Depuis 2016, la SMAC dijonnaise a fait copain copain avec un collectif lyonnais qui fabrique des instruments de musique accessibles aux enfants et aux non-musiciens en tout genre. Jeudi dernier, on les a rencontrés à la maison de la petite enfance Roosevelt pour une session test d’une de leurs créations. Plongés dans l’obscurité pendant vingt minutes, on a observé quatre petits âgés de un à deux ans explorer et tripoter un tapis interactif que j’étais moi-même bien tentée de tester.

Né il y a deux ans pour le festival Jazz à Vienne (Vienne la ville en dessous de Lyon, pas le département français du Futuroscope ni la capitale de l’Autriche), Tapiti est un tapis composé de dalles électroniques un peu particulières. Faites pour être touchées et manipulées par les enfants, elles produisent des lumières colorées, et surtout des sons électroniques ultra immersifs. Entourés de quatre enceintes, les enfants peuvent alors voir et entendre leurs gestes, donner corps à la musique. Le tapis stimule à fond leurs sens : le toucher, la vue, l’ouïe, et peut-être même le goût pour les plus curieux. Au départ un peu intimidés, ils finissent par s’habituer à cette ambiance planante et très captivante.

Le dôme magique

Autour d’un café derrière la Vapeur, l’équipe de Kogümi m’explique plus en détail l’essence du projet. Stella Tanguy, médiatrice culturelle à la Vapeur, m’explique que la petite enfance est le point faible de la médiation artistique et culturelle. « La Vapeur a déjà proposé des concerts pour les bébés, mais les tout petits restent un public très spécifique. Ce dispositif permet aux éducateurs d’être eux-mêmes acteurs de cette ouverture artistique » m’explique-t-elle. En effet, les crèches pouvant difficilement se permettre d’inviter des artistes, elle affirme que « Tapiti sera un bon moyen de faire entrer un objet d’art dans ce type de structure ». Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est une vraie chance de pouvoir proposer de la médiation pour la petite enfance de manière aussi intuitive et adaptée.

Future star du scratching

Chez Kogümi, la dévotion est au maximum pour rendre la musique accessible à tous. Pour vous donner un exemple sur le niveau des mecs, ils ont été capables de créer un ensemble d’instruments permettant à des personnes à mobilité très réduite et sans compétences musicales particulières de faire de la musique en groupe. La classe. Cet instrumentarium s’appelle le Kraken et est mis à disposition des structures médicosociales bretonnes (car c’est là-bas qu’il a été conçu). Composé de nombreux petits modules très simples et tous reliés entre eux, même une personne n’ayant qu’un seul doigt en mouvement peut participer. La musique est composée spécialement pour le Kraken et mise entre les mains des musiciens en herbe à travers les commandes ultra intuitives fabriquées par Kogümi. Ce dispositif rappelle un peu La Frite de la Vapeur. C’est un autre instrument à usage collectif que la SMAC avait commandé directement auprès du collectif. Pour le coup, La Frite s’adresse plutôt aux écoles afin de faire jouer un groupe classe ensemble. Elle se compose de divers modules, là encore tous reliés entre eux. On y retrouve les outils classiques de la musique électronique : boîtes à rythmes, samplers et synthétiseurs. D’après Kogümi, quoi qu’on fasse avec La Frite, il est impossible de se tromper. L’expérience de La Frite permet de pousser les enfants à l’expérimentation et les ouvre à la musique de manière ludique. Vous comprendrez que la médiation musicale est une vraie vocation pour ce collectif créatif et engagé.

Pour Anatole Buttin, professeur de musique et membre du noyau dur de Kogümi, « la musique électronique est une chouette porte d’entrée pour les non-musiciens ». En effet, les créations de Kogümi permettent souvent de simplifier au maximum l’approche de la musique en éliminant la contrainte technique. Plus besoin d’envoyer les enfants pleurer en cours de solfège, ici il suffit d’appuyer sur un gros bouton qui brille ou d’actionner un levier coloré. La pratique de la musique devient plus ludique. « Ce qui est bien, c’est qu’on peut explorer les gestes. On peut choisir quel mouvement permettra de déclencher le son. D’autant que chez les jeunes enfants, on peut les voir développer leur habileté d’une semaine à l’autre. Pour le tapis, on adapte les sons selon le fonctionnement de chaque dalle. C’est un raisonnement assez personnel mais on fait en sorte que le son colle aux mouvements que font les enfants ».

Une des dalles de Tapiti dont le disque central produit du son en tournant

« La musique électronique est une chouette porte d’entrée pour les non-musiciens. »

Anatole semble aussi avoir à cœur de rencontrer des gens à travers son travail. Il m’explique que les futurs utilisateurs des instruments ont toujours un rôle central dans la conception de ces derniers. C’est d’ailleurs pour cette raison que les instruments sont testés. Pour Tapiti, ça s’est passé à Ahuy et à la crèche Roosevelt grâce à l’appui de la Vapeur. Le personnel encadrant est consulté et sollicité pour participer à l’élaboration des instruments afin d’obtenir des objets vraiment adaptés à leur public.

Sur plan technique, Kogümi est un collectif balèze. Anatole me confie que même quand ils ne savent pas faire un truc, ils essayent toujours de le faire quand même. On parle ici de gens assez bricoleurs qui réussissent à fabriquer des objets compliqués qui naissent juste dans leurs têtes. Pour concevoir de tels instruments, il faut savoir comprendre les besoins et les contraintes du public cible, bricoler, faire de l’électronique, coder, être calé en musique et créatif … Et parfois, ça coince, évidemment. C’est là qu’ils font appel à des pros pour faire ce qu’ils ont en tête pour leurs projets. Pour Tapiti, ils ont fait appel à Yan Godat, un technicien qui s’y connaît en lumière puisqu’il vient du milieu du théâtre. C’est lui qui se charge de créer l’ambiance lumineuse du tapis et qui s’occupe de pas mal de branchements. C’est pour ça qu’on ne peut pas dire combien ils sont chez Kogümi : ça dépend des projets ! Et si vous vous demandez d’où viennent les sous qui financent ce projet, ils sont dispensés par la ville de Dijon et le Conseil Départemental de la Côte d’Or.

Le tapis une fois débarrassé des enfants

Grâce à Tapiti, Kogümi espère permettre aux enfants de vivre de vrais moments d’art dès le plus jeune âge. L’objectif est de créer un outil qui pourra être transmis de structure en structure, comme La Frite qui circule depuis déjà quelques années. Mais cette fois, ce sont les crèches qui en bénéficieront, et c’est d’autant plus cool que ce genre d’opportunités est rare. Quoi qu’il en soit, le projet rassemble un maximum de gens passionnés pour mettre la médiation au service des jeunes enfants du coin, et pour ça on dit merci ! 

Texte : Marine Roucou // Photos : collectif les Flous Furieux