Dès qu’elle sort du mini van, des fans accourent et demandent des photos. La soirée commence. Elle se fait attendre, c’est la dernière à passer dans l’arène : La salle Saint-Exupéry de Semur en Auxois. L’événement, organisé par Les Enfants de la nuit s’appelle Semur de son. Habile. C’était le 6 mai 2023. Eh ouais, vous lisez bien 2023 et non pas 2003. La crème du top france de Virgin 17 est là : Tribal King, Les Jumos, Colonel Reyel. Le feu dès le départ de la soirée : Fumée à fond avant les sempiternelles : « Est-ce que vous êtes chaud ? »; « Vous êtes pas fatigués ! », ou encore « Tout le monde ». Grosse ambi. C’est jeune, ça s’excite, ça s’enivre du son au volume max. Du bruit, la salle est gonflée à bloc pour l’arrivée de la gagnante de Popstar 4ème édition. Avant l’écho tabassant de l’époque skyblog et Nadiya, avant le show tout en lumière, on est parti sur les traces des années 2000, si trendy ces jours-ci, avec pour but de rencontrer l’interprète de Il avait les mots dans sa loge. Ça fait peur, l’agent est costaud. En vrai, il est très sympa, mais pas autant que Sheryfa. Elle commence par la bise « Comme ça on est tout de suite plus à l’aise ”. Sheryfa, semeuse de good vibes.

Dans les années 2000 le R’N’B était un peu classé « sous-culture », aujourd’hui c’est plus reconnu. Tu te vois un peu comme une pionnière ?

Non pas du tout. Même si c’est souvent quelque chose qu’on me dit. Je ne cherche pas forcément à être la reine ou la princesse – termes qui sont parfois employés pour me nommer. C’est vrai que la nouvelle génération est beaucoup plus crédible. À l’époque, Amel Bent, Vitaa, moi et d’autres chanteuses avons quand même réussi à nous faire entendre et à imposer le R’N’B, mais c’était très dur. Nous avons montré qu’il y avait des chanteurs-euses à voix avec beaucoup de talents dans des milieux streets urbains.

Tu as eu des tubes dès le début de ta carrière, comme “Il avait les mots”, Ça n’a pas été trop difficile de garder la cadence par la suite ? 

Effectivement, même si beaucoup se disent que j’ai de la chance d’avoir autant de tubes, finalement c’est comme un boulet qu’on traîne. On est mis à un niveau où on a la pression de ne pas aller en dessous de ça. Sauf que pour créer des tubes, il n’y a pas de méthode miracle. Il y a eu une passe où c’était très dur pour moi. Je me suis dit « jamais je vais pouvoir revenir, jamais je ne serai à la hauteur ». Aujourd’hui à 34 ans, j’ai fait la paix avec ça. L’histoire de ce premier album avec tous ces tubes c’est que j’ai donné toutes les idées de thématiques aux auteurs. À Popstar, j’avais déjà affirmé un caractère assez rebelle, et quand je suis rentrée en studio, je savais où j’allais aller. J’étais jeune mais je voulais absolument parler de ma vie, de mes histoires, ce qui m’a fait mal, de mes parents, de mes origines. J’ai été très claire là-dessus. On m’a mis à disposition une superbe team d’auteurs. À certains j’écrivais mon histoire dans des lettres, ils reprenaient mes phrases et arrivaient à construire des chansons. Je pense que c’est pour ça que ça a fonctionné. Il avait les mots ne me quittera jamais. Je crois que chaque artiste a toujours LA chanson, même s’il arrive à en faire d’autres qui marchent. Je ne pourrais pas faire mieux. Cette musique est très autobiographique, c’est une histoire personnelle. Je ne suis pas unique au monde et ce que j’ai vécu (la trahison, nldr) d’autres l’ont vécu. C’était tellement sincère et vrai que ça a résonné. 

Je ne cherche pas forcément à être la reine ou la princesse

Beaucoup de tes morceaux parlent de choses assez tristes. Pourquoi ?

J’ai toujours aimé les chansons nostalgiques, tristes, les balades. Ma mère me faisait écouter de la variété, beaucoup de chanteuses à voix comme Céline Dion ou Isabelle Boulay. Ces chansons accompagnent les gens et c’est la plus belle chose quand on me dit « tu te rends pas compte comment tu m’as aidé dans ma vie, tu m’as compris ». Je me dis que j’ai peut-être réussi à accompagner des gens qui se sentaient seuls. J’ai pu mettre des mots sur ce qu’ils traversaient. 

Tu parlais de ta participation à Popstar, comment en es-tu venue à faire cette émission ? 

J’étais apprentie coiffeuse à l’époque. J’étais en arrêt de travail suite à un accident de voiture. Avec mon bras dans une attelle j’étais à la maison, et il y a eu une annonce sur M6 « devenez l’artiste de demain ». J’ai vu le numéro, je me suis inscrite. Quand le soir mes parents sont rentrés, je leur ai annoncé, et ils m’ont dit « Non tu vas pas le faire, c’est hors de question, tu dois passer ton CAP, tu as ton travail ». Contre leur avis, j’ai fui à Paris, j’ai passé ce casting et je suis allée jusqu’au bout. 

C’était difficile de rentrer dans le format Popstar ? 

Pas vraiment. Quand je suis arrivée j’avais ma casquette et mes créoles, j’étais moi même. La prod ne nous a rien dit. C’est l’après qui a été très dur. Quand tu gagnes, là, les enjeux changent. Ils ont injecté tant de millions sur mon projet pour faire l’album, pour faire la pub, donc effectivement, il y avait des attentes. Quand tu as 18 ans, que ton rêve se réalise, tu te dis que c’est le début et que tu ne peux pas trop t’imposer. Et puis ensuite, après un ou deux albums, tu te rends compte que tu rentres dans une spirale qui ne te ressemble pas. Au fur et à mesure on m’a amené à être l’opposé de ce que j’ai proposé au départ. J’ai pris quelques années de recul, de répit. Quand je me suis sentie prête, je me suis dis que c’était le moment de revenir, mais en gardant le contrôle.

C’était pas trop difficile d’être une femme à cette époque dans l’industrie musicale ? 

Je ne l’ai pas du tout sentie. J’ai des « collègues » qui elles ne l’ont pas bien vécu. Qui ont des anecdotes ou des histoires pas terribles dans ce milieu. Pour le coup, j’ai été assez chanceuse, mais j’ai fait la rencontre de plein de mauvaises personnes qui m’ont arnaqué, escroqué, dupé, qui ont abusé de ma confiance. 

Est-ce que ton fils a conscience que sa mère est une icône de la pop culture française des années 2000 ? 

J’ai deux fils maintenant ! Tout le monde a suivi ma grossesse de Junior qui a maintenant 15 ans. Aujourd’hui il est totalement en âge de comprendre. Il est toujours halluciné de dire « mais maman c’est un truc de fou ! Toutes mes copines à l’école elles écoutent tes chansons et elles me disent tout le temps « mais non, c’est ta mère !? » Le 5 février dernier, j’ai fait le Zénith de Paris, un challenge audacieux, et ça a été une très belle réussite. Il y avait des grands-mères, des femmes de 30 ou 40 ans et aussi des jeunes de 15 ans, des filles, des garçons. C’est fou de voir un public aussi large, et toujours au rendez-vous. 

Il y a une grande fan base qui te suit encore, mais beaucoup de gens qui critiquent aussi cette époque et cette musique.

J’ai fait un live il y a 3 mois sur Tiktok. D’un coup, il y a une vague de haters qui arrive et je m’en prends plein la tête. Je fais la méthode où je m’énerve pas et je prends les pseudos des gens qui sont en train de m’insulter et je dis très calmement « Qu’est-ce qui ne va pas ?  C’est ton père ? Ta mère ? Est-ce qu’on ne t’a pas assez aimé ? On ne t’a pas assez écouté ? » À partir du moment où je dis ça, il n’y a plus un haters de tout le live. Ils se sont peut-être même dit qu’ils étaient débiles d’insulter quelqu’un gratuitement. J’ai passé une heure de live sans aucun commentaire négatif. 

Marée noire de smartphones, exit le 3310 des années 2000…

Les années 2000, c’est aussi un style vestimentaire, une esthétique qui revient. Tu incarnes un peu ça. Ça te fait quoi ce retour ? 

Ça me plait ! Je n’ai jamais trop suivi la mode, même si en vieillissant je veux toujours m’habiller comme il y a 10 ans. Si je veux mettre des joggings, des casquettes, je ne me prends pas la tête. Je ne me vois pas comme une référence de mode ou de look. On s’est inspirés de la génération 90 : les Spice Girl, J-Lo… Ceux d’aujourd’hui s’inspirent des années 2000. Tout le monde inspire tout le monde !

Sur internet on peut retrouver une vidéo où tu chantes à Paris sur le Champs de Mars le 14 juillet 2011 lors du Concert pour l’égalité avec Michel Delpech et Big Ali. Comment s’est fait ce crossover de folie ?

Honnêtement quand on m’a proposé ce truc-là, j’ai halluciné ! Je me suis dit « mais ça n’a rien à voir ! On va où ? » (rires). On était 4, il y avait aussi William Baldé, le chanteur de Ma main sur ton ptit cul. On s’est tous dit que c’était trop bizarre et qu’on allait se planter. Il n’y avait que Michel Delpech qui était hyper open et qui trouvait ça hyper cool. Ma mère connaissait très bien Michel Delpech et sa musique, donc je trouvais ça bien de sortir de mon domaine, et finalement je trouve que ça a plutôt fonctionné. 

Texte : Bruno Casanova et Béatrice Grosjean // Photos : Béatrice Grosjean