Emile Sornin, tête pensante du projet Forever Pavot revient pour un troisième album ; L’idiophone. Au programme, une musique toujours inspirée des 70’s avec un très fort penchant pour la Library Music (musique d’illustration largement répandue dans les années 60 à 80). Cependant le côté bucolique des précédents disques a fait place à une esthétique plus urbaine, plus angoissante. Rencontre lors de l’Extra Festival à La Vapeur de Dijon avec Émile pour décortiquer cela.

Une interview menée en collaboration avec Radio Dijon Campus

L’Idiophone est sorti en mars, troisième album, toujours chez Born Bad, on ne change pas une équipe qui gagne ?

C’est la famille, ça fait bientôt 10 ans qu’on travaille ensemble et ça s’est toujours bien passé, donc je n’ai aucune raison d’aller voir ailleurs.

Y’a eu 5 ans entre le deuxième et le troisième album. Entre deux t’as fait La Récré, des musiques de films… On est sur quelle durée entre le temps de composition et de gestation de cet album ? 

J’ai composé seul mais j’ai travaillé à la production et aux arrangements avec trois autres musiciens, Sami Osta, Maxime Daoud qui est mon bassiste ce soir et Vincent Taeger qui m’ont filé un gros coup de main. Le travail s’est étalé pendant très longtemps, on a fait plusieurs sessions de studio dans un studio qui s’appelle La Frette à côté de Paris. Deux séances de 5 jours là-bas, puis après moi je faisais les arrangements tout seul, dans mon studio et on faisait des aller-retours comme ça. 

T’avais déjà composé des morceaux à ce moment-là ? 

J’avais déjà fait une douzaine, quinzaine de maquettes, dont certaines étaient très abouties voire presque terminées. Je les ai faites réécouter aux garçons et puis on a retravaillé ensemble les morceaux. 

Et tu repassais dans un studio « plus pro » pour tes phases d’enregistrement pour avoir plus de matos analo, des trucs plus hi-fi ? 

L’idée c’était de travailler avec ces musiciens. Sami Osta est plutôt ingénieur du son et producteur, Vincent Taeger qui est batteur, Maxime Daoud qui est à la basse. Mais tout le monde fait partie de la réalisation de l’album, que ce soit la production, les arrangements…

Mais je voulais ce qu’on appelle les « basics tracks », c’est-à-dire le trio basse batterie piano, un truc un peu solide, c’est ce qu’on a joué Vincent Maxime et moi dans ce studio avec du matos de dingue, un son super et La Frette le lieu, c’est un manoir hyper beau.

Le studio où il y avait Arctic Monkeys y’a des micros partout donc tu peux enregistrer un peu où tu veux. 

Oui, exactement. Spot génial. Ça appartient à Olivier Bloch Lainé, un mec qui a fait des arrangements sur des albums de Brigitte Fontaine… 

Donc du coup le lien avec une musicalité seventies, elle se retrouve dans l’historique du lieu ? 

Oui c’est ça, c’était une idée de Sami qui m’a dit qu’il fallait qu’on enregistre la basse/batterie/piano là-bas. C’était une super idée qui fait que dans le disque, y’a un mélange de hi-fi, on a enregistré sur des bandes 2 pouces d’une qualité hi-fi et tous mes arrangements que je fais dans mon studio sont plutôt lo-fi donc il y a un mélange des deux qu’on a cherché pour proposer quelque chose de nouveau et ne pas être dans un truc vintage. 

On te connaît, on sait que tu es un grand fan de musique instrumentale, que ce soient Library Music ou bandes originales, pourtant avec cet album, on sent que tu es partie sur un côté un peu plus chanson, la voix est plus en avant. 

C’était l’idée d’aller voir Sami Osta qui a travaillé avec plein d’artistes que j’aime beaucoup qui sont un peu plus « chanson » comme La Femme ou Feu ! Chatterton ou Rover. Je voulais quelqu’un qui puisse m’aider à mettre en avant ma voix un peu plus, pour qu’elle soit un peu plus digeste, un peu plus compréhensible, pour qu’on comprenne les histoires que j’avais envie de raconter. 

Au niveau de la voix, y’a un traitement qui donne un côté plus contemporain, y’avait une volonté de brouiller les pistes en orchestrant quelque chose de très seventies et en y incorporant des choses plus modernes ? 

Le vocoder c’est pas si contemporain, puisque ça existe depuis les Kraftwerk mais je brouille les pistes parce que la musique dans laquelle je suis la plus à l’aise c’est celle de la fin des années 60 et début des années 70 où le vocoder n’existe pas encore, mais j’ai voulu mélanger ça avec quelque chose de plus eighties sur des chansons comme Les Informations et sur Le bal des traîtres. C’est aussi parce que ça m’amusait de l’utiliser comme un instrument, pour apporter une couleur différente, ne pas être que dans un côté sixties. 

Et cacher ton côté chanteur que tu voulais pas exposer trop fort ? 

Pas que. Par exemple pour Le bal des traîtres, je voulais un personnage plutôt monstrueux, donc ça aide à transformer le personnage. 

Je voulais quelqu’un qui puisse m’aider à mettre en avant ma voix un peu plus, pour qu’elle soit un peu plus digeste, un peu plus compréhensible, pour qu’on comprenne les histoires que j’avais envie de raconter.

Oui, parce qu’on sait que la chanson, c’est pas trop ta culture. Mais si tu devais citer quelques refs de chanteurs ou de disques « chanson », ce serait lesquelles ? 

Brigitte Fontaine, Gainsbourg, j’aime beaucoup aussi, Dick Annegarn par exemple

Dans la pantoufle aussi, y’avait quelque chose de très bucolique, on sentait la Charente, presque la maison de campagne. Ici, il y a quelque chose de beaucoup plus urbain, qui pourrait presque me faire penser à une B.O. d’Argento avec ce côté sombre. Ça vient d’où cette impression ? 

Je sais pas trop. J’intellectualise tellement peu ce que je fais, mais je me rends compte que c’est un disque qui est assez dark, ce qui me sert pas trop d’ailleurs au niveau de la promo ! Des morceaux comme Les Informations, que j’adore, pourrait être un petit tube, mais le sera pas car il n’est pas du tout radiophonique. C’est un peu angoissant. Au Diable, Dans la voiture ne sont pas joyeux non plus. J’ai toujours aimé la musique qui fait un peu peur, la musique dramatique. 

Pour moi ton album c’est un mix entre Brigitte Fontaine, les Goblin, tout ça mixé par Vannier. 

C’est marrant, dans Goblin, je pense que le point commun, ce sont les orgues, les choses un peu terrorisantes, le clavecin, les synthés… Mais y’a quelque de bien plus rock progressif dans Goblin, mais ça reste une de mes influences. Mes références viennent d’un peu partout, mais il y a sûrement dans un coin un petit Goblin qui me regarde. 

J’ai lu quand tu parlais de L’Idiophone que tu faisais de la musique « comme un idiot », alors que j’ai l’impression que quand on écoute ta musique on est plutôt sur de la musique savante ? Pourquoi cette phrase ? 

Je fais hyper bien semblant d’être bon mais en fait je ne sais vraiment pas ce que je fais.

Tu noies le poisson en fait ? 

Vraiment. Les gens qui jouent avec moi me demandent pourquoi je fais des accords comme ça, me disent que mes doigts et les écarts c’est pas du tout ça. J’ai la chance d’être quelqu’un d’assez obsessionnel, ça m’a permis de travailler les instruments et de développer mes propres techniques. Mais c’est assez handicapant pour jouer avec les autres, je suis incapable de jouer les morceaux d’autres gens. J’essaie de me soigner en travaillant des morceaux de Bach en ce moment, mais je pense que c’est aussi ce qui fait ma singularité, j’essaie de développer de plus en plus ça. 

Propos recueillis par Mr Choubi & FLT // Photos : Paul Dufour