Avec leur groove transe africain d’inspiration vaudou, les Nana Benz du Togo ont enflammé les scènes du Tribu festival à Dijon et du festival Détonation à Besançon fin septembre. Petite rencontre avec elles dans le studio des amis de Radio Campus. En partenariat avec Radio Dijon Campus 92.2

Vous vous êtes rencontrés en 2019 à Lomé, au Togo, lors d’un atelier ?

La rencontre s’est faite grâce à Peter Solo, le leader du groupe Vaudou Game, qui est venu à Lomé
pour un atelier. Il avait regroupé des musiciens et des artistes de Lomé et on était toutes là. Il nous a
détectées parmi les musiciens, les artistes ; « Vous avez du potentiel les filles, pourquoi ne pas former
un groupe ensemble ? ». Et il nous a soutenu, il nous produit. On est resté « en cuisine », pendant quatre ans. On a composé, travaillé, fait de la musique ensemble… Nana Benz du Togo est né.

Vous avez appris à vous connaître pendant ces 4 ans…

Ben, en fait, on venait d’horizons musicaux divers, mais le point commun, c’est que on a tous baignés ensemble depuis l’enfance dans la musique d’inspiration traditionnelle vaudou. Et donc, quand on s’est rencontrés sur l’atelier, c’était tout de suite fusionnel, on avait la même vision. À force de travailler ensemble, on a quand même découvert, grâce à l’un et l’autre, d’autres univers et ça a ouvert aussi beaucoup de paramètres dans notre culture musicale, c’est vrai.

Vous vous appelez les Nana Benz du Togo, en référence aux femmes d’affaires togolaises qui
ont fait fortune dans les années 70 et 80, dans le commerce de pagnes en wax, et qui roulait dans des grosses Mercedes-Benz. Qu’est ce que ces femmes vous inspirent ?


Elles nous inspirent le féminisme. Elles nous inspirent que les femmes peuvent tout faire. Tout
comme les hommes. Elles nous disent que les femmes sont mères au foyer, mais pas que ça.
Les Nanas Benz étaient des femmes très fortes politiquement et commercialement. C’étaient des
femmes qui intervenaient même dans la politique du pays et à qui l’ancien président demandait des conseils. Des femmes qui portaient le foyer, qui portaient leurs hommes…des femmes visionnaires. Et ça, c’est important pour nous. Les femmes, il faut les laisser être président de la république si elles veulent, il faut les laisser être mère au foyer si elles veulent…

Avec vous sur scène, il y a des percussions un peu magiques…avec des bidons, des tuyaux sur
lesquels vous tapez avec des tongs…


Entièrement recyclées. Avec des objets recyclés, des marmites. Notre musique, nous l’appelons
digital vaudou. Le vaudou, en fait, signifie consulter les éléments de la nature. À travers
l’eau, la terre, le feu et l’air pour comprendre des événements qui se produisent aujourd’hui et
pouvoir préparer le futur, donc intrinsèquement liés à l’écologie. Nous avions cette vision écologique
là, naturellement, il fallait quand même qu’elle transparaisse aussi dans les instruments que nous
utilisons. Notre collègue a récupéré la valise de son grand-oncle prêtre Vaudou et les marmites de sa grand-mère également prêtresse vaudou. Il s’est dit que ça ne pouvait contenir que des vibrations
positives… Et il en a fait une superbe batterie.

Quels artistes vous inspirent, quels courants musicaux vous inspirent?


Moi, je pense que tous les courants musicaux nous inspirent, mais principalement les musiques des
couvents (maisons de la mort en langue Yoruba, en lien avec la culture vaudou, ndlr). Nous nous
basons sur ça pour créer nos chansons. En fait nos musiques sont d’inspirations de couvents
traditionnels vaudou. Chez nous, au Togo… et d’abord au Dahomey, qui comprenait le Togo, le Ghana et le Bénin, nous avons quelque chose en commun, une manière de chanter et de danser dans les couvents traditionnels, et qui sont identitaires de ces trois pays. Nous avons eu la chance que le grand frère Peter Solo ait décrypté les gammes et cela nous permet aujourd’hui de pouvoir nous en inspirer et de pouvoir les incorporer à tout type de styles musicaux…


Notre collègue a récupéré la valise de son grand-oncle prêtre Vaudou et les marmites de sa Grand-mère également prêtresse vaudou. Il s’est dit que ça ne pouvait contenir que des vibrations
positives… et il en a fait une superbe batterie.

Dans la chanson « J’ai compris », il me semble que vous parlez de la notion de consentement.
Qu’est ce qui vous a inspiré ce thème ? Est-ce que c’est vos vies perso ?


Pas nos vies perso, mais par rapport à nos entourages, ce que vivent nos sœurs, nos mères autour de nous… La majorité des hommes chez nous, en Afrique, ils pensent qu’une femme doit tout accepter, quand ils veulent coucher, elles n’ont pas le droit de refuser. La femme a le droit de dire non. « Aujourd’hui, je ne vais pas bien, je ne me sens pas bien, ou j’ai pas envie ».

Est-ce que les Nanas benz ont un petit rituel avant de monter sur scène ?


Nous prions. Mais la prière vaudou, qui est très différente des catholiques, des chrétiens. C’est un
rythme différent. Nous avons aussi des cris de couvent, que nous lançons pour appeler les esprits à
venir nous assister.

Texte : Morgane Modin // Photos : Edouard Barra