C’est une messe décidément bien rock’n’roll que la Poudrière de Belfort accueillait ce soir-là. Le Reverend Beat-Man était de passage avec son one man band pour prêcher le Blues Trash. Nous l’avons invité à un petit passage au confessionnal pour en découvrir un peu plus sur son label, son opinion sur ses compatriotes suisses, sur l’état du rock’n’roll et ses goûts en matière d’audio books. En partenariat avec Les Interrockations : https://lesinterrockations.com/
Ici, tu joues en one-man band mais en trente ans de carrière tu as aussi roulé ta bosse avec ton propre orchestre The Monsters et collaboré avec une tripotée de musiciens, en duo ou avec d’autres groupes. Quelle formule te stimule le plus ?
Chaque formule est différente mais j’aime jouer seul car c’est très direct, la créativité est plus rapide. Tu peux faire ce que tu veux durant le concert, tu peux improviser et interagir plus facilement. C’est pour cela que j’adore jouer en one-man band, tout y est instantané. Même les voyages en voiture sont plus simples, je peux écouter ce que je veux sans avoir à demander leur avis aux autres.
Donc jouer en one-man band est surtout l’occasion d’éviter des polémiques sur la playlist en voiture ?
Exactement. Avec les Monsters par exemple, nous avons des goûts en commun mais les miens sont parfois trop extrêmes pour le reste du groupe. C’est pour cela que maintenant nous écoutons beaucoup d’audio books pour mettre tout le monde d’accord. La dernière fois, c’était Blade Runner. La science-fiction fait souvent consensus.
Tu as créé dans les années 90 ton propre label Voodoo Rhythm Records dont le catalogue est peu ou prou la bible de tout amateur de rock’n’roll ensauvagé, de garage décadent et de blues trash buriné. Quel a été le point de départ de cette aventure ?
Quand j’ai débuté dans les années 80 ou 90, il n’y avait aucun label prêt à produire la musique que j’avais en tête et que je souhaitais partager au public à travers le monde. Pour beaucoup de producteurs, ma musique était trop trash, trop lo-fi. Et beaucoup de mes amis étaient dans la même situation que moi. J’ai donc décidé de lancer ce label, pas seulement pour publier mes propres chansons mais aussi celle de mes amis et celle de groupes dont j’estimais la musique. Cela me semblait inconcevable que le monde ne puisse pas découvrir la musique de Roy and the Devil’s Motorcycle ou celle de Sloks. C’était une évidence pour moi de devoir donner une plateforme à ces gens-là.
Parlons de la Suisse, dirais-tu que c’est un pays rock’n’roll ?
Pas du tout. C’est plutôt jazz et cocktails. Bien sûr, l’underground est rock’n’roll, comme en France et dans chaque pays mais de manière générale, la Suisse est le contraire du rock’n’roll.
Comment ton parcours et ta musique sont-ils perçus par l’opinion suisse ?
Ils m’acceptent plus ou moins parce que je suis accepté à l’étranger mais ils n’aiment pas ça du tout. Les milieux mainstreams essaient de m’éviter mais comme j’ai plutôt réussi en dehors de mes frontières, c’est difficile pour eux. Ils me récompensent parfois de prix musicaux assez prestigieux mais je peux voir dans les yeux quand ils me les tendent qu’ils se demandent « pourquoi lui ? Ce n’est même pas un vrai musicien, il sait à peine jouer de la guitare ». Ce qui est assez paradoxal, c’est que la Suisse est réputée pour sa douceur de vivre et ses banques alors qu’elle est originellement un pays fait de pierres, de montagnes et de gens rudes. Peut-être suis-je un représentant de cette primitive Suisse rocailleuse.
Sur ton dernier album, il y a deux chansons « Slave to the phone » et « Banned from the Internet » qui évoquent des sujets de société, ce qui est plutôt rare dans ta discographie, et plus particulièrement les réseaux sociaux. Est-ce que c’est un sujet qui t’inquiète ? Est-ce que tu penses que la technologie peut être une menace pour le rock’n’roll ?
Au contraire, j’adore la technologie. Je pense même avoir été un des premiers musiciens à partir en tournée équipé d’un GPS dans la voiture. Pareil pour le téléphone portable. Mais cela peut nous rendre très accro et c’est là où se trouve la menace. « Slave to the phone », même si elle est plutôt humoristique, parle de ces moments où nous nous réveillons à deux, trois heures du matin pour checker nos notifications, ce qui est clairement une addiction. Beaucoup de ces médias sont incroyables mais nous devons déjà apprendre à les gérer. Internet est un outil formidable qui pourrait être bénéfique à tant de personnes si nous ne l’usions pas de manière aussi flinguée. On se laisse manipuler par la technologie alors qu’elle a tant à nous apporter. C’est de ça que traitent ces deux chansons.
Avec un tel amour des nouvelles technologies, il n’est donc pas à exclure d’assister un jour à une tournée du Reverend en hologrammes ?
(Rires) Ça serait une idée formidable ! Avec des filles japonaises de cinq ou six mètres de haut. Ça serait génial !
Parlons religion maintenant. Tu appartiens à l’église du Blues Trash. Qu’est-ce exactement ? Quels en sont les commandements ?
Il y a dix règles mais je dois confesser que je ne les connais pas toutes par cœur. « Tu n’as pas à croire » est l’une d’elles. À travers mes tournées un peu partout dans le monde, ce que je constate c’est que la musique et l’art réunissent les gens peu importe leurs convictions ou leurs idées. Ce sont les seules vraies choses qui permettent de connecter les gens entre eux. D’où le fondement de notre église : le rock’n’roll est le vrai dieu.
De nos jours, il est de plus en plus fréquent de lire sur les internets que le rock est mort. Quel serait ton conseil de révérend pour raviver la foi ?
Je pense que le faux rock’n’roll a tout détruit tout sur son passage. Le vrai rock continue à vivre sous différentes formes. Les débuts du rap et de la techno sont, pour moi, du rock’n’roll. C’est une énergie contenue en nous que l’on cherche à libérer. Ce n’est pas qu’un style musical, c’est une manière de vivre. Cela peut être risqué, partir dans tous les sens, être bon ou mauvais mais du moment que cela vient des tripes, c’est la seule manière de faire de la musique.
La nostalgie est tellement présente aujourd’hui, dans la musique comme ailleurs, qu’affirmer sur un forum rock que le punk réside désormais dans le rap ou la techno vous cloue directement au pilori.
Oui, je suis tout à fait d’accord. J’en ai tellement marre de ces festivals où la moitié des groupes sont des copiés-collés de ceux des années cinquante ou soixante. Je peux rester assis le cul dans l’herbe à boire une bière et les écouter mais cela ne m’apporte rien. Je suis réellement attristé de constater que l’on reproduit sans cesse les mêmes vieilleries pour de l’argent. Sur le label, je cherche constamment l’excitation de la nouveauté et à présenter au monde des choses différentes. De savoir que les tournées sont de plus en plus difficiles à organiser et que les petits clubs se meurent quand Metallica et U2 vendent des places à 1000 dollars…
Et terminons avec un scoop. Le Révérend joue ce soir en France. Le Pape était là il y a quelques semaines. À quand la tournée commune ?
(Rires) Ça aurait de la gueule ! Je pense que c’est un meilleur pape que les précédents. Au moins, il essaie de faire bouger une église catholique sclérosée. C’est aussi des raisons pour lesquelles je fais mes spectacles, pour parodier l’entêtement de l’église chrétienne et de ce qu’elle est devenue. Prétendre que l’on ne peut aller au paradis qu’en appartenant à une certaine élite, c’est des conneries. C’est une dictature très spéciale que je n’aime pas du tout. J’aime la liberté du Diable, chassé du Paradis pour avoir essayé de sauver des gens. On me surnomme parfois Satan et c’est un surnom qui me convient.
Propos recueillis par Lucas Grux // Photos : Dorine Maillot / La Poudrière