« Genre, t’es qui ? » Certaines personnes y répondent facilement mais pas toujours. Cette question d’identité est mise en valeur par les marches des fiertés, parfois avec des éditions récentes, notamment à Dijon et Besançon. Côté Cour, Scène conventionnée d’intérêt national Art, enfance, jeunesse à Besançon, a décidé de vouer tout un mois à cette notion en incluant dans leur programmation le « Mois des rengé·e·s ». 

Ce mois de mai était consacré à trois spectacles destinés aux jeunes publics mais aussi aux familles pour nous amener à nous interroger sur les codes du genre. Cyril Devesa, directeur du théâtre nomade bisontin, nous explique que cette question l’agitait dès le plus jeune âge. « L’avantage du spectacle vivant c’est d’apporter la distance artistique et sensible nécessaire pour que chaque individu puisse trouver des réponses, ou juste se poser des questions, sans la brutalité crue des images normalement diffusées pour des adultes ». Le but n’est pas de trouver de réponse, mais de découvrir une vision sensible.

La structure déplace son gradin dans des écoles de Bourgogne-Franche-Comté d’octobre à juin, chaque année. Lors de la programmation, Cyril Devesa avait choisi ce mois-ci, notamment pour le 17 mai journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. Il nous a présenté les spectacles qui ont composé le « Mois des rengé·e·s ». Deux d’entre eux s’inspiraient de contes, genre littéraire merveilleux avec lequel Disney nous a fait croire que Maman aimait siffler en repassant tes fringues et que Papa avait le droit de l’embrasser pendant qu’elle dormait.

Cédric Leproust et Nidea Henriques qui jouent à cache-cache avec les genres

La Bocca Della Luna confronte directement le public à ces idées reçues avec leur spectacle À l’envers à l’endroit, dès 6 ans. À l’entrée de la salle, tout le monde a reçu un casque bluetooth avant de s’installer. Sur scène, le comédien Cédric Leproust et la technicienne/comédienne Nidea Henriques se tenaient devant des micros et une table avec l’inscription « On Air », qu’on les a soupçonnés d’avoir volé à Radio Campus. Pendant une bonne partie de la représentation, on nous a raconté l’histoire de Jan-Neige (Ndlr. Pas celui de Game of Thrones), un prince qui subit la jalousie de son beau-père, voulant être le plus bel homme du royaume. Comme il est sacrément énervé, beau-papa ira jusqu’à se transformer en dragonne pour traquer le protagoniste, logé chez sept petites bucheronnes. L’histoire ne s’arrête pas à inverser les genres puisque la compagnie se fait elle-même interrompre par leurs personnages qui ne veulent pas forcément « Se marier et avoir beaucoup d’enfants ».

C’est vrai qu’on peut comprendre Eléanore la chevalière qui pourrait juste sauver Jan-Neige, rester pote avec et retrouver sa promise. Ces quarante-cinq minutes de spectacle ont permis au public d’imaginer toutes les histoires possibles et pourquoi pas d’envisager de devenir qui nous voulons être vraiment. Pour le comédien Cédric, la meilleure histoire, « c’est celle que les enfants nous racontent », pour sa partenaire de jeu Nidea « c’est celle où on est soi-même ». D’ailleurs, dans son processus de création, la metteuse en Scène Muriel Imbach a essentiellement pratiqué des ateliers philos sur le thème du conte avec les enfants. Ce sont leurs réponses qui ont nourri la compagnie pour écrire le spectacle. Leur volonté a très vite été de surpasser le genre, se suffire à l’inverser dans un conte célèbre aurait vite été décevant. En choisissant de présenter une technicienne sur scène, en créant sept petites bucheronnes qui manifestent devant le château pour mieux se faire entendre, en choisissant deux interprètes aux silhouettes identiques, Muriel Imbach tenait à « flouter les frontières du genre » pour permettre à l’imaginaire des enfants de s’exprimer pleinement.

Cédric et Nidea, à l’écoute des histoires des enfants

La Barbaque Compagnie pose elle aussi la question de savoir s’il faut forcément se marier et avoir beaucoup d’enfants à la fin des histoires avec le spectacle La Princesse qui n’aimait pas. Cette pièce de théâtre d’objets marionnettiques nous a raconté l’histoire d’une princesse qui a l’âge de faire sa propre mayonnaise, donc qui a l’âge de se marier (logique des contes aux sous-entendus que ton oncle beauf adorerait déballer après avoir fini le Pontarlier). Malgré tous les princes qui se présentent à elles, la princesse se marie avec la fée du récit.

La comédienne Caroline Guyot et ses marionnettes éco-responsables

Dès 5 ans et avec le regard du metteur en scène Johanny Bert, les enfants ont pu entendre là aussi qu’on peut aimer qui l’on souhaite : « Pouvoir AIMER qui on veut, sans se poser de questions, sans se sentir jugé… Si je suis la princesse de ma vie alors je peux aimer un prince, un chevalier, un palefrenier, un écuyer… Mais aussi une princesse, une fée ou une chevalière ! ». La magie du spectacle permettait au public de faire en sorte qu’elle devienne réalité.

Pourtant il restait un troisième spectacle, avec des personnages plus contemporains cette fois-ci, Elle pas princesse, lui pas héros, écrite par Magali Mougel et mise en scène par Johanny Bert du Théâtre de Romette (décidément très investi dans la cause). Le public était réparti en deux groupes différents, dans deux salles distinctes. On y découvre deux versions d’une même histoire, racontée par Leïli et par Nils. ELLE est débrouillarde dans n’importe quelle situation et a un baby-sitter qui fait du tricot ; LUI est plus discret, plus sensible, avec une grand-mère qui « n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis ». Chaque personnage va s’adresser au public, comme face à une classe, pour affronter le regard des autres.

Selon le metteur en scène et l’autrice de la pièce, il faut se rappeler que « les enfants sont confrontés et souvent soumis aux attentes de leurs parents, de l’école et de leur groupe d’appartenance sociale ». Les artistes mentionnent également les contes traditionnels qui se dissimulent « dans les replis de la mémoire par assimilation à l’inconscient collectif ou individuel ».

Julien Bonnet, comédien mais pas héros du spectacle

Ce discours vient justement soutenir celui du directeur de Côté Cour : « Les contes parlent de nos peurs universelles, de notre société avec des problématiques toujours d’actualité, [comme] la capacité à résister à la pression sociétale ou familiale ». D’ailleurs, quel est l’accueil du public de Côté Cour face à ces spectacles non genrés ? Cette programmation est-elle considérée comme l’œuvre de démons wokistes reptiliens ?

La Bocca Della Luna, nous a fait part d’une seule expérience où un parent d’élève a souhaité interdire la représentation, ce qui n’a pas eu lieu. Sinon, l’initiative est globalement bien accueillie par l’ensemble des écoles. Pour Cédric Leproust, les stéréotypes sont partout : « Nous aussi on a des a priori envers certains endroits ou certains parents. Et en fait, la plupart du temps le public est très réceptif, le public est intelligent, avec une ouverture. C’est là qu’on voit qu’on est toutes et tous capables de réfléchir le monde autrement ». Cyril Devesa ajoute que sur le territoire, « les classes étaient ravies de pouvoir prolonger les études d’œuvres par ce prisme de réflexion ». Même constat du côté des familles qui se rendent à ces spectacles « les réactions restent positives ». D’ailleurs, les familles en redemandent.

La comédienne Maïa Le Fourn, pas princesse mais debout face aux stéréotypes

Les trois compagnies et le directeur de la Scène conventionnée partagent la même conviction : « On raconte des histoires et on dit juste aux enfants qu’ils peuvent raconter celles qu’ils veulent. Si un enfant nous dit « ça, ça me plaît pas »,  il a le droit. C’est ce qui compte dans le spectacle vivant ». Par toutes les questions universelles que nous posent les contes que les artistes déconstruisent ou interrogent, il n’est pas uniquement question du genre, mais de la différence. Il y a tellement moyen que ces initiatives artistiques et culturelles nous parlent à toutes et tous, qu’on pourrait arrêter de faire genre pour (re)découvrir ces histoires.

Texte : Henri Golan /// Photos : © Sylvain Chabloz / © Côté Cour / © Horric Lingenheld / © Christophe Raynaud de Lage