Contrairement à ce qu’il énonce dans « Que dalle tout », Bertrand Belin n’a rien d’un gâcheur de noces ou d’un épouvantail d’abris-bus. Là, sur cette terrasse de La Rodia, une cigarette à la main, il semble, au contraire, posséder une façon d’être au monde et une élégance inhérente aux gens bien nés. Esthète du mot et du son, voilà 7 albums que ce fils de pêcheur promène son flegme de poète breton dans le paysage sonore français. La veste impeccablement porté, la mèche laquée, la voix grave et le verbe bien en place, on a eu le droit à une rencontre express à l’occasion de son passage à La Rodia de Besac.

Alors, j’ai cherché, mais définitivement je ne distingue aucun lien entre « Tambour » et « Vision », le titre de votre dernier album… 

C’est justement qu’il n’y en a aucun ! La création d’un titre pour moi, je dirais que c’est comme de la chimie : je vais mettre du bleu de méthylène avec de l’acide sulfurique et je vais voir si ça donne un truc. « Tambour Vision », ça sonne bien, c’est beau, c’est agréable à voir écrit. Des mots simples, très communs et qui produisent une petite alchimie. Comme on met des fleurs au-dessus d’une porte ou que l’on sculpte un chapiteau… Un titre pour moi c’est surtout de l’ordre de l’ornementation.

De quelle façon votre enfance, votre adolescence, passées dans un milieu plutôt dur, a conduit à devenir l’artiste que vous êtes ?

Je ne sais pas… Tous les efforts que j’ai produit pour devenir un artiste c’est grâce à la matérialité de l’instrument de musique. Ça a commencé à 12 ans, avec l’arrivée d’une guitare à la maison, celle de mon grand frère. Ça a été mon échappatoire. Quand j’avais 12/13 ans, j’ai commencé à faire des concerts, puis vers mes 15 ans, je jouais avec mon frère dans un groupe. Je sortais du collège, je ne savais pas du tout ce que j’allais faire de ma vie. Après, j’ai fait une rencontre avec une jeune fille que j’ai suivie à Paris. Ça a un peu décidé de la suite… Mais je n’ai jamais vraiment voulu dépasser une condition et je n’ai pas fait de la musique pour faire carrière. Mon parcours ça a plutôt été le hasard de l’existence et des rencontres. 

Côté roman, vous avez publié Vrac en 2020, dernier d’une petite liste initiée en 2015 avec Requin. Vous n’étiez pas un bon élève et pourtant vous êtes un vrai amoureux de mots… 

Oui, je n’aimais pas l’école mais ce n’était pas la faute du système scolaire, simplement que je n’étais pas dans des conditions de vie qui facilitaient l’apprentissage et qui me permettaient de bien travailler… Mais si je me réfère à mes souvenirs et au récit familial, j’ai toujours aimé les mots, faire des jeux de langage et, comme tous les enfants il me semble, j’avais une grande fascination pour les histoires.

Comment l’écriture de roman est arrivée dans votre vie ? 

L’apprentissage de la guitare puis l’écriture de chanson a été mon premier terrain d’expérimentation. Peut-être que le roman me semblait être une chose un peu trop sacrée pour que je m’avoue que c’était ça que je cherchais à faire… L’écriture de chanson, par le biais de la guitare, c’était un point de départ pas trop intimidant, qui a ses lettres de noblesse, mais qui reste populaire. Je ne savais pas du tout ce que je commençais à faire en écrivant Requin. C’est devenu un roman, alors que c’était au départ le texte d’une fiction pour Arte Radio. 

Dans vos chansons ou dans vos livres, vous avez une façon très particulière de manipuler les mots…

Disons que j’ai un rapport assez plastique à la langue, aux mots. Oui, je les vois comme des sortes d’objets, des objets qui ont un sens, une musicalité… Selon Sartre, il y aurait deux types de rapport à l’écriture. Quelqu’un qui a quelque chose à dire et qui va se mettre en quête de mots pour pouvoir l’exprimer, puis un autre qui, en se promenant sans but, tombe sur les mots et se dit « Tiens, qu’est-ce que je pourrais faire avec ça ? » Et moi je dirais que j’appartiens plutôt à la deuxième catégorie.

« J’ai un rapport assez plastique à la langue, aux mots. »

La guitare tiens une place très importante dans votre parcours artistique et pourtant elle se fait beaucoup plus discrète sur cet album…

Oui, j’avais le désir de faire autre chose, de changer d’outils. Imaginez-vous, vous êtes peintre, vous aimez beaucoup le bleu, puis à un moment donné vous vous dites : « Ça va maintenant, je vais prendre un peu de vert et je vais faire ma période verte ». C’est pareil.  Nous voulions – avec Thibaut Frisoni, compositeur – un album plus pop, et pour cela nous avons voulu créer un album plus synthétique. Dans les précédents disques, les synthés montent petit à petit en puissance, ce dernier disque m’a permis d’en faire l’exploration. 

Le silence et l’épure tiennent une grande place dans vos chansons, il n’y a jamais de messages explicites dans vos albums, pourquoi cette attirance pour le mystère ?

Une attirance pour le mystère, je ne sais pas, mais plutôt une certaine pudeur je dirais. Disons que j’essaie de faire le plus avec le moins. C’est une sorte de mantra. On est plein de chanteur sur cette planète, chacun a des façons très variées de dire les choses, donc pour ceux qui aimeraient un message plus clair, plus immédiat, c’est vrai que je ne suis pas la bonne personne à écouter. Concernant la place des silences, je dirais qu’ils sont là notamment car j’aime la musique et que je n’ai pas envie que le sens d’une chanson ou ses paroles soit l’unique mobile de ma chanson…

« Tambour Vision » est un album beaucoup plus dansant que vos précèdent album… 

Oui, alors je ne voulais pas que ce soit complètement dansant, car si c’était le cas je serais allé beaucoup plus loin que ça. Mais disons que ça ne m’a pas gêné qu’il le soit un peu. Il y a un équilibre à trouver dans la chanson française : les musiques à danser et les musiques à penser sont séparées et je pense que ce n’est pas une fatalité. Ce n’est pas ce que j’ambitionne de faire mais disons que c’est intéressant d’essayer de négocier avec les contraires. Ça, c’est un truc que j’aime bien, manipuler les contraires, les contradictions…

« Pour ceux qui aimeraient un message plus clair, plus immédiat, c’est vrai que je ne suis pas la bonne personne à écouter. »

Vous avez été acteur pour le film Tralala des frères Larrieu. C’est quelque chose que vous aimeriez refaire ?

Oui pourquoi pas, si les conditions sont réunies mais je n’ai pas envie de faire ça à tout prix. Même si j’éprouve du plaisir sur un plateau, je suis souvent là comme un touriste. C’est un peu comme si on m’invitait en vacances. J’aime le cinéma, je suis un spectateur assidu, mais devenir acteur, c’est une autre histoire.

Qu’est-ce que vous écoutez en ce moment ?

J’écoute beaucoup de jazz en ce moment car j’apprends un peu tardivement les classiques jazz pour les jouer à la guitare, pour vraiment comprendre l’harmonie jazz. Ça fait des années que je m’interroge sur ce qui se passe dans la tête des musiciens de jazz. J’ai fait une école de jazz il y a 30 ans, c’est quelque chose que j’ai toujours pratiqué mais pas avec une technicité et une aisance d’expression sur l’instrument suffisante… Mais là, du coup, je travaille ça et j’en écoute beaucoup !

Texte et propos recueillis par Delphine // Photos : © JC Polien