Pourquoi vendre des pâtisseries en forme de chibre ? Pourquoi les acheter ? Si vous êtes passés place Jean Macé à Dijon, là où la rue du Bourg se transforme en rue Berbisey, vous n’avez pas pu rater ça. Ça, c’est une vitrine. Derrière cette vitrine, un comptoir. Au-dessus du comptoir, un néon en forme de cœur. Et dans ce cœur, une teub en néon, une teub insolente et turgescente.
Vous voilà arrivés devant la Quéquetterie, gentille boutique proposant des « fluffy pancakes » aux formes aussi peu orthodoxes qu’équivoques. Du sucré, du salé, en forme de teuch ou de teub, voilà le crédo de la maison, le tout compris entre 5 et 8 euros.
Comme tant d’autres concepts, l’idée a originellement germé au cœur de la cité francilienne. De façon plus surprenante, c’est une femme à qui l’ont doit cette entreprise farfelue, une passionnée de pâtisseries, vénézuélienne par-dessus le marché. Depuis le lancement de sa première Quéquetterie en 2020, Taziana de son prénom a construit un empire phallique et vulvaire aux quatre coins de l’Hexagone. Galvanisée par ses 8 franchises françaises, elle a même récemment traversé les Alpes comme une Hannibal à dos de phallus pour s’implanter en Suisse.
Je suis pour ma part allé rencontrer Jory, le franchisé dijonnais, afin d’en savoir plus sur cette curieuse initiative. À la base franchisé d’une autre enseigne, Jory est tombé amoureux de la Quéquetterie au premier regard avant d’ouvrir son échoppe dijonnaise le 31 mars 2022.
J’avoue m’être rendu sur place l’esprit rempli d’un mélange d’appréhension et de stéréotypes, sujet oblige. Un premier préjugé tombe dès mon entrée dans la boutique : moi qui m’attendais à entendre Patrick Sébastien, Pierre Perret ou notre star du coin Francky Vincent, je suis accueilli par une musique lounge mâtinée d’accents latinos.
Très disert et plein de bonhommie, Jory fait tomber un autre préjugé dès la première question : qui sont ses clients ? « Tout le monde ». Celle-là je l’avais pas vue venir. Au-delà de la très attendue tranche des moins de 25 ans, Jory et son équipe voient en effet passer des couples, des quadras, des familles, des profs, des entreprises, et même des plus de 70 ans. Cette diversité du public a commencé à se manifester très tôt : « on était en train de faire les derniers ménages deux jours avant l’ouverture, et là, une mamie rentre. Elle avait entre 75 et 85 ans. Elle me dit ‘mais quand est-ce que vous ouvrez ? Je vous ai vus dans le Bien Public !’ Y’a pas d’âge tu vois». De la bite pour les petits et les grands, de la foune de 7 à 77 ans !
Les jeunes restent naturellement le public cible, et la boutique constitue pour eux un écrin instagrammable à souhait : néons multicolores, composition florale, murs blancs, tout est là pour se mettre en scène et fournir à la Quéquetterie une publicité sur les réseaux à peu de frais. Mais au-delà de l’aspect commercial et marketing, Jory met en avant une expérience conviviale, populaire et iconoclaste : « pour détendre l’atmosphère, on pose toujours la question ‘c’est ta première quéquette ?’, ‘c’est ta première fois ?’. Les gens se marrent, la bonne humeur est là. À l’ouverture, on a pas mal galéré pour suivre les commandes, une file d’attente d’une heure et demie sous la neige d’Avril. Mais les gens patientaient, sourire aux lèvres. »
Toute blague coquinette à part, il n’est pas question de donner dans l’obscène ou de froisser les sensibilités. Le logo et le nom du magasin sont absents de la devanture, le personnel emploie un vocabulaire « châtié » face aux clients (« bite » et « chatte » sont remplacés par « quéquette » et « foufoune »). Mesure supplémentaire, des couverts sont fournis aux enfants, afin de découper les pâtisseries et par là-même ne pas offrir le spectacle d’un moutard qui engouffre un zob tout entier. Autant d’éléments qui viennent contrebalancer l’aspect sulfureux du produit. Il y a bien entendu des bandes de bros en goguette qui y vont de leurs blagues lourdingues, mais il y a aussi les grands timides, ceux qui n’osent pas prononcer le mot, qui ont recours aux épithètes tels que « version masculine » pour commander leur mandrin pâtissier.
La Quéquetterie, fenêtre de l’âme ? Jory semble plutôt y voir une expérimentation proche de l’étude sociologique : « J’ai l’impression que c’est un produit assez identitaire. Par exemple, pendant la Gay Pride, on a vendu un sacré paquet de Love is Love [création aux couleurs LGBT], notamment à des personnes de la communauté. La Love is Love est pourtant pas exclusivement destinée à la communauté LGBT, elle est particulièrement bien finie, avec un fourrage, un glaçage complexe, elle a sa valeur gustative, mais l’engouement est très fort chez les LGBT. » La Love is Love ne se déclinant qu’en version Quéquette, que choisissent les LGBT quand il s’agit des produits mixtes ? « J’ai observé que les choix étaient très tranchés. Pendant la Gay Pride, les lesbiennes prenaient de la foufoune, les homos de la teub, alors qu’un hétéro mange souvent des deux sans grande distinction. »
Au-delà d’offrir un produit soutien à la communauté LGBT, la Quéquetterie met un point d’honneur à ne pas tomber dans les écueils discriminatoires qui pourraient tourner autour de son concept : « on a un format unique pour éviter un rapprochement douteux entre la taille des quéquettes et leur couleur. On a tout entendu, ‘ah si vous en faites des plus grandes, faudra mettre du charbon à l’intérieur’, ‘si vous faites des petites, du cumin dedans…’. On est pas là pour jouer à ça. »
En définitive, ce qui aurait pu être un outil de promotion subliminale des spectacles de Jean-Marie Bigard est une échoppe à l’éthique assez travaillée, visant à jouer avec les tabous.
Mais qu’en pensent les clients ? Il a été difficile pour nous d’obtenir des témoignages, tant les acheteurs et acheteuses rechignaient à partager leur expérience. Regards fuyants, pas pressés et fronts suants, il semblerait que les aficionados de la quéquette l’achètent sous le manteau. Les quelques personnes qui ont toutefois accepté de nous confier leur avis ont été assez unanimes sur la saveur de ces pâtisseries. Assis à côté des novices, on constate que leur première fois se passe très bien, et la plupart nous assurent qu’ils reviendront. Dans le cas des récidivistes, la raison de leur retour ne tient pas tant à l’aspect humoristique qu’à la qualité gustative : la teub c’est rigolo certes, mais la teub c’est surtout bon, et ils en redemandent. Seule ombre au tableau, le prix. La question du tarif est quand même revenue assez fréquemment dans la bouche pleine de nos interrogé.e.s. On en conviendra, 5 à 8 € pour une pâtisserie, tout aussi travaillée soit-elle, c’est pas donné. Cela n’empêche pourtant pas les gens de revenir, alors il a bien fallu qu’on teste.
On s’est enfilés une Hot Dick, la version braquemart du Hot Dog. Assez consistante, la pâte « fluffy » vient accueillir une saucisse arrosée de la triade Ketchup-Mayo-Moutarde, le tout saupoudré d’oignons grillés et de cheddar fondu. Pour le prix d’un Kebab typique (« 5€ sans les frites, chef »), on obtient donc un produit certes plus petit, mais plus qualitatif, comme promis.
Texte et propos recueillis par Reggie Ledoux // Photos : Reggie Ledoux