d’autres solutions qui se présentent à eux qui permettent de continuer à vivre autrement. Donc dans l’écriture journalistique ça ne doit pas être décrit comme quelque chose d’inéluctable. 

L’effet Werther, stars, médias et contagion suicidaire, aux éditions universitaires de Dijon , sort le 27/04 sur les plateformes de vente en ligne et en boutique, n’hésitez pas à aller checker comme ça vous pourrez vous la péter en parlant de sociologie aux repas de famille.

Pour une explication plus rapide, Clément à même sorti un petit teaser du livre :

Pour info, la ligne de prévention du suicide en France est le 31 14.

Propos recueillis par Zoé Charrier // Photo : DR