Le fantasque québécois est de retour avec un nouvel album, et sa tournée européenne débutait à La Vapeur de Dijon, où on l’a rencontré. Il embarque le public dans un voyage très personnel, au rythme de sons enregistrés sur son téléphone, où l’expérimentation musicale embrasse la recherche de la vérité sur soi et une bonne dose de déglingue sur scène.

Avec « Darlene », ton premier album, tu composais à partir d’une fiction, le livre homonyme de ta partenaire de vie, Noémie D. Leclerc. Avec ce nouvel album, tu as composé à partir du réel, notamment à partir de sons que tu as enregistrés sur ton téléphone, ça change quoi pour toi sur le processus de création ?

Pour moi c’était de l’action, une technique. À la manière des réalisateurs qui font des docu-fictions, j’utilise des sons qui ne sont pas « actés » et qui sont mis en contraste avec des enregistrements 100% mis en scène par des musiciens au studio. C’est là que les enregistrements captés du réel prennent beaucoup plus d’importance. J’ai été inspiré par des artistes de « field recording » (littéralement « enregistrement de terrain » ndlr) comme Chris Watson, qu’on retrouve plutôt dans la musique expérimentale. Ce procédé, je ne l’ai pas tellement entendu dans un contexte de musique pop, ou dans l’écriture de chansons. Mettre un field recording dans un album, c’est pas excessivement novateur, c’est plus le fait que les enregistrements guident la trame narrative des chansons. Un qui le fait assez bien c’est Devonté Hynes, aussi connu sous le nom de Blood Orange. Il y a aussi des artistes d’électroacoustique, des « producers » plus axés sur le sampling… Je n’ai pas autoproclamé de style « musique directe », c’est plus une technique qu’un courant. De toute façon, j’aime trop la musique dans son sens large pour la limiter à un nom.

Je n’ai pas autoproclamé de style « musique directe », c’est plus une technique qu’un courant.

Pour la création de l’album, tu t’es inspiré du cinéma direct, en quoi consiste ce courant artistique ? T’as des réals ou des films à nous proposer ?

Le cinéma direct est une invention québécoise avec des codes comme la caméra à l’épaule qui permettait d’enregistrer des moments plus facilement… T’étais pas obligé d’avoir une immense caméra. C’est Noémie qui m’a influencé, ça faisait partie de son travail et elle m’a amené à m’y intéresser. C’est comme une façon de raconter la vérité à partir du réel. C’est du documentaire mais c’est plus poétique.

Noemie D. Leclerc nous salue alors au bon moment, avec une caméra utilisée à l’époque du cinéma direct à la main : une Aaton XTR Prod avec pellicule 16mm. Spoiler : l’autrice l’utilise pour enregistrer la tournée d’Hubert et son futur premier film.

En termes de références, il y a La Bête lumineuse de Pierre Perrault, Michel Brault qui est un réal’ classique du cinéma direct québécois, la plupart des cinéastes de l’ONF (NDLR. Office National du Film du Canada, à ne pas confondre avec l’Office National de la Forêt) dans les années 1950-1960. Aux Etats-Unis il y a un film qui s’appelle Grey Gardens qui est aussi très bien.

La première partie du titre de ton album est « Pictura de Ipse« , qu’on pourrait traduire par « autoportrait » en latin. La pochette de l’album est un selfie avec ton visage déformé par un filtre, un effet visuel numérique. Mais bordel, pourquoi pas le filtre « oreilles de chien » ?

La vraie traduction c’est « c’est une peinture de lui-même », « autoportrait » est venu après. Pour la photo, je l’avais juste dans mon téléphone. Quand j’ai fini l’album, il fallait que je trouve une cover. Comme j’avais déjà utilisé beaucoup de trucs qui étaient sur mon téléphone, j’ai recommencé et je suis tombé dessus. Le selfie c’est un portrait de nous-mêmes, une sorte d’autoportrait moderne. Quand j’ai besoin d’un miroir, je vais ouvrir ma caméra en mode selfie. Je trouvais ça intéressant… La déformation du visage… La laideur en général… L’inconfort… Le regard qu’on a de nous-mêmes et qui peut être déformé.

L’album s’écoute particulièrement bien avec des écouteurs pour profiter des effets sonores très stylisés, avec ce concept de musique directe. Comment as-tu envisagé l’expérience auditive de ton public ?

Je pense que j’aime écrire des chansons dans la vie en général : écrire de la musique, composer de la musique, arranger de la musique. Ce qui m’obsède le plus c’est d’écrire des albums, comme un cinéaste veut écrire des films, comme un auteur veut écrire des romans… Je pense tout le temps en termes d’expériences sonores, musicales. C’est la chose que j’aime le plus. Je suis dans le homemade business : tout commençait par mon ordi et tout a fini par mon ordi. Puis il y a aussi tous les musiciens avec qui j’ai travaillé. Pour le son, il y a Valentin Ignat avec qui j’ai mixé l’album. Lui était très présent pour tout ce qui était panning (étape de mixage où on dispose un son dans l’environnement de l’écoute, ndlr), il a beaucoup travaillé sur l’expérience stéréo de l’album. Il y avait d’autres collaborateurs comme Félix Petit (saxophoniste bisontin, nos régions ont du talent, même au Canada, ndlr) avec qui j’ai coproduit certains morceaux de l’album comme Secret et Golden Days, Marius Larue, Gabriel Desjardins qui jouent des claviers, Cédric Martel… Ils jouent avec nous ce soir, ce qui est super pour tourner.

Cet autoportrait, tu le vois comme une manière de comprendre qui tu es devenu ou de mieux appréhender qui tu veux devenir ?

Un peu des deux je pense mais c’est un bon point… J’ai vécu tellement de choses mouvementées ces quatre dernières années, on dirait qu’il y avait quelque chose… Un désir de se recentrer… J’avais peur de perdre mon chemin vers moi-même. J’ai pas commencé en me disant « je vais faire un autoportrait » mais l’idée est finalement venue naturellement. Il y a beaucoup de peintres qui font des autoportraits à un certain point dans leur vie pour prendre du recul. Là honnêtement, je me sens encore dans ce tourbillon de ce moment de ma vie… En plus, l’album est sorti il y a pas si longtemps. Ce n’est pas comme si j’avais 45 ans et que je pouvais regarder tout ça avec 20 ans de distance. Là c’est un portrait, une photo de ce qui se passe mais la musique continue.

C’est pas une collection de chansons que t’écoutes dans l’ordre, c’est un voyage complet.

Dans l’album, tu nous conduis régulièrement dans les entrailles de tes voyages, pour finir dans tes propres entrailles avec le dernier morceau « f. p. b. », après avoir avalé un micro. Quel sens apportes-tu à ce parcours « intime » ? Est-ce que tu as fini par le ressortir ce micro ou tu es toujours en train de le digérer ?

Non j’ai ressorti directement le micro, rassure-toi. Dans l’album on passe par des avions, des voitures… Ces enregistrements-là sont vraiment comme des transitions. Ça m’a beaucoup influencé pour écrire avec l’idée du voyage. C’est aussi amener l’auditeur dans l’entre-deux, l’inconfort, la fluidité, le passage vers autre chose. C’est justement quelque chose qui revient beaucoup dans la thématique de l’album, les paroles. À la fin de l’album je me retrouve littéralement avec moi-même mais en même temps, le voyage est peut-être plus littéral que ça. Forcer l’auditeur à voir que c’est pas une collection de chansons que t’écoutes dans l’ordre, c’est un voyage complet. Je suis conscient de l’époque dans laquelle je vis, où les albums qu’on écoute d’un coup sont moins répandus. C’était déjà ma volonté avec le premier album et avec celui-là, je perfectionne le style qui me plaît.

Un des morceaux s’appelle « uber Lenoir, c’est confirmé », est-ce que tu envisages de créer ton propre service de livraison pour le prochain album ? Tu livrerais quoi ?

Je livrerai des trucs difficiles à obtenir… Peut-être des bas, des chaussettes sèches de différentes variétés… Des sous-vêtements, des chandails blancs. C’est peut-être parce que je suis en tournée et que j’ai souvent froid, mais là je m’en commanderai bien.

Personne d’autre que toi ne peut te jouer, dans le grand film qu’est la vie…

Dans Hula-Hoop, tu dis être assez grand pour toucher ton destin du bout des doigts. C’est quoi la bonne taille pour le prendre à pleines mains ?

Je pense que tu ne peux jamais avoir la bonne taille. 

Hubert demande confirmation au saxophoniste Félix Petit.

Félix (rires) : C’est dans les 1m90 je pense. (À vue d’oeil, il mesure 1m90, ndlr)

Hubert : Moi je pense qu’il n’y en a pas.

Félix : Ouais, je pense que c’est insaisissable.

Hubert : De toute façon le concept de destin est assez flou. Pour moi ces paroles c’est aussi de l’humilité. Parce que 5’6 c’est pas très grand (1m70), plus petit que la moyenne… Pas que ça me dérange… Mais c’est juste parfait, je suis assez grand. Mon but c’est pas de prendre mon destin à pleines mains. Il ne peut pas t’échapper. Dans cet instant-là, on est parfait pour avoir le premier rôle de notre propre vie. Personne d’autre que toi ne peut te jouer, dans le grand film qu’est la vie… T’es la personne la plus qualifiée pour jouer ton rôle, c’est parfait.

Propos recueilli par Henri Golan /// Photos : © Lange Vert