« Penser / Classer » c’est le deuxième volet de l’expo-hommage à Georges Perec pour célébrer les 50 piges du Musée de la photographie Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône. Quand vous allez au musée, vous n’avez pas envie de voir toutes les collections cachées dans ses réserves ? Ça tombe bien, c’est exactement ce que propose cette expo : dévoiler les trésors de ce musée mythique. Après la visite commentée, on s’est posé tranquillement avec la commissaire d’expo’ Emilie Bernard pour discuter. Attention t’as jusqu’au 22 janvier pour découvrir ça !

Quel lien vous faites entre Perec et les 50 ans du Musée ? Ça vous est venu comment cette idée ?

On voulait mettre l’accent sur la richesse et la diversité des collections puisque c’est ce qui fait l’atypicité de ce lieu. On a choisi de faire ça de manière décalée et poétique en rendant hommage à l’écrivain Georges Perec et son essai « Penser / Classer ». Dans cet essai Perec ironise sur cette manie que nous avons pour penser le monde et le classer. C’est quelque chose d’anthropologique pour l’être humain. C’est l’idée de chaque chose à sa place et une place pour chaque chose. C’est exactement ce qu’on fait dans un musée : on pense et on classe un objet de connaissance. La particularité de ce musée c’est la photographie et cette pratique nous sert depuis 200 ans à penser et classer le monde. C’est une mise en abyme. On a chargé la photographie de beaucoup d’utopies depuis son invention car on s’est dit qu’on pouvait rapporter les images du monde entier, vaincre le temps qui passe, l’oublie, les destructions, garder une trace de tout. 

Cette idée d’expo vient d’un moment de vertige qu’on peut ressentir quand on travaille dans les réserves où on se retrouve face à des volumes impressionnants. C’est vraiment cette idée de se dire « Faut qu’on pense et qu’on classe un objet qui pense et qui classe » c’est venu de ce vertige-là, vertige taxinomique dont parle Perec. L’idée est de montrer la diversité de supports comme les objets, les livres, etc… et que la photographie est au service de toutes nos obsessions et pas que de classements.

Le Musée compte combien d’objets et photographies dans son fond aujourd’hui, en 50 ans d’existence ?

Il y a 4 millions d’images à peu près mais ça augmente assez vite. On a 10 000 appareils et accessoires, et plus de 30 000 livres et revues.

Comment se compose cette exposition ? Est-ce que vous avez établi une manière particulière de présenter ces objets / photographies ? Par thèmes par exemple ? De façon chronologique ou par date d’acquisition ?

La scénographie de l’expo est un parcours qui reprend les 8 réserves du musée dans lesquelles on conserve nos collections qui sont classées par supports. Donc c’est comme si vous vous baladiez dans chacune de ces réserves. Des tranches sur les murs reprennent les typologies et langages administratifs et d’énumérations où on décrit ce que contient chaque réserve, d’où le lien à Perec. Dans son essai « Penser / Classer » Perec fait toute une liste des synonymes de l’opération de classer, ce petit jeu d’énumération de verbes à l’infinitif va être décliné dans chacune des sections tout au long du parcours pour reprendre ce rythme d’écriture et donc se rapporte à chaque fois aux objets présentés dans l’expo. 

Est-ce qu’on retrouve dans cette expo temporaire uniquement des pièces d’archives habituellement invisibles au public ?

C’était effectivement l’occasion de montrer des pièces qui n’ont pas été montrées depuis longtemps et qui ne l’ont jamais été jusqu’à présentC’est vrai qu’on a de quoi faire ! C’était surtout l’idée de rendre tangible le volume et la nature de nos collections, de lever le voile sur les réserves avec cette structure autour de Perec. C’est montrer qu’on peut conserver un plateau des années 70 avec des illustrations de joueurs de football comme une pièce artistique, en passant par des vues de particules. 

Est-ce que cette expo a été l’occasion de faire un peu de tri ?

Ce tri se fait assez vite puisque ça fait quelques années qu’on travaille ici donc on connait bien les collections. Ça s’est fait de façon assez fluide une fois que l’idée de Perec était là et la scénographie est venue tout de suite aussi pour avoir une approche topographique et d’espace. On a isolé quelques pièces par réserves à partir desquelles on pouvait raconter beaucoup de choses. C’est une sélection dans nos collections qui sont déjà pensées et classées on va dire !

Pour faire ces choix de montrer telle ou telle chose des collections du Musée, avez-vous pensé puis classé/sélectionné ou l’inverse ?

J’ai d’abord pensé à Georges Perec et après c’est venu tout seul. Tout c’est déroulé de façon fluide et cette approche topographique permet de ne pas s’y perdre. 

Est-ce qu’il y a des objets ou des photographies que vous n’avez jamais vraiment réussi à « classer » dans les archives, dans les collections du Musée ?

Nos réserves sont organisées par type de support et non par ce qu’elle représente, donc on y arrive !

L’ouvrage encyclopédique « Une histoire de la photographie à travers les collections du Musée Nicéphore Niépce » est sorti en 2022. Est-ce une sorte d’outil de médiation pour cette expo ou la simple volonté de sortir un ouvrage ?

C’était l’idée de sortir les deux choses en même temps : l’expo d’une manière événementielle et ce catalogue qui retrace l’histoire, les politiques d’acquisitions et de collections depuis la création du musée, qui a été dirigé et rédigé par Sylvain Besson, le directeur des collections. C’est la première fois qu’on retrace l’ensemble de l’histoire de ces collections. Ce musée est encyclopédique sur la photographie mais c’est une histoire plutôt anthropologique.

Texte et propos recueillis par Maïa // Photos : Sébastien Jouanny Musée Nicéphore Niépce ©